Le coavionnage, nouveau défi collaboratif en l'air

Faut-il autoriser « le vol à frais partagés », qui est au transport par petits avions ce que Blablacar est à la SNCF ? La France marche sur ce sujet à rebours de la réglementation européenne, qui estime cette pratique légale à condition que l'information des passagers soit claire sur les risques. Par Philippe Portier, avocat, Jeantet.
Le coavionnage est une pratique collaborative qui consiste, pour des pilotes privés brevetés, à proposer leurs places vides sur un vol, généralement une promenade, par l'intermédiaire d'une plateforme numérique - à l'instar du covoiturage de type Blablacar -, à des tiers souhaitant rejoindre la même destination, ou partager une promenade aérienne, ainsi que les frais du vol.

Au mois de mars dernier, Pascal Terrasse concluait son rapport sur l'économie collaborative en recommandant à la France de rester pionnière en la matière, et d'éviter de créer des barrières qui n'existeraient pas ailleurs. Les offensives récentes de l'Urssaf ou du législateur contre certaines manifestations emblématiques de ces nouvelles formes d'organisation économique et sociale ne témoignent toutefois pas d'une appréciation homogène de ce sujet, enjeu pourtant majeur pour notre économie.

D'autant qu'au même moment se jouait en coulisses une escarmouche d'un autre genre, à propos du coavionnage. Cette pratique collaborative consiste, pour des pilotes privés brevetés, à proposer leurs places vides sur un vol, généralement une promenade, par l'intermédiaire d'une plateforme numérique - à l'instar du covoiturage de type Blablacar -, à des tiers souhaitant rejoindre la même destination, ou partager une promenade aérienne, ainsi que les frais du vol.

Une approche sécuritaire restrictive et asymétrique

Cette pratique s'est développée depuis quelques années en France sur le fondement d'un arrêté ministériel qui, depuis 1981, permet le vol à frais partagés dans le cadre du transport privé, moins réglementé que le transport commercial. Toutefois, devant l'émergence de plateformes numériques (Wingly, OffWeFly...), la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) a réuni, fin 2015, un groupe de travail sur le sujet, composé des principales plateformes de coavionnage, de la Fédération française d'aéronautique et de la puissante Union syndicale du personnel navigant technique UNSPT. Pour conclure, à la mi-janvier - sans que l'absence de consensus ne soit pour autant soulignée - qu'au nom de la sécurité des usagers, le coavionnage relevait du transport commercial et ne pouvait bénéficier de la règle de 1981.

La DGAC, interdisant ainsi de facto le « coavionnage », considère, suivant l'argumentaire à charge de l'UNSPT, que l'autorisation traditionnelle des vols à frais partagés ne visait qu'à permettre aux pilotes de faire profiter leurs « cercles familiaux et amicaux » de leur capacité de voler. Interprétation motivée par la priorité consistant à assurer la sécurité des usagers du coavionnage. La DGAC entreprit par la suite de parachever l'enterrement du coavionnage en demandant aux aéroclubs « toute affaire cessante » de « mettre fin à ce type de transport illégal ».

Les limites de cette argumentation sont évidentes. Rien ne justifie, tout d'abord, que l'on distingue des enjeux de sécurité variables selon la nature du lien entretenu entre un pilote et ses passagers : exposer la vie d'un proche non informé des risques encourus serait donc légitime, quand exposer celle d'un inconnu informé de ses risques par la plateforme collaborative ne le serait pas ? La même logique sécuritaire aurait logiquement interdit la légalisation, pourtant intervenue en août 2015, du covoiturage, qui expose les passagers de la route aux incuries potentielles des automobilistes...

Cette asymétrie d'approche est d'autant plus injustifiable que le droit européen, peu suspect de complaisance en matière de sécurité, écarte clairement depuis 2014 la qualification de transport commercial s'agissant des « vols à frais partagés » effectués avec un maximum de six passagers. Règle immédiatement transposée en droit français d'ailleurs, en février 2015. Or, si l'on peut admettre que le coavionnage n'ait pas été spécifiquement pris en considération par le régulateur en 1981, peut-on en dire autant en 2015, quand la pratique existait déjà de manière établie ?

C'est dans cette même logique que l'Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA) a récemment confirmé aux acteurs européens du coavionnage la légalité de leur pratique, tout en insistant sur la nécessité d'une information claire auprès des passagers, quant aux risques associés. Techniquement, la France pourrait encore revenir sur sa réglementation (de 1981 ou de 2015). Mais alors, au prix d'une palinodie juridique d'un genre douteux qui nous amènerait surtout, au nom d'un principe de sécurité à géométrie variable et à rebours des préconisations du rapport Terrasse, à nous distinguer de nos pays voisins, légalistes et favorables au coavionnage.

Une telle attitude accréditerait l'idée d'une appréciation à deux vitesses de l'économie collaborative. « Vertueuse » en l'absence de concurrence agissante, justifiant assouplissements réglementaires et tolérances fiscales (bien que les actions des transporteurs en autocar contre Blablacar, en Espagne notamment, soulignent le caractère subjectif de la « vertu » en matière économique). Accusée de tous les maux dans le cas contraire, justifiant de nouveaux corsets bureaucratiques, fiscaux ou réglementaires.

Un choix entre blocage et ouverture

Ici comme dans d'autres secteurs concernés par la rupture numérique, l'occasion nous est pourtant tendue de promouvoir, entre dynamisme entrepreneurial et impératifs d'ordre public, la recherche de solutions raisonnables, reconnaissant « que la transformation numérique s'impose à nous », comme le soulignait Pascal Terrasse, « sans renoncer aux exigences que l'on peut avoir face à la promesse d'une société plus humaine ». L'approche promue par l'AESA, quant à l'information des passagers, voire une limite au nombre d'heures de vol annuel envisageable, constitueraient des pistes de réflexion, et de dialogue infiniment préférables à une interdiction juridiquement indéfendable.

La France doit aujourd'hui faire un choix clair entre « rendre l'ensemble des réglementations sectorielles plus dynamiques et accueillantes pour l'innovation numérique, en offrant un droit à l'expérimentation de nouveaux modèles d'affaires », comme le préconisait en octobre dernier le Conseil d'analyse économique, ou se replier sur des blocages bureaucratiques, inspirés de postures corporatistes, habilement étayées de considérations d'intérêt général d'une pertinence discutable. Mais qui détournent l'attention du véritable sujet qu'est la concurrence de modèles et d'acteurs qui accompagne l'irruption des plateformes numériques dans notre système économique et social traditionnel.

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