Le "jumeau numérique", une (r) évolution viable du monde de la santé ?

Dans l'univers de la santé, la (r)évolution du « jumeau numérique » se développe en permettant de mêler données de patients, intelligence artificielle et génomique de prédire au lieu de guérir. Par Héloïse de Thomasson, Consultante mc2i Groupe
(Crédits : DR)

Le terme de « jumeau numérique », ou « digital twin » n'est pas encore très connu. Introduit en 2003* par le Docteur Michael Grieves, enseignant à l'Université du Michigan, il est pourtant utilisé depuis plusieurs années dans les secteurs tels que l'aéronautique, l'automobile ou le nucléaire. En effet, quand les ingénieurs conçoivent une nouvelle voiture, un nouvel avion... le premier prototype est virtuel, c'est ce que l'on nomme le jumeau numérique. Pourquoi ce double numérique ? (1) Parce que en tant que réplique virtuelle d'un objet physique, il est capable de reproduire ses fonctionnalités à l'identique et de simuler ses performances et son fonctionnement dans un environnement réel. Cette technologie s'inscrit dans le modèle de l'industrie 4.0 permettant une connectivité sans frontière entre des entreprises de tous horizons.

Prédire pour ne plus avoir à guérir

Dans l'univers de la santé, cette nouvelle (r)évolution numérique se développe également car elle permet, en mêlant données de patients, intelligence artificielle et génomique de prédire au lieu de guérir. Comment ? En testant, par exemple, des traitements avant de les administrer au patient : il met ainsi la prédiction au cœur de la médecine de demain.

  • Mais concrètement ?

Une partie du fonctionnement du corps humain reste encore un grand mystère pour les chercheurs. Comment deux molécules vont-elles interagir ? Comment appréhender au mieux les cellules cancéreuses et les combattre ? Comment recréer un membre sur mesure ?

La solution paraît aujourd'hui pourtant évidente : pourquoi ne pas tester tout d'abord une prothèse ou un médicament sur un patient virtuel, votre jumeau numérique ? Passer des tests in vivo aux tests in silico (fait référence au silicium, matériau de base des microprocesseurs) ?

Ayez bien en tête que le jumeau numérique ne sera pas un robot, ou une reproduction de votre corps par une imprimante 3D, mais simplement un agrégat de données qui reflète le plus précisément possible votre organisme humain.

Simuler pour le meilleur

Zoom sur les principales applications dans la santé ainsi que des cas réels de simulation numérique qui transforment déjà les pratiques chirurgicales.

  • Des simulations d'opérations, pour entraîner le médecin dans les cas de chirurgies complexes et/ou s'adapter au maximum à la situation précise du patient. (2)

Aujourd'hui, 15 000 personnes meurent d'une rupture d'anévrisme chaque année (Il s'agit d'une dilatation de la paroi de l'aorte qui peut conduire à la mort). Jean-Noël Albertini, chef du service de chirurgie cardiaque et vasculaire au CHU de Saint-Etienne, teste aujourd'hui la simulation numérique dans le cadre de ces anévrismes.

Grâce à un programme développé par l'entreprise qu'il a cofondé, Predisurge, il est en effet désormais possible d'ajuster avec minutie la taille des endoprothèses, ces fameux stents que l'on doit poser en cas d'anévrisme. En scannant l'aorte d'un patient, il va obtenir le jumeau numérique de cet organe. La simulation du déploiement de l'endoprothèse va être ainsi réalisée dans le jumeau numérique afin d'être parfaitement adaptée à la morphologie. Elle va ainsi permettre d'obtenir un fichier numérique de modélisation qui sera transmis au fabricant et à partir duquel il fabriquera cette prothèse. En temps normal, il faut trois semaines pour adapter une endoprothèse à la bonne dimension ; avec la simulation numérique, le processus ne prend plus que deux jours.

"Quand on a une bombe à retardement dans le corps, c'est important d'être rapide. Et dans certains cas, le modèle numérique a même prédit les difficultés à venir », soulignait Gilles Vassal, Directeur de la Recherche Clinique de Gustave Roussy lors d'une de ses interventions.

  •  Des solutions personnalisées, en couplant cette technologie à celle de l'impression 3D (2)

Habituellement, pour la réalisation d'une prothèse, il faut mouler le pied du patient, puis fabriquer la prothèse en essayant d'imaginer l'angle idéal pour que le pied guérisse. L'entreprise Anatoscope va, grâce au jumeau numérique, obtenir une visualisation 3D de l'anatomie du pied permettant de réaliser une simulation bio-mécanique du mouvement du pied. Cette technologie permet de proposer des dispositifs médicaux bien plus adaptés aux corps du patient qu'auparavant.

