Le financement participatif et la reconstruction de Notre-Dame : les défauts de Quasimodo

IDEE. La vive émotion suscitée par la tragédie, qui intervient dans un contexte d'essoufflement du crowdfunding, est un élément clé de la réussite d'une levée de fonds participative. Par Emmanuel Zenou, Burgundy School of Business
(Crédits : Philippe Wojazer)

Les flammes qui ont ravagé Notre-Dame de Paris dans la nuit du 15 au 16 avril ont touché énormément de monde, et sidéré tous les observateurs ainsi que l'ensemble de la presse nationale et internationale. Si l'incendie a pu être maîtrisé au milieu de la nuit, il n'en reste pas moins des dégâts considérables, qui ont très vite généré le besoin de lancer des campagnes de dons, notamment via des plates-formes de financement, pour aider à la reconstruction de l'édifice. Et les cagnottes se multiplient très vite.

On ne peut manquer d'y voir un paradoxe avec l'actualité récente, plutôt pessimiste, sur le financement participatif (souvent appelé « crowdfunding »), qui en souligne plutôt l'essoufflement et la «crise de croissance». C'est que l'on pourrait analyser les défauts de ce mode financement comme étant aussi des atouts dans ces circonstances  mais exceptionnelles que nous vivons depuis le drame de Notre-Dame de Paris. Tel le personnage de Quasimodo, dont les défauts cachaient les qualités, les défauts de ce mode de financement pourraient paradoxalement éclairer son succès dans un tel contexte.

Quel rôle pour la foule ?

Fin 2018, à la mise en liquidation d'Unilend, l'un des pionniers du financement participatif, on soulignait tous les défauts de ce mode de financement, en partageant de forts doutes sur l'avenir de son activité. Pour expliquer pourquoi la dynamique du crowdfunding était retombée, on a évoqué leur trop faible volume de financement, qui ne permettait pas de compenser la commission prélevée sur les sommes prêtées (4 à 6 %), ou la hausse des mauvais payeurs, avec une hausse préoccupante des défauts de remboursements (près d'un 10 dix d'après une étude récente).

Le président de SmartAngels, fintech qui a décidé fin 2018 d'arrêter l'activité crowdfunding, évoque également la récente suppression de l'impôt sur la fortune (ISF), qui en retirant la possibilité de défiscaliser leur investissement à hauteur de 50 % aurait éloigné beaucoup de particuliers de l'investissement dans les entreprises en croissance.

Mais les autres aspects frustrants du crowdfunding concernent notamment la gouvernance d'entreprise : de nombreux articles soulignent le rôle particulier dédié à la « foule », qui est supposée également partager sa « sagesse », ses compétences, un large rôle « cognitif », voire créatif. Mais ces articles soulignent aussi combien les outils de gouvernance sont encore peu ou inégalement présents, voire frustrants pour la foule, qui se voit parfois, selon les projets ou les plates-formes, cantonnée au rôle de sleeping partner (associé commanditaire) sans aucun pouvoir.

À défaut d'outils de gouvernance repensés et opérationnels pour intégrer ces ressources cognitives, on risque en effet d'avoir (est-ce une des raisons expliquant la relative démotivation pour le crowdfunding ?) une foule cantonnée à des financements en love money, qui traduiront davantage la présence ou non d'un club de fans qu'une intégration de leur contribution cognitive. Ce biais d'optimisme évoqué dans certains articles pose question sur la pertinence d'un projet financé en crowdfunding : comment juger l'analyse d'un club de fans sur un projet ? Leur réponse est-elle représentative pour le marché visé ? Plus globalement, sans outils de gouvernance pour traduire et intégrer cet apport cognitif, à quoi sert le crowdfunding ? Et finalement, quel rôle pour la foule ?

Investissement émotionnel

Ces défauts ou frustrations portent pourtant aussi les germes de ce qui explique l'utilisation du financement participatif dans le cas de Notre-Dame de Paris : n'est-on pas typiquement dans le cadre d'un « investissement émotionnel » ? Participer sur ces plates-formes, n'est-ce pas surtout se mobiliser pour montrer un soutien ?

Une étude consacrée à analyser les motivations à participer à une opération de crowdfunding fait ressortir quatre déterminants essentiels pour la foule des financeurs :

  • Obtenir des récompenses ;

  • Aider les autres (attitude « philanthropique ») ;

  • Faire partie d'une communauté ;

  • Soutenir une cause (à laquelle le participant peut s'associer par rapport à ses croyances ou valeurs personnelles).

Nous voyons que ces éléments peuvent assurer justement le succès d'un financement participatif dans un cas exceptionnel comme celui du drame de Notre-Dame de Paris : certes, on attend souvent des financeurs un rôle d'apporteurs de love money, un investissement émotionnel probablement, un rôle de « soutien social » au projet principalement. Mais là où certains pourraient analyser une foule cantonnée à ce rôle, on peut aussi y voir un mode de financement adapté au besoin de pouvoir mobiliser rapidement un financement, par un soutien répandu de la population, un rôle social pour montrer et traduire son soutien moral et son émotion et pour finalement se mobiliser pour financer un projet en lien avec ses valeurs. Sous ses défauts apparents, ses manques en termes de gouvernance, ses frustrations sur le rôle qu'il fait parfois jouer à la foule, le financement participatif montre là, finalement, un bien joli visage...

The Conversation ______

 Par Emmanuel ZenouProfesseur de Finance d'Entreprise et Gouvernance d'Entreprise, Burgundy School of Business

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.