Les questions au gouvernement, la commedia dell'arte impossible à réformer ?

OPINION. Moment politique intense, une nouvelle mouture des questions au gouvernement (ou « QAG ») a été proposée pour enrayer le désintérêt des députés, des ministres, et des téléspectateurs. La Présidente de l’Assemblée a décidé de prolonger l’expérimentation qui pour l’instant ne semble pas porter ses fruits. Par Mélody Mock-Gruet*, docteure en droit public, enseignante à Sciences Po Paris
(Crédits : DR)

Au fil des législatures, les QAG sont devenues un temps fort de la vie parlementaire. Inscrites dans la Constitution depuis la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, « une séance par semaine au moins [...] est réservée par priorité aux questions des membres du Parlement et aux réponses du gouvernement ». Elles doivent donc être obligatoirement organisées, laissant une grande place à l'opposition qui en dispose au moins de la moitié (article 133 du Règlement de l'Assemblée nationale).

Mais la qualité du débat parlementaire souvent contestée et l'absentéisme fréquent des députés et des membres du Gouvernement ont poussé la Présidente de l'Assemblée nationale a proposé une nouvelle formule. Au mois de novembre 2023, la Conférence des présidents avait fait évoluer le format, revenant au rythme de deux séances par semaine jusqu'à la mi-février. Cette semaine, il a été décidé de poursuivre l'expérimentation jusqu'à la fin de la session ordinaire. La Présidente de l'Assemblée nationale a alors écrit à tous les députés pour leur annoncer la nouvelle, en attirant leur attention sur plusieurs points.

Yaël Braun-Pivet a « insisté auprès du Premier ministre sur le fait que les réponses des ministres devaient être précises, exhaustives et spontanées. » Ce vœu pieux va à l'encontre même de la procédure des QAG. Il n'y a aucune obligation de transmettre au préalable les questions aux ministres (1). Même si en fonction de l'actualité ils se doutent de certaines questions, les ministres n'ont pas les moyens de répondre de façon précise, ne connaissant pas le contenu à l'avance, à la différence des questions orales sans débat. Les groupes d'opposition ont d'ailleurs traditionnellement tendances à interpeller le Premier ministre, même si le champ concerne un ministre en particulier.

De plus, la Présidente a indiqué « que sa présence [le Premier ministre], ainsi que celle de l'ensemble des membres du gouvernement, lors des deux séances de questions, était essentielles ». Là encore, cette difficulté n'est pas nouvelle. Déjà Valéry Giscard d'Estaing, dans son message adressé au Parlement du 30 mai 1974, demandait « au Premier ministre et à l'ensemble des ministres d'être présents à cette séance du mercredi, afin de répondre personnellement et directement aux questions ». Pour les questions orales au Gouvernement, le Conseil constitutionnel avait considéré qu'un ministre au banc, même si ce dernier n'était pas celui qui avait été interpellé, pouvait répondre au nom du Gouvernement (décision n°23-25 DC du 21 janvier 1964).

En outre, la Présidente de l'Assemblée demande « une participation importante des députés [étant] également indispensable. » Il était déjà prévu qu'aucune réunion ne devait se tenir dans l'enceinte du Palais Bourbon aux horaires de séances. Mais l'horaire du mercredi 14h-14h45 est assez utilisé pour le travail parlementaire comme les rendez-vous des députés et il n'existe aucune obligation de présence à la différence de la commission du mercredi matin.

Enfin, la lettre précise que « La réflexion doit se poursuivre quant au format de ces séances, pour renforcer leur intérêt ». Le Premier ministre Gabriel Attal envisage d'être questionné seul dans l'Hémicycle par les députés, s'adressant à lui directement, et non aux ministres. Yaël Braun-Pivet avait proposé cette idée à Elisabeth Borne qui avait refusé. Ce format est inspiré de la pratique anglaise, qui durent une demi-heure le mercredi, débutant par une question ouverte d'un dirigeant de l'opposition. Le Premier ministre lui répond, le député pouvant poser jusqu'à six questions. La même procédure est renouvelée par l'autre patron de la deuxième force d'opposition. On a du mal à voir pour l'instant la transposition possible en France avec l'Assemblée actuelle, étant composée d'oppositions beaucoup plus disparates, ainsi que d'une majorité plurielle.

Les QAG transforment bien souvent l'Hémicycle en théâtre, les députés s'invectivant et n'attendant nullement la réponse du Gouvernement, utilisant des techniques pour se faire remarquer comme le carton rouge, ou encore le député Jean Lassalle, arborant en novembre 2018 un gilet jaune en soutien au mouvement. En réalité, les QAG permettent aux députés un positionnement politique, voire une posture, et le Gouvernement de parfois faire des annonces. La pratique est d'ailleurs un peu différente au Sénat, dont le poids à été renforcé et qui n'a aucunement l'attention de laisser le créneau du mercredi au lieu du jeudi qu'il a réussi à décrocher.

Les QAG, sorte de commedia dell' arte, dépendent avant tout des acteurs et non de la salle du théâtre. D'où la complexité pour les réformer. Les pouvoirs de contrôle du Parlement ne se trouvent pas nécessairement dans cet outil, mais dans d'autres dispositifs beaucoup moins connus par les médias et le grand public et qui mériteraient d'être mis en avant.

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(1) Le Sénat précise même que : « Pour préserver la spontanéité des échanges, les sénateurs n'ont pas l'obligation de transmettre par avance leurs questions aux ministres qu'ils comptent interroger ».

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(*) Mélody Mock-Gruet, docteure en droit public, enseignante à Sciences Po Paris, spécialