LDDS et financement de la défense  : l'équation incohérente du gouvernement

OPINION. Lors du vote en première lecture du projet de loi de finances pour 2024 par l'Assemblée nationale, le gouvernement a accepté, en recourant à l'article 49-3 de la constitution, d'amender le code monétaire et financier (art L.221-5) pour que la partie non centralisée de l'encours du LDDS - les 40% qui restent dans le bilan des banques - serve  au « financement des entreprises, notamment petites et moyennes, de l'industrie de défense française » tout en refusant d'y inclure des mesures soutenant la finance solidaire. Où est la cohérence ? Frédéric Tiberghien, Président de FAIR et Jérôme Saddier, Président d'ESS France et du Groupe Crédit Coopératif
Frédéric Tiberghien et Jérôme Saddier
Frédéric Tiberghien et Jérôme Saddier (Crédits : DR)

Le financement des industries de défense se heurte à une difficulté croissante, car certains fonds ISR (investissement socialement responsable) les excluent de leur portefeuille au motif qu'elles ne répondent pas à ces critères. Le ministre des finances, en charge de l'approbation du nouveau règlement du label ISR, vient d'annoncer qu'il en exclurait en 2024 les entreprises mettant en exploitation de nouvelles sources d'énergies fossiles, mais est resté silencieux sur les autres exclusions de ce label. La bonne réponse à cette question, renouvelée depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie, consiste à l'affronter directement et si possible au niveau européen, comme l'a été celle des énergies d'origine nucléaire lors de la finalisation de la taxonomie verte par l'Union européenne. La réponse de l'Assemblée nationale n'est en tout cas pas la bonne pour cinq raisons.

Premièrement, il s'agit, comme lors du vote de la loi de programmation militaire à l'été 2023, d'un cavalier budgétaire : le fléchage d'une épargne privée restant dans le bilan des banques n'ayant aucune incidence sur la dépense publique, le Conseil constitutionnel la censurera.

Deuxièmement, le LDDS, héritier du Codevi, a été créé en 1983 pour financer les PME. Selon l'arrêté de 2008 qui en fixe les règles d'utilisation, au minimum 80% des 40% de l'encours du LDDS restant dans le bilan des banques doit les financer. Les auteurs de l'amendement ayant en vue leur financement, car les grandes entreprises cotées de l'armement n'ont aucune difficulté à se financer sur les marchés internationaux, les banques peuvent déjà financer ces PME à partir des livrets A et LDDS. L'amendement était donc inutile sauf à utiliser la loi comme outil de gesticulation politique et signal à destination clientéliste. Bpifrance peut aussi les financer et venir en appui des politiques publiques de l'État.

Troisièmement, sa mise en œuvre va se traduire dans quelques semaines par une équation impossible. En effet, outre le financement des PME à hauteur de 80%, les encours non centralisés du LDDS doivent financer au minimum à 10% des projets contribuant à la transition énergétique ou à la réduction de l'empreinte climatique et à 5% des personnes morales relevant de l'économie sociale et solidaire (ESS), ce qui ne laisse que 5% de marge pour utiliser la ressource à 100%. Où la contrepartie va-t-elle être prise pour financer ce nouveau secteur ? Dans celle  des PME autres que l'armement ? On imagine la réaction du patronat. Dans celle consacrée à la transition écologique, part déjà estimée insuffisante ? On imagine la réaction des écologistes. Dans celle, récente, de l'ESS ? On imagine la réaction de la société civile : gouvernement et parlement troquent le soutien à la société civile et à tous ses acteurs luttant contre l'exclusion sociale et environnementale contre celui à l'industrie d'armement... Dans tous les cas, bonjour les dégâts... À moins que le gouvernement ne fasse rien pour appliquer la loi nouvelle en imputant ce nouveau fléchage sur les 80% déjà réservés aux PME, ce qui renvoie à l'inutilité de l'amendement.

Quatrièmement, le message aux épargnants va devenir incompréhensible. La loi de décembre 2016 a transformé le en LDDS, car avec le financement de l'ESS a été rajoutée une dimension solidaire à sa dimension durable. Ses 25 millions de détenteurs pensent depuis lors financer des projets de transition verte, durable et sociale. Alors que des efforts considérables sont faits par ailleurs pour garantir aux épargnants une information claire et un niveau d'exigence élevé sur les produits durables (réforme du label ISR, mise en œuvre de la SFDR...), l'ajout de l'industrie d'armement aux emplois du LDDS constitue une marche arrière du parlement et du gouvernement qui va plonger les épargnants dans la plus extrême confusion.

Cinquièmement, lors du vote de la loi du 23 octobre 2023 relative à l'industrie verte, certains ont proposé de faire financer les projets environnementaux, dont la relance du programme nucléaire français, par le LDDS et le livret A. Le gouvernement y a finalement renoncé en créant un nouveau livret-le plan d'épargne avenir climat (article 34 de la loi)- dont les versements sont affectés « à l'acquisition de titres financiers qui contribuent au financement de la transition écologique et d'instruments financiers bénéficiant d'un faible niveau d'exposition aux risques ». Afin de ne pas déstabiliser les titulaires de ces deux livrets d'épargne populaire en y introduisant le financement d'une industrie controversée. La cohérence de l'action gouvernementale voudrait qu'il en aille de même pour les industries d'armement.

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Commentaires 2
à écrit le 01/12/2023 à 9:59
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Parler de "Défense" quand on a pas confiance dans les donneurs ordres, ne fait qu'accentuer notre mauvaise volonté ! ;-)

à écrit le 01/12/2023 à 8:29
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De "en même temps" à "à moitié".

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