Le bazar fiscal, et comment en sortir

Chronique des livres et des idées. Peut on sortir du "maquis fiscal" pour aller vers un "jardin à la française"? Chronique du livre d'Ivan Best, "Sortir du bazar fiscal". Par Jean-Pascal Beaufret, ancien directeur général des impôts

Il est un fait qu'au cours des deux derniers siècles, la France n'a pas su trouver un contenu clair et consensuel au principe constitutionnel selon lequel la contribution commune aux charges publiques doit être également répartie entre tous les citoyens en raison de leurs facultés. L'instabilité et la complexité excessive du système fiscal, autrefois décrit comme un « maquis », ont entraîné une incompréhension croissante des contribuables, dangereuse pour l'adhésion aux valeurs collectives.

 Désordre fiscal

Expert économique de "La Tribune" et grand connaisseur de l'administration fiscale, Ivan Best se demande, avant les élections, si l'on peut sortir du "bazar" de la fiscalité française*. Dans un contexte de prélèvements obligatoires nettement plus lourds qu'ailleurs et augmentés de près de 10 % depuis 2010 (la hausse la plus rapide depuis la seconde guerre mondiale), le désordre tient à la diversité des impôts et cotisations de toute nature, aux taux généralement élevés des impôts sur des bases étroites et, de ce fait, à la très grande diversité des exceptions qui ont été instituées au fil du temps, aboutissant à un manque de lisibilité, paradoxalement au nom de l'égalité.

 Le bazar fiscal est décrit par l'auteur en des termes cinglants : « aberrant » est le système de fiscalité des entreprises, qui supportent des impôts à la production lourds et nombreux et des taux élevés d'impôt sur les sociétés, symboliquement dissuasifs pour les investisseurs alors que les règles d'établissement de la base taxable en atténuent le produit par rapport aux pays voisins. « Folle » est la fiscalité locale assise sur des valeurs qui n'ont plus de sens mais qu'on n'arrive pas à modifier, ce qui alimente le sentiment d'injustice.

Deux impôts sur le revenu

De même l'existence de deux impôts sur le revenu est une exception française : à l'impôt progressif mais « croupion », car payé par 45 % des contribuables seulement, allégé ou augmenté huit fois en 20 ans par les gouvernements de droite et de gauche, s'ajoute en effet la CSG à taux proportionnel, passée en 25 ans, de 1% à 8% des revenus salariaux et à 15,5% des revenus de l'épargne. Pourtant, le poids total des deux impôts sur le revenu des particuliers reste inférieur aux prélèvements équivalents à l'étranger. A l'inverse, les cotisations sociales payées par les entreprises sur les revenus du travail sont beaucoup plus élevées qu'ailleurs, les régimes obligatoires de couverture des risques sociaux (vieillesse, maladie, chômage, famille et assistance) étant financés à 62 % par ces cotisations et à 38 % par l'impôt, ce qui brouille singulièrement la compréhension des efforts demandés.

 L'ISF ou "l'Immense supercherie fiscale"

Enfin l'impôt sur la fortune, de modeste rapport mais de grande portée symbolique, créé en 1981, puis supprimé cinq ans après, rétabli et plafonné sous le nom d'ISF, puis en partie déplafonné et à nouveau plafonné, que l'auteur qualifie d'« 'Immense Supercherie Française », a manifestement du mal à trouver sa place. Sans parler du « plafond de papier » institué pour limiter les dérogations de toute nature, qui n'a pas permis de réduire, le nombre des niches fiscales en dessous de 430 pour un coût global resté très important. .

 Les enquêtes d'opinion montrent donc une défiance profonde des citoyens, plus prompts ici qu'ailleurs à contester le poids des charges publiques, leur efficacité et leur répartition. Et même quand des mesures, comme depuis 2012, visent à accroître l'imposition des revenus ou des patrimoines élevés, le sentiment d'injustice s'accroit, alimenté par les exemptions réelles ou supposées.