C'est également le cas avec les prothèses dentaires. Les visualisations permettent de simuler l'occlusion, la fermeture entre les dents et la prothèse, afin de s'assurer qu'elle ait une forme parfaitement adaptée.

L'avenir du jumeau numérique en santé

Ces doubles numérisés pourraient également aider la recherche, en testant par exemple, l'effet d'une molécule dans l'organisme d'un patient de façon beaucoup plus rapide que ce que les tests cliniques permettent à ce jour. En effet, aujourd'hui, un médicament sur 8 en phase de développement ne voit pas le jour, avec au préalable plusieurs années de test ; et un patient recruté pour un essai clinique coûte en moyenne 10 000 dollars. La bio-simulation peut donc révolutionner les essais cliniques ! (3)

Elle va permettre aux médecins de mieux comprendre le mécanisme d'action de certains médicaments dans l'organisme avant même qu'ils y soient introduits. Pour certaines maladies rares, où il est difficile de recruter des patients pour les essais cliniques, le jumeau numérique pourrait également ouvrir de nouvelles possibilités. Les essais in silico ne vont pas remplacer les essais in vivo, mais seront un complément offrant beaucoup de possibilités :

  • L'accélération du développement des traitements.
  • Une diminution des coûts de recherche permettant le développement de nouveaux traitements.
  • Une diminution des essais sur l'homme et sur l'animal.
  • Un amoindrissement des risques en éliminant les scénarii dangereux.

" Ce que nous savons faire, à ce stade, c'est simuler certains organes, comme le cœur, le foie ou les poumons, dans un état sain ou pathologique, pour prédire l'action qu'aura sur lui telle ou telle molécule. Mais de là à simuler un organisme entier... ", confiat Bruno Villoutreix, dirigeant du laboratoire Molécules thérapeutiques in silico (Inserm/Université Paris-Diderot). (4)

Il reste encore beaucoup de recherche à faire afin d'optimiser les essais cliniques, mais cette technologie n'est qu'à son commencement et les perspectives sont immenses.

Le côté éthique

Aujourd'hui, aucune règlementation européenne ne vient encadrer ces pratiques, ce qui soulève de sérieuses questions éthiques, notamment sur la confidentialité des données et leur anonymisation. Il y a également la question de la récolte de ces données avec le consentement éclairé du patient. Nous ne savons pas forcément ce que l'on va découvrir. De plus, il s'agit de données de santé, de données personnelles relevant du secret médical.

Thierry Marchal, directeur Santé d'Ansys, éditeur de logiciels spécialisé en simulation numérique, et secrétaire général d'Avicenna Alliance, s'exprime sur le sujet : "Il faut trouver le bon compromis sur la protection de la vie privée, c'est pourquoi nous sommes demandeurs de règles. Il y a énormément d'innovations, mais on ne peut pas les appliquer, alors qu'on pourrait sauver tant de vies".

Les Etats-Unis sont eux, en pointe avec la FDA (l'autorité de santé américaine) qui encourage clairement les essais in silico, et qui a voté une loi pour valider les résultats de recherches obtenus par modélisation. Tina Morrison, l'une de leurs éminentes représentantes, s'est rendue à Bruxelles en septembre 2018 pour plaider la cause de la simulation numérique à l'invitation du Parlement européen. Affaire à suivre....

-----

Sources :

1. Bantegnie, Eric. Le jumeau numérique: nouveau levier de performance pour les entreprises. Le Journal du Net. [En ligne] 14 11 2018. [Citation : 18 04 2019.] https://www.journaldunet.com/solutions/expert/70075/le-jumeau-numerique---nouveau-levier-de-performance-pour-les-entreprises.shtml.

2. Tamaldi, Louisah. Les jumeaux numériques, une opportunité dans la santé. La Mutuelle Générale. [En ligne] 20 12 2018. [Citation : 18 04 2019.]

3. Rocfort-Giovanni, Bérénice. Votre jumeau numérique peut déjà être opéré. Et il prendra un jour des médicaments. L'OBS. [En ligne] 30 09 2018. [Citation : 18 04 2019.]

4. VERDO, Yann. Quand les essais cliniques plongent dans le virtuel. Les Echos. [En ligne] 19 06 2018. [Citation : 18 04 2019.]

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 19/07/2019 à 11:12
Signaler
Le jumeau numérique ? Une sorte d’essai numérique à distance des fonctionnalités mécaniques du corps ? Une traduction du corps humain en format numérique ? Ça semble utile pour la recherche médicale.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.