Le COVID-19 va-t-il tuer David Ricardo  ?

OPINION. Parfois présentée comme un risque économique, la diversité des activités apparaît aujourd'hui comme une force face à la crise. (*) Par Paola Fabiani, Présidente-fondatrice de Wisecom et présidente du Comex40.
(Crédits : dr)

La crise économique consécutive à la pandémie du Covid-19 bat en brèche la théorie des avantages comparatifs et commande aux entreprises de se diversifier. S'il ne s'agit pas de remettre en cause les bienfaits du libre-échange, une actualisation des réflexions de David Ricardo s'impose au regard de la réalité économique actuelle.

On se souvient tous lors des cours d'économie au lycée, de la théorie des avantages comparatifs développée par David Ricardo au début du XIXème siècle. Corrigeant le modèle des avantages absolus d'Adam Smith, l'idée de l'économiste britannique est que chaque pays a intérêt à se spécialiser dans la production des biens pour lesquels son avantage comparatif est le plus élevé, c'est-à-dire dont les coûts relatifs sont les plus bas. A l'Angleterre la production de draps, au Portugal la production de vins.

Cela permet ainsi au pays d'échanger les biens qu'il ne produit pas et de s'insérer dans le commerce international, sur le même modèle qu'ont pu le faire les pays asiatiques et notamment la Chine durant la dernière partie du XXème siècle.

Pourtant, la dépendance géographique des entreprises tant en termes d'approvisionnements et de débouchés, mais aussi leur spécialisation en termes d'offres de biens et services - et donc de clients, placent aujourd'hui la plupart d'entre elles dans une zone de turbulence. A ce titre, on relèvera que la progression mondiale du Covid-19 a remis à la page les théories autour de la souveraineté notamment dans les pays occidentaux, en impliquant une réflexion sur l'impérieuse nécessité d'une remise en cause de certains processus de dépendance.

Néanmoins, si certaines sociétés vont être tentées de rapatrier leur production pour se prémunir contre la rupture des chaînes d'approvisionnement, le libre-échange n'en sera pas pour autant totalement bouleversé. Il s'agit donc moins de pratiquer une véritable tabula-rasa sur la façon d'appréhender les échanges commerciaux futurs que de réfléchir aux façons d'anticiper les crises à venir.

Lire aussi : Ceci peut ne pas être une crise !

Au contraire du secteur de l'industrie médicale qui a subi de plein fouet le confinement chinois du fait de sa dépendance aux importations, nombreuses sont les entreprises en France à avoir démontré leur capacité à se réinventer. En transformant leurs produits, leurs prestations, leurs manières de travailler tout en conservant leur cœur d'expertise, elles ont su faire preuve d'une forte capacité d'adaptation. Une adaptation d'autant plus forte que la plupart d'entre elles n'avaient pas forcement réfléchi en amont à cette réorientation stratégique, ces nouveaux produits, cette diversification... témoignant ainsi de leur agilité et de leur capacité de rebond.

Cette agilité justement, permise grâce à une diversification de ses offres, apparaît aujourd'hui comme un prérequis à la résilience. Dans le secteur immobilier par exemple, les groupes disposant aujourd'hui d'une marge de manœuvre sont ceux qui ont su diversifier leurs biens et services. En investissant dans le numérique pour la promotion, en s'orientant vers de nouveaux marchés à l'étranger tout en développant une offre touristique ou spécialisés pour les séniors en France, ces groupes sont, malgré la crise, plus en mesures de maintenir leurs perspectives. Parfois présentée comme un risque économique, la diversité des activités apparaît aujourd'hui comme une force face à la crise.

