Les effets pernicieux des bonus

Loin de doper la performance des entreprises, les bonus contribuent à rendre leurs bénéficiaires moins efficaces et découragent les salariés qui en sont privés. Par Michel Santi, économiste

Les bonus, « retraites chapeau » et les méga salaires des dirigeants d'entreprise sont manifestement un mécanisme de transfert des richesses. A cet égard, la retraite supplémentaire de 300'000 euros par an de Philippe Varin payée par PSA Peugeot Citroën fait pâle figure en comparaison des rémunérations des grands patrons américains. Nicholas Woodman, fondateur de GoPro mérite-t-il ses 285 millions de dollars annuels ? Et David Zaslav, PDG de Discovery Communications, ses 156 millions ? Larry Ellison d'Oracle ses 103 millions ? Ou encore Marissa Mayer, membre de la direction générale de Yahoo, dont le salaire de 42 millions de dollars perçu en 2014 fut 70% supérieur à celui de l'année précédente ?

Des bonus qui démotivent et nuisent à la productivité des salariés

La transparence imposée aux Etats-Unis par la loi Dodd-Frank et celle de mise en France ne suffit à l'évidence pas car, hormis l'aspect totalement immoral de tels revenus quasiment « contre nature », des études récentes montrent que les bonus élevés nuisent à la productivité. De telles rémunérations génèrent en effet des conflits entre patrons et salariés, et ont très clairement comme conséquence de démotiver les subordonnées. Les conseils d'administration devraient donc doser attentivement ces gros bonus qui auraient donc l'effet diamétralement opposé auprès de celles et ceux qui n'en bénéficient pas, et qui ont donc un impact dévastateur sur la rentabilité de l'entreprise, selon les conclusions de Jorg Oechssler, Anwar Shah et de Nikos Nikiforakis.

Partager les bonus

Il semblerait en outre que les efforts et que l'esprit d'initiative du salarié s'effondrent dès lors qu'il doive travailler en équipe avec un cadre bénéficiant d'une rémunération ou d'un bonus très important. Ce dernier exemple plaide en faveur d'un bonus à partager par toute une équipe en lieu et place d'une rétribution offerte au seul leader. Mais ne négligeons pas par ailleurs les effets pervers de la fameuse loi dite de « Yerkes-Dodson » car une étude récemment menée par Uri Gneezy a bel et bien confirmé que des primes au succès élevées entamaient notoirement les performances de leurs récipiendaires avides de résultats et dont les nerfs finissent par craquer. Des expérimentations un peu plus anciennes n'ont-elles pas démontré sans équivoque que les bonus élevés des traders étaient générateurs de bulles spéculatives, car ceux-ci étaient dès lors « naturellement » enclins à manipuler les prix ou à ne se préoccuper que des opérations rentables sur le court terme ?

L'Université de Jérusalem ayant quant à elle trouvé que l'octroi de bonus avait tendance à réduire les efforts de leurs bénéficiaires dès lors que ceux-ci n'étaient pas bien encadrés. Pour être efficace, le bonus devrait en effet, selon cette étude, être accompagné d'une direction qui entoure et qui jauge constamment les subordonnés dont les résultats deviennent donc observables. Le bonus a donc l'effet strictement inverse, à savoir qu'il induit un relâchement du travail et de la productivité du salarié, si le patronat est distant et confiné.

Les "back offices " découragés

La « London School of Economics and Political Science » n'est-elle pas parvenu à une conclusion similaire dans une recherche où elle constatait les effets pervers pour l'entreprise des rémunérations à la performance ?
Enfin, Jean Tirole a souvent évoqué les pertes significatives en terme d'efficience provoqués par les bonus qui accordent implicitement bien plus d'importance à leurs bénéficiaires et qui, en contrepartie, minimisent le rôle et la fonction de ceux qui en sont exclus au sein de la même entreprise. L'illustration et le contresens les plus frappants étant les traders aux gros bonus par rapport aux employés des « back offices » censés précisément contrôler les risques pris par ces mêmes traders mais qui, pour autant, ne perçoivent aucune rémunération particulière... Bref, cette inégalité de traitement démotive manifestement celles et ceux n'ayant pas la chance de bénéficier de bonus qui se retrouvent donc de facto en situation d'infériorité par rapport aux plus chanceux et qui, du coup, n'ont pas envie de multiplier les initiatives dans un tel contexte.

Croissance et égalité sont complémentaires

L'inégalité flagrante des revenus entame ainsi substantiellement la satisfaction au travail et réduit logiquement la productivité des salariés et des travailleurs (étude Berkeley). L'inégalité réduit en outre la confiance de ces salariés en leur propre entreprise et en leur encadrement, avec des effets négatifs bien compréhensibles sur la croissance économique. Pour reprendre les termes de Joseph Stiglitz lors du tout récent World Economic Forum tenu à Mexico, l'époque où l'on estimait que croissance et égalité étaient des notions déconnectées est désormais révolue. « Les deux sont complémentaires, et nous aurons nécessairement une croissance plus forte si nous réduisons les inégalités extrêmes ».

  Michel Santi est macro économiste et spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est l'auteur de : "Splendeurs et misères du libéralisme", "Capitalism without conscience" et "L'Europe, chroniques d'un fiasco économique et politique".

Vient de publier "Misère et opulence", préface rédigée par Romaric Godin.

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Commentaire 1
à écrit le 11/05/2015 à 19:02
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Ben oui pourquoi s'investir quand seule une petite minorité de gens bien placés se remplissent les poches. La plupart des entreprises fonctionnent comme des sociétés féodales.

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