 L'impôt, objet de gesticulations politiques

L'incohérence vient, selon l'auteur, du fait que « l'impôt fait dérailler les politiques ». L'impôt, sujet par nature politique, lieu de clivages idéologiques en France, est souvent l'objet de gesticulations, sur un théâtre des apparences, entretenu au plus haut niveau pour en faire un instrument de marketing électoral. Au moment où les promesses de baisse massive d'impôt resurgissent, un des intérêts du livre est de rappeler les nombreux épisodes d'improvisation, de zigzags et de contradictions avec les programmes, qui se sont succédés depuis 30 ans, comme la baisse massive des impôts décidée par Lionel Jospin en 2000 pour répondre à la suspicion d'une imaginaire « cagnotte » des finances publiques ou bien les allers et retours de Jacques Chirac sur l'ISF. Mais aucun Président de la République, même ceux qui ont fait de la fiscalité une priorité de leur action, n'a échappé pendant son mandat aux contradictions, aux bévues ou aux reniements, dont le livre rend un compte fidèle.

 Il est intéressant de relier ce livre à l'essai très complet, sur le même sujet, que Michel Taly, un des meilleurs experts et acteurs du sujet depuis 40 ans, a publié en août 2016[1] sur la méthode et les enjeux de la réforme fiscale. L'analyse, dans les « coulisses », des causes du mal fiscal français y est détaillée et nuancée. Au delà de l'instrumentation de l'impôt, à tout niveau, à des fins de communication politique, l'absence d'explicitation des objectifs réels poursuivis, la dispersion de l'initiative fiscale, l'indigence de l'évaluation fine des impacts, l'acceptation de la complexité ou la fausse concertation sont autant de défauts qui ont marqué les changements de législation des dernières décennies. Aucun n'est inévitable et l'auteur insiste avant tout sur des propositions de meilleure gouvernance du système, qui permettraient une vraie réforme.

 Clarifier ce que financent les impôts

Comment, tout de même, sortir du bazar ? Ivan Best veut croire à un impôt du XXI ème siècle, à mettre en place sur plusieurs années, même s'il se défend d'un improbable grand soir fiscal. Suite à une réflexion présentée à nouveau au Premier Ministre en décembre 2015, il s'agirait d'abord de clarifier ce que financent les impôts, dépenses publiques et prestations sociales « non contributives » dont le niveau est indépendant des revenus des bénéficiaires (maladie, famille et assistance) tandis que les prestations contributives assurant des revenus de remplacement (retraites, indemnités journalières et chômage) seraient exclusivement financées par des cotisations sociales. Cette piste est bien connue des spécialistes de la protection sociale et servirait autant au pilotage de la couverture des risques qu'à la compréhension de l'impôt. Elle se heurte encore à l'extraordinaire diversité institutionnelle de nos systèmes sociaux. Et là encore, elle comporte essentiellement des modifications de la gouvernance des systèmes publics.

 Difficile fusion entre impôt sur revenu et CSG

Il s'agirait aussi de fusionner l'impôt sur le revenu et de la CSG, avec une option pour y inclure la taxe d'habitation, permettant de revoir la progressivité du système et sa finalité redistributive. D'autres améliorations seraient apportées en ce qui concerne les niches et un rendement minimal serait prélevé sur le capital à la place de l'ISF comme aux Pays-Bas. Notons que la fusion des deux impôts sur le revenu est une idée qui paraît évidente dès lors qu'elle vise la clarification du système. Depuis les propositions de Thomas Piketty en 2012, elle est préconisée par le parti socialiste comme par certains responsables de la droite. Elle constitue un très bon thème de débat. Elle risque cependant de le rester un bon moment au vu des nombreux transferts difficiles à maîtriser qu'elle induirait et qui ont conduit tous les gouvernements à y renoncer jusqu'à présent après étude préliminaire. Un premier pas dans cette direction, insuffisamment souligné dans le livre et en cours d'examen par le Parlement, pourrait être fait cependant avec le prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu, une des rares réformes de fond récemment proposées et de grande portée sociale pour l'acceptabilité de l'impôt.