Dans un ouvrage paru il y a quelques années sur les mutations du monde économique et la nécessité de s'y adapter, Dominique Mockly pointait les risques de l'hyperspécialisation, qui devient un piège lorsque l'entreprise s'enferme sur son métier. Il relevait qu'au même titre que les facteurs de succès peuvent devenir des facteurs d'échec - le cas de l'entreprise Kodak positionnée sur les appareils à pellicule est un cas d'école - il est plus que nécessaire aujourd'hui pour les entreprises de combattre la logique d'enfermement partiel. Le concept d' « entreprise cerveau » que développe Dominique Mockly, entendu comme « une entité aux capacités démultipliées, moins hiérarchisée, en osmose avec son écosystème, riche de connexions internes et externes », est donc en réalité à bien des égards l'entreprise corona-résiliente.

L'hyperspécialisation doit ainsi laisser place à la diversification afin de mieux se préparer aux difficultés des marchés. Ceci est d'autant plus vrai que nous assistons à une accélération des crises, qu'elles soient économiques, sanitaires, écologiques, géopolitiques etc.

L'hétérogénéité des gammes de produits, de prestations et donc des typologies de clients - que ce soit au niveau social ou au niveau territorial - ainsi que des zones d'approvisionnement et de commercialisation, est ainsi le prélude nécessaire à la mise en place d'une stratégie d'anticipation de ces risques.

Ayant connu les guerres napoléoniennes et les conflits commerciaux violents et meurtriers entre britanniques et néerlandais, nul doute que David Ricardo n'aurait pas tenu rigueur aux entreprises de ne pas appliquer à la lettre sa théorie.

Lire aussi : COVID-19 : le plan d'urgence du gouvernement pour soutenir le commerce extérieur

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Paola Fabiani est élue de la CCI Paris, administratrice du MEDEF Paris et depuis 2019 présidente du COMEX40 du MEDEF.

Elle est l'auteure de l'ouvrage « Le savoir n'est plus le pouvoir » paru en 2018 (éditions Débats Publics).

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Commentaires 8
à écrit le 23/05/2020 à 11:15
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Grâce à la théorie de Ricardo, aux acheteurs des grands groupes qui ne veulent pas payer un peu plus pour acheter français, et à tous ceux qui disent qu'il ne faut pas robotiser parce que ça détruit des emplois, alors qu'on aurait pu en sauver beauco...

à écrit le 22/05/2020 à 7:18
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La remise en cause de Ricardo implique celle du libre-échange. Sans barrières douanières, il ne se passera rien.

à écrit le 21/05/2020 à 19:35
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Hyper spécialisation ou pas, le fond du problème, c'est que nous produisons trop, trop mal, ce qui génère un gaspillage colossal d'énergies et de compétences de toutes sortes. Les transports en dont la première source.

à écrit le 21/05/2020 à 18:25
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Je m'inquiete aussi de la santé de Schumpeter, les aides massives pourquoi pas, mais si c'est au detriment d'un renouvellement salutaire, si des activités ne sont plus utiles, necessaires les subventionner a fonds perdus pour qu'elles ne changent pas...

à écrit le 21/05/2020 à 15:33
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Une bien difficile tache que de s'attaque à Ricardo. Vous remarquerez quand même que la spécialisation pays par pays prenait par comparaison chez Ricardo des pays relativement proches. On pourrait s'interroger donc de savoir pourquoi l'europe ne p...

le 21/05/2020 à 16:46
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"flux tendus" de "stocks faibles" les stocks coûtant (argent immobilisé, gardiennage, ...) les pièces (automobiles par ex) circulent en camion de la production à l'utilisation (montage), le moindre grain de sable étant proscrit (ça bloquerait la cha...

à écrit le 21/05/2020 à 14:28
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Comme la spécialité de la Chine « pour les masques « avec une pandémie qui a fait plus de 350000 morts dans le monde ? Une mondialisation ratée ? next ? Une spécialité polyvalente pour chaque pays ... Une idée pour la «  continuité «  et donner de ...

le 21/05/2020 à 16:52
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Y a un pays qui produit la majorité des gants planétaires (trop de demande vs l'habitude, ne pouvait suivre), un autre les préservatifs, un autre les masques, effet de nombre, coûts plus faibles (et transport massif pas cher mais long, souplesse impo...

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