Les immigrés menacent-ils vraiment les finances publiques ?

ANALYSE. La contribution nette des immigrés au budget est généralement négative depuis 1979 mais ce déficit reste de faible ampleur, dans une fourchette de plus ou moins 0,5% du PIB. Par Lionel Ragot, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières et Isabelle Bensidoun, CEPII.
(Crédits : Reuters)

Les immigrés peuvent être perçus comme une menace pour les finances publiques du fait des prestations sociales qu'ils reçoivent. Mais c'est oublier qu'ils y contribuent aussi, par les impôts, taxes et cotisations qu'ils versent. Lionel Ragot, conseiller scientifique au CEPII et professeur d'économie à l'université Paris Nanterre, nous explique, en répondant aux questions d'Isabelle Bensidoun, économiste et adjointe au directeur du CEPII, pourquoi les immigrés ne sont ni un fardeau ni une aubaine pour les finances publiques.

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On entend parfois dire que les immigrés sont attirés par la générosité de notre système de protection sociale. Est-ce le cas ?

Il faut tout d'abord souligner que les flux d'immigrés en France sont, à proportion de sa population résidente, parmi les plus faibles des pays développés. Avec un taux d'immigration de 0,4% en 2018, notre pays accueille proportionnellement deux fois moins d'immigrés que l'Allemagne et même trois fois moins que la Suède. On est donc loin de flux massifs et incontrôlés qui déferleraient chaque année sur le territoire français, attirés par un niveau de vie plus élevé et une protection sociale généreuse.

Ensuite, il s'avère que la population immigrée a connu, comme celle des natifs, une amélioration des niveaux de qualification au cours des quarante dernières années, avec une baisse conséquente du poids des faiblement qualifiés (diplôme inférieur au baccalauréat) et un accroissement du poids des moyennement et hautement qualifiés, au point que la part des hautement qualifiés (diplôme supérieur ou égal à bac+3) parmi les immigrés (21,7%) est en 2020 légèrement supérieure à celle des natifs (20,1%).

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La frange de la population la plus susceptible de faire appel aux aides sociales s'est donc fortement réduite. Toutefois, il n'en reste pas moins vrai que si la part des faiblement qualifiés a fortement diminué pour les deux populations, elle est restée à un niveau sensiblement plus élevé dans la population immigrée (57,3% contre 48,9% en 2020).

Mais si les immigrés sont en moyenne moins qualifiés que les natifs, cela implique qu'ils bénéficient plus des prestations sociales et contribuent moins aux recettes publiques. Dès lors, cela devrait creuser le déficit public, non ?

Le niveau de qualification est effectivement une des caractéristiques importantes, avec l'âge, pour déterminer la contribution nette d'un individu aux finances publiques, à savoir la différence entre l'ensemble des contributions qu'il verse sous forme de prélèvements obligatoires aux administrations publiques (impôt sur le revenu, TVA, cotisations sociales, CSG, etc.) et tous les bénéfices qu'il en retire (prestations sociales, dépenses d'éducation, de santé, pensions de retraite, etc.).

Un individu faiblement qualifié (FQ dans le graphique 1 ci-dessous), peu importe qu'il soit natif ou immigré, a une contribution nette positive, mais sensiblement plus faible que celle d'un individu hautement qualifié (HQ dans le graphique 1) durant sa vie active (entre 20 et 60 ans). Par la suite, une fois la retraite arrivée, la contribution nette devient négative (comme lorsque l'on est jeune) pour les deux catégories d'individus.

L'opinion publique discerne très bien ces différences liées au niveau de qualification et comme elle a à l'esprit que les immigrés sont en moyenne moins qualifiés que les natifs, elle en déduit que la population immigrée dans son ensemble pèse sur les finances publiques.

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Mais si, entre 20 et 60 ans, un immigré en moyenne verse effectivement moins de prélèvements obligatoires et perçoit plus de prestations publiques diverses qu'un natif, cela ne signifie pas que l'impact sur les finances publiques des immigrés considérés dans leur ensemble soit plus défavorable que celui des natifs. Tout dépend de la structure par âge des deux populations.

Or, comparativement aux natifs, les immigrés sont concentrés sur les âges où l'on est en activité, entre 20 et 60 ans (graphique 2), c'est-à-dire aux âges où la contribution nette est positive, même si elle est inférieure à celle des natifs. Cet effet structure par âge favorable compense en grande partie la structure par qualification défavorable.

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Notre dernière étude sur données françaises met ainsi en évidence une contribution nette des immigrés généralement négative sur le budget entre 1979 et 2011, mais d'ampleur très faible, comprise dans une fourchette de plus ou moins 0,5% du PIB. Il en résulte que durant toute cette période, l'immigration en France n'a jamais déterminé l'ampleur et l'évolution du solde budgétaire primaire. Il faut noter que cette neutralité budgétaire des immigrés n'est pas spécifique à la France, on la retrouve pour la plupart des pays de l'OCDE.

Faut-il déduire de cette spécificité démographique de la population immigrée qu'elle pourrait constituer une solution face au vieillissement de la population française, en particulier pour le financement des retraites ?

En rajeunissant instantanément la population française, une politique migratoire plus ambitieuse (à structure par âge inchangée des flux migratoires) aurait effectivement des effets positifs sur les comptes de l'assurance vieillesse et ceux de l'assurance maladie (les plus affectés par le vieillissement démographique).

Un individu hautement qualifié ayant une contribution nette budgétaire sensiblement plus élevée, on comprend alors les recommandations pour une politique migratoire plus sélective (en faveur des plus qualifiés).

Cependant, une politique migratoire plus ambitieuse ne constitue pas la solution face au vieillissement démographique. Elle peut en réduire le fardeau fiscal comme on vient de le voir, mais elle ne peut en aucun cas contrecarrer ce processus de vieillissement.

Car pour maintenir constant le ratio de dépendance (le ratio des plus de 65 ans sur les 16-64 ans), il faudrait doubler la population tous les 40 ans via les flux migratoires, ce qui aboutirait en 2050 à une part des immigrés dans la population de plus de 50% (contre 10% en 2020). En effet, si un flux supplémentaire d'immigrés plus jeunes produit bien l'effet recherché initialement sur le ratio de dépendance, ces immigrés finissent eux aussi par vieillir, ce qui nécessiterait des flux migratoires encore plus importants par la suite pour que ce ratio n'augmente pas.

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Par Lionel Ragot, Conseiller scientifique au CEPII, professeur d'économie, Université Paris Nanterre - Université Paris Lumières et Isabelle Bensidoun, Adjointe au directeur, CEPII.

Cet article est publié dans le cadre de la série du CEPII « L'économie internationale en campagne » un partenariat CEPII-The Conversation.

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Commentaire 1
à écrit le 29/03/2022 à 13:22
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Article très intéressant. Merci.

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