Le secret des bulles

OPINION. Champagne, bière, savon, marchés d'actions... Les bulles peuvent être de différente nature. Mais toutes partagent les mêmes facteurs de stress, et le même secret pour durer. Par Karl Eychenne, chercheur chez Oblomov & Bartleby
(Crédits : DR)

Ce qui se produit sous nos yeux n'est arrivé que 6 fois sur les 1.800 cas possibles depuis... 1871. Une telle résilience du marché d'actions américain face à de telles tensions sur les taux d'intérêt n'a été observée que dans 0,3% des cas depuis près de 150 ans, d'après les données archivées par le célèbre nobel américain Robert Shiller sur son incontournable site. Depuis le début de l'année, le SP 500 américain est en hausse de près de 9%, et les taux d'intérêt à 10 ans ont monté de 3,87 à 4,55%. Les deux mouvements pris séparément ne sont pas choquants, même s'ils ne sont pas fréquents. Mais les deux mouvements pris ensemble sont extrêmement rares, trop rares pour ne pas en parler.

Admettons donc que nous vivions une bulle sur les actions américaines. Doit-on pour autant trembler à l'idée qu'elle éclate bientôt ? La physique des bulles ainsi que certaines découvertes récentes (Everlasting bubbles and liquid films resisting drainage, evaporation and nuclei-induced bursting ; The presence of surfactants controls the stability of bubble chains in carbonated drinks) nous apportent quelques éléments de réflexion.

Les 3 causes d'éclatement d'une bulle

Qu'il s'agisse d'une bulle de champagne, de savon, de bière, ou de marché d'actions, une bulle éclate pour trois raisons. La première cause d'éclatement est le percement par une pointe ou même une poussière. Dans le cas d'une bulle sur les actions, cette pointe pourrait être interprétée comme la pointe des taux d'intérêt, dont la hausse excessive finit par crever la valorisation des actions (PER). Sauf que pour l'instant, nous venons de voir que la hausse des taux déjà bien significative n'a pas suffi à faire éclater la bulle sur les actions. Peut-être parce que nous avons affaire à un taux camard... un taux, dont la pointe, ne convainc personne, comme si cette pointe était dépourvue d'arguments, trop plate.  Parce qu'il est impossible d'imaginer que la Banque centrale américaine ne finisse pas par baisser ses taux directeurs à un moment où un autre dès cette année, par exemple.

Les deuxième et troisième causes d'éclatement de la bulle convoquent le même facteur de stress. Il s'agit du liquide formant la paroi de la bulle. Dans un premier scénario, c'est la force de gravité qui va exercer une contrainte sur le liquide. En coulant le long de la surface de la bulle, le liquide va alors amincir l'épaisseur en haut de la bulle, jusqu'à ce que cette épaisseur se délite. S'agissant d'une bulle sur les actions, cet amincissement de l'épaisseur pourra être assimilé à une contraction des marges des entreprises, anticipant infine une contraction des bénéfices (délitement de l'épaisseur de la bulle). Souvent évoqué comme un risque, il ne semble pas que ce scénario soit aujourd'hui privilégié par les analystes. Les bénéfices sont anticipés en hausse de près de 10% aux États-Unis pour 2024. Mieux encore, les analystes ne cessent de réviser à la hausse leurs prévisions, compte tenu de la vigueur de la croissance économique.

Dans un deuxième scénario, le liquide à la surface de la paroi de la bulle tend à s'évaporer, provoquant là encore un amincissement de l'épaisseur, jusqu'à l'éclatement. Dans le cas d'une bulle actions, cette évaporation pourra être interprétée comme l'effondrement d'un mythe, du narratif qui avait jusqu'alors porté le marché sur des sommets. L'histoire de la finance nous propose quelques précédents, tels que la bulle tech. (2000) entretenue par le mythe d'une nouvelle ère de la productivité dopant la croissance des bénéfices anticipée à long terme. Autre précédent, la bulle des subprimes (2008) entretenue par le tour de magie des agences de notation qui à l'époque pondaient des AAA en mélangeant des BBB. Sommes - nous aujourd'hui sous l'emprise d'un tel effet ? ... l'IA ? La hausse des actions semble largement animée par la promesse d'un monde de l'entreprise nimbé d'algorithmes, sublimant toutes les potentialités de l'homo economicus. Il semble encore trop tôt pour se faire une idée précise : rêve lucide ou cauchemard en devenir ? Alors pour être certain de ne pas perdre la foi, une technique efficace pour entretenir la bulle consiste à vaporiser un peu d'eau dans l'air ambiant pour limiter les pertes d'eau de l'enveloppe. Dans le cas de la bulle actions entretenue par le mythe, ce pschitt de vaporisation sera interprété comme une nouvelle sortie qui fait le buzz : chatGPT, Sora, Neuralink, nouvelle puce Nvidia... Et c'est reparti pour un tour.

Nous avons donc fait l'inventaire des 3 causes possibles d'éclatement d'une bulle. Et nous avons conclu qu'à ce jour, aucune de ces 3 causes ne semble en mesure de percer la bulle actions. Toutefois, tout pourrait dépendre du type de bulle actions auquel nous avons à faire.

Bulle de champagne, bière, ou savon ?

Les bulles de champagne sont les plus élégantes, et ce qui impressionne c'est leur hausse en droite ligne, sans provoquer d'éclatement des bulles avoisinantes. Ce qui semble bien correspondre à la situation présente sur les actions. D'ailleurs, l'agent tensioactif qui la protège confère à la bulle de champagne une saveur particulière, comme la bulle actions qui a la saveur de l'IA ? Mais non. Ces bulles de champagne sont trop petites pour ressembler aux bulles actuelles des actions, et de toute façon finissent par éclater à la surface. Il y a les bulles de bières, plus grosses, et qui montent aussi en ligne droite. Mais à la différence des bulles de champagne, elles n'éclatent pas vraiment à la surface, mais terminent en mousse, une mousse qui peut même finir par déborder. On se rapproche ! on est pas loin du tsunami que peut provoquer un krach sur les actions, qui finit par déborder l'économie réelle.

Mais la bulle la plus ressemblante est la bulle de savon. Plus indigeste que le champagne ou la bière, mais bien plus solide. Des bulles de savon dont le fameux liquide entourant la paroi présente des propriétés bien plus intéressantes que celles des bulles de champagne ou de bière. Des propriétés qui lui permettent de résister à l'amincissement de l'épaisseur du haut fragilisant d'ordinaire les bulles : on appelle cela l'effet Marangoni. D'ailleurs, la science avance à ce sujet puisqu'elle vient d'imaginer certains procédés qui permettent d'augmenter la durée de vie d'une bulle. Il s'agirait d'ajouter certains additifs permettant de solidifier davantage encore cette fameuse paroi entourant bulle. En finance, on appelle ces additifs des discours accommodants de la Banque centrale. À suivre.

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Commentaire 1
à écrit le 12/04/2024 à 9:23
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Merci beaucoup et je comprends l'extraordinaire difficulté à expliqué l'économie actuelle sans parler de la main visible de l'oligarchie, visible mais dont il est interdit de parler. Et c'est bien cela qui tue la science économique, car l'économie po...

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