Les carrières aménagées contribuent à protéger la biodiversité

OPINION. Dans son discours de politique générale, le nouveau Premier ministre Jean Castex a insisté sur la lutte contre l'artificialisation des sols. Ces déclarations s'inscrivent dans le cadre du Plan National Biodiversité qui vise le zéro artificialisation nette (ZAN). Reste à définir ce que cela signifie... Par Christian Lévêque, hydrobiologiste, directeur de recherches émérite de l'Institut de recherche pour le développement (IRD).
En matière d'environnement, les carrières font l'objet depuis 1971 d'une obligation de remise en état c'est-à-dire la restitution à l'issue de l'exploitation d'un site sécurisé et bien inséré dans le paysage.
En matière d'environnement, les carrières font l'objet depuis 1971 d'une obligation de remise en état c'est-à-dire la restitution à l'issue de l'exploitation d'un site sécurisé et bien inséré dans le paysage. (Crédits : Shane McLendon)

En réalité, le le zéro artificialisation nette (ZAN) semble vouloir opposer artificialisation des sols et protection de la biodiversité, ce qui est un a priori discutable quand on ne se  trouve pas dans le contexte d'une urbanisation galopante. Prenons l'exemple des carrières, une activité industrielle par excellence, souvent perçues comme une atteinte à l'environnement.

Nous consommons annuellement en France, et depuis des décennies, 50 millions de tonnes de substances comme l'Andalousite, les argiles nobles, les argiles pour terre cuite, le gypse, la calcite, la craie, la diatomite, le feldspath, le kaolin, le mica, la pierre à chaux, le quartz, la silice, le talc... et environ 340 millions de tonnes de granulats et de pierre ornementales destinées principalement à la construction. Le tout extrait de carrières le plus souvent à ciel ouvert. On imagine que le sol de notre pays est ainsi un véritable gruyère... mais est-ce pour autant une atteinte à la biodiversité ?

Des contraintes légales strictes

En matière d'environnement, les carrières font l'objet depuis 1971 d'une obligation de remise en état c'est-à-dire la restitution à l'issue de l'exploitation d'un site sécurisé et bien inséré dans le paysage. Après exploitation, une carrière peut en effet retrouver d'autres usages. Par exemple, devenir un plan d'eau urbain comme le lac de Créteil, une ancienne carrière reconvertie au milieu des années 1970. D'autres sont transformées en base de loisirs à l'exemple du Grand Parc de Miribel-Jonage près de Lyon qui est une ancienne gravière... Plus rarement, certaines carrières deviennent des sites touristiques comme le Colorado provençal près d'Apt, situé sur d'anciennes carrières d'ocre aux multiples couleurs. On peut aussi leur redonner, en milieu rural, une fonction agricole ou sylvicole en les comblant après exploitation si elles sont peu profondes[1],[2]. Enfin, on leur trouve maintenant un intérêt manifeste en matière de conservation de la biodiversité[3].

La réhabilitation, recrée de la biodiversité

En effet, une fois l'exploitation terminée, les trous vont être recolonisés et vont s'ensauvager créant ainsi de nouveaux systèmes écologiques, selon des phénomènes de succession écologique initiés par des espèces dites pionnières et qui ont été bien étudiés dans certaines régions[4]. Nul besoin pour cela d'aider la nature, la recolonisation est spontanée. Les espèces voyagent sans aucune difficulté d'un endroit à un autre en utilisant des moyens de transport à leur disposition dont les mammifères et les oiseaux.

Mais on peut faire beaucoup mieux si l'on prend soin de réaliser quelques aménagements avant l'arrêt de l'exploitation. Selon le contexte géographique et climatique, on peut ainsi orienter l'évolution du site en favorisant certains types d'habitats et donc les espèces qu'ils hébergent. C'est le rôle de l'ingéniérie écologique[5]. Par exemple, quand c'est possible, créer un maximum de berges en pente douce pour faciliter l'installation des macrophytes et des espèces qui préfèrent les faibles profondeurs. On peut aussi recréer des hauts fonds et des ilots qui accueilleront des oiseaux nicheurs. Bref, en fonction des espèces que l'on veut privilégier, on crée les conditions favorables à leur installation.

Positiver le phénomène d'anthropisation

Les citoyens soumis à la pression des messages anxiogènes, qui visent à leur faire croire que l'homme détruit la biodiversité, ne réalisent pas toujours à quel point la nature que nous aimons en Europe est une nature anthropisée, à l'image du bocage, de la Sologne ou de la forêt des Landes, qui ne sont pas une nature vierge (Lévêque 2018[6]). Les carrières sont certes des systèmes artificiels, car créées par l'homme à l'instar des paysages agricoles, mais ce sont des systèmes écologiques fonctionnels qui contribuent à l'entretien et à la dynamique de la biodiversité. Ce ne sont pas des systèmes écologiques « dégradés » et de seconde zone, et certains d'entre eux ont même été labellisés comme sites de conservation. Des scientifiques remettent d'ailleurs en cause la dichotomie entre systèmes dits « naturels » supposés vierges d'activités humaines et les systèmes artificiels ou anthropisés qualifié parfois de dégradés.