 Baisser les dépenses

 En toute hypothèse, une modification en profondeur de la fiscalité ne pourra être opérée que dans un contexte de baisse globale, ce qui signifiera une baisse des dépenses publiques. Celle-ci n'est jamais intervenue jusqu'à présent, la charge croissante de retraites nettement plus généreuses en France qu'ailleurs étant le principal sujet de préoccupation, comme le montre l'analyse de l'écart des finances publiques françaises et allemandes depuis 15 ans à laquelle procède Ivan Best. Il faudra donc à la fois une détermination durable et une meilleure gouvernance publique pour que les citoyens acceptent de quitter le bazar pour revenir graduellement au jardin à la française.

 Jean-Pascal Beaufret, ancien directeur général des impôts

 [1]   "Les coulisses de la politique fiscale », Michel Taly, PUF

*Sortir du bazar fiscal, éditions Les Belles Lettres

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Commentaires 10
à écrit le 22/11/2016 à 20:57
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Avec 5 ou 6 millions de fonctionnaires soit le double des autres états européens la semaine de 35h la retraite à 55 ans (vu dans la famille cette semaine) le nombre de retraités de la fonction publique pas bien fatigués prets pour devenir centenaires...

à écrit le 22/11/2016 à 17:14
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C'est vrai que l'impôt fait dérailler les politiques, qui, pour souvent de très bonnes raisons, mais aussi avec des égos de grenouilles gonflées de la tête, ont créé une usine à gaz pleine de niches fiscales, et pleine e taxes qui ne rapportent pas g...

à écrit le 22/11/2016 à 14:47
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"car payé par 45 % des contribuables seulement" Ah, si tout le monde avait un bon salaire pour pouvoir payer ces impôts ,malheureusement ce n'est pas le cas.Faut que monsieur Best demande au patronat pourquoi, les salaires sont si faible pour des ...

à écrit le 22/11/2016 à 12:12
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C'est très simple pour sortir du bazar fiscal : quitter la France ...ou devenir un élu du peuple. Car les élus ont légalisé la fraude fiscale pour eux-mêmes sous la forme d'indemnités non imposables dont ils se gavent. France paradis fiscal pour les...

à écrit le 22/11/2016 à 10:37
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" la charge croissante de retraites nettement plus généreuses en France qu'ailleurs" Vous n allez pas vous faire des copains vous ... Et c est pas Fillon qui va y changer quoique ce soit : les vieux c est le coeur de cible electoral des LR. Et 5 ans ...

le 22/11/2016 à 14:57
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Ca commence : En 2015, 594.000 personnes sont décédées en France, soit 6,1% de plus qu'en 2014, ce qui s'explique notamment par le vieillissement des "baby-boomers".593.680 personnes sont décédées en 2015, soit plus de 34.000 par rapport à 2014 (5...

à écrit le 22/11/2016 à 10:29
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La fiscalité française est très simple. Il suffit de demander à être imposé aux Pays Bas, puis de là aux Antilles.

à écrit le 22/11/2016 à 10:27
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Il faudrait surtout supprimer les charges patronales qui sont un impot masqués et qui detruisent de l'emploi. Ces charges pourraient etre remplacé par une taxe sur les rentes inutiles : l'immobilier ancien. En effet l'immobilier ancien (>10 ans) ...

le 22/11/2016 à 14:59
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"Il faudrait surtout supprimer les charges patronales qui sont un impot masqués " Pas pour tous: Les cotisations sociales correspondent donc à une part socialisée du salaire, c'est-à-dire collectée par des organismes appelés caisses afin d'être ...

à écrit le 22/11/2016 à 10:12
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Oui, mais s'il faut comparer les retraites françaises et allemandes autant aller jusqu'au bout du raisonnement et insister sur les prix de l'immobilier (achat et location) sensiblement plus bas en Allemagne qu'en France. J'ai payé 90 000 euros mon 90...

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