Le destin de la France dépend désormais de sa capacité numérique !

Il faut accepter l'idée que le numérique constitue un nouveau théâtre d'opérations, comme la terre, la mer, et l'air. Par Jacques Marceau, Président d'Aromates et Général (2s) Jean-Bernard Pinatel, Président de LP Conseil *

 Depuis des temps immémoriaux, le prix de la sécurité et de la paix pour un Etat était souvent celui d'une limitation de ses libertés et de son indépendance. Une perte de souveraineté néanmoins considérée comme acceptable au regard des bénéfices ainsi procurés par des alliances avec des Etats amis ou la protection d'un Etat plus puissant et surtout mieux armé.

Animé par la volonté de ne pas soumettre la défense de la France, ni de confier sa destinée à son grand allié américain, le général de Gaulle (1) a, en décidant le retrait de notre pays de l'OTAN en août 1967, rompu ce paradigme et introduit une nouvelle stratégie, celle de la réponse du « faible au fort », rendue possible par notre maîtrise des technologies nucléaires et la constitution de notre propre arsenal de dissuasion.

Nouvelle donne

La transformation numérique aujourd'hui à l'œuvre dans tous les domaines introduit une nouvelle donne dans la stratégie de défense des Etats dont les manifestations sont désormais de plus en plus visibles sans être, néanmoins et à ce stade, spectaculaires : blocages de sites internet, désinformation, attaques DDoS, manipulation de données sensibles, ... jusqu'aux récentes accusations d'ingérences russes dans l'élection présidentielle américaine de 2016 qui ont fait l'objet des représailles diplomatiques (2) les plus importantes depuis la guerre froide. Mais il est clair que cette réponse très conventionnelle à des attaques qui ne le sont plus, ne pourra être efficace, parce que devenue obsolète.

Dorénavant, et à l'heure du « tout numérique », la déstabilisation d'une entreprise, d'une organisation ou même d'un Etat peut être le fait d'un simple « hackeur » doté de moyens modestes en comparaison des armes conventionnelles. Plus besoin d'aviation, ni de bombes ou autre systèmes d'armes sophistiqués pour paralyser des voies de communication, anéantir des moyens de production ou provoquer de graves troubles dans l'organisation d'une société numérisée. L'objectif de l'assaillant n'est ainsi plus de mettre la main sur un territoire ou une richesse, mais de prendre la main sur le système qui les gouverne.

 Un théâtre d'opérations

La dissuasion consistait à prévenir un acte en persuadant celui qui l'envisageait que les coûts qui en résulteraient inéluctablement en excèderaient les bénéfices attendus (3). Mais ici l'acte peut être banal et le fait d'un individu isolé voire, ce qui est nouveau, d'une entreprise. Et la réponse d'autant plus problématique. Ainsi, autant la protection est une solution face à des hackers isolés, autant elle n'est plus adaptée face à des attaques étatiques appelant une réponse offensive et véritablement dissuasive.

L'espace numérique dans la défense devient ainsi un théâtre d'opérations comme le sont les milieux terrestres, aériens ou maritimes ; et qui peut s'étendre à l'entreprise en tant que les attaques qu'elle pourrait subir portent atteinte, non seulement à son activité mais encore à notre économie tout entière.

Capacités de protection et de rétorsion en permanence challengées par l'innovation sont donc devenus les attributs d'une nouvelle souveraineté qui requiert non seulement le plus haut niveau technologique mais encore la parfaite maîtrise des technologies numériques, donc le contrôle absolu de ceux qui les possèdent. Et nous voilà revenu à un cadre conventionnel où la protection est assurée par le fort ! Technologiquement cette fois-ci.

Perte de nos champions numériques

Dans ce contexte, la perte de nos champions du numérique ou leur fuite vers des contrées plus propices à leur expansion, la pénétration sournoise de nos organisations et acteurs économiques par des solutions informatiques sur lesquelles nous ne sommes plus en mesure d'exercer la moindre autorité sans oublier le pillage en règle de nos données par des entreprises hégémoniques du web, sont autant de menaces qui pèsent autant sur l'indépendance de notre pays que sur la liberté et la sécurité de ses citoyens.

Il est clair qu'aujourd'hui, notre souveraineté tout entière, c'est à dire notre capacité à choisir le monde dans lequel nous voulons vivre aujourd'hui et dans lequel nous voulons que nos enfants vivent demain, passe la maîtrise des technologies numériques.

A l'ère de l'internet des objets et de la cyberguerre, la vision naïve ou romantique d'un numérique libertaire est devenue dangereuse et il est grand temps que la France se dote d'une véritable et ambitieuse politique de souveraineté numérique.

*Jacques Marceau, Président d'Aromates, Membre du conseil Scientifique de l'Institut de la souveraineté numérique Expert à la Fondation Concorde

Et  Général (2s) Jean-Bernard Pinatel, Président de LP Conseil, Président d'honneur de la Fédération des Professionnels de l'Intelligence Economique, Senior Fellow of Westminster College, Vancouver, Canada

1. Charles de Gaulle, Discours et Messages - Tome 5, page 201 - Plon

2. Missy Ryan, Ellen Nakashima et Karen DeYoung, « Obama administration announces measures to punish Russia for 2016 election interference », The Washington Post,‎ 29 décembre 2016

3. Bruno Tertrais, « La logique de dissuasion est-elle universelle ? » [archive], sur Ministère de la Défense Site de référence

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