Ainsi, pour Miller & Bestelmeyer (2016)[7], par exemple, le concept de nouvel écosystème est une manière de désigner une catégorie dcosystème qui n'a pas d'analogue historique, sans la connotation négative du terme « dégradé » souvent associé à ces milieux anthropisés. Répétons-le, ce n'est pas parce qu'un système écologique est artificiel qu'il ne joue pas un rôle positif dans la dynamique de la biodiversité. Le parc dit naturel de Camargue, par exemple, est en réalité une création artificielle résultant d'aménagements rizicole et d'exploitation du sel.

Dans une perspective positive, si les carrières modifient les paysages, quand elles sont correctement aménagées, ce sont des systèmes écologiques fonctionnels[8] contribuant à la diversification des paysages, qui hébergent de nombreuses espèces qui n'auraient pas été présentes localement en leur absence. Pour les carrières en eau, comme pour les étangs, le rôle de ces masses d'eau dans la préservation d'une riche biodiversité locale est largement reconnu par les scientifiques[9] car ces points d'eau attirent de nombreuses espèces terrestres ou aquatiques.

Sortir du catastrophisme ambiant

Il faut donc se garder des discours simplistes et catastrophistes qui accusent en permanence l'homme de détruire la nature... Si l'urbanisation à outrance et l'imperméabilisation des sols entrainent sans aucun doute des pertes en biodiversité, d'autres activités contribuent au contraire à son maintien, voire à une plus grande diversification. Ce rôle positif des activités humaines devrait être mieux reconnu et valorisé car il ouvre des perspectives au lieu d'engendrer la sinistrose. Nous avons de nombreux exemples en France où la biodiversité est liée à des usages du sol ou des eaux et/ou à des pratiques. Ainsi, si l'on déplore à juste titre la réduction des zones humides, ces nouveaux écosystèmes que sont les carrières, et plus généralement les masses d'eau artificielles lorsqu'elles ont été judicieusement aménagées, sont au contraire des opportunités pour de nombreuses espèces aquatiques ou terrestres de trouver de nouveaux habitats. Soyons vigilants mais positifs !

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(*) Christian Lévêque est auteur de nombreux ouvrages notamment La biodiversité : avec ou sans l'homme ? : réflexions d'un écologue sur la protection de la nature en France.

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[1] Le réaménagement agricole des carrières. Exemples de restitution de sols agricoles. https://www.unpg.fr/wp-content/uploads/le-reamenagement-agricole-des-carrieres.pdf

[2] Lefeuvre J.C. (sous la direction de), 2010. Carrières, biodiversité et fonctionnement des hydrosytèmes. Buchet/Chastel, Ecologie.

[3] Frochot B. & al., 2000. Intérêt écologique et implications économiques des réaménagements de carrières. Méthodes d'évaluation et étude des trajectoires et vitesses d'évolution. Rapport du Programme "Recréer la Nature". Université de Bourgogne, Dijon, 57 p

[4] Frochot B. & Godreau V., 1995. Intérêt écologique des carrières, terrils et mines https://www.nss-journal.org/articles/nss/pdf/1995/05/nss199503sp66.pdf

[5] Gestion et aménagement écologiques des carrières de roches massives. Guide pratique à l'usage des exploitants de carrières. ENCEM, Juin 2011. https://www.unicem.fr/wp-content/uploads/gestion-et-amenagement-ecologiques-des-carrieres.pdf

[6] Lévêque C., 2018. La Biodiversité : avec ou sans l'homme ? Réflexions d'un écologue sur la protection de la nature en France, Ed. Quæ,

[7] Miller J.R. & Bestelmeyer B.T., 2016. What's wrong with novel ecosystems, really? Restoration Ecology, 24: 577-582.

[8] Carrières. Biodiversité et fonctionnement des hydrosystèmes. Buchet-Chastel. Ecologie. https://www.unpg.fr/wp-content/uploads/resume-anglais-francais-carrieres-biodiversite-hydrosystemes.pdf

[9] Touchart L. & Bartout P., 2020. Les aspects positifs des étangs. In Bravard & Lévêque (éd. sci.) : La continuité écologique. Regards de scientifiques. L'Harmattan.

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Commentaire 1
à écrit le 17/09/2020 à 16:11
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Article très intéressant qui vient à l'encontre de certaines idées reçues. On pourrait ajouter que les carrières de roches massives, quand elles ne peuvent être comblées, génèrent des falaises qui accueillent très souvent de nombreuses espèces d'oise...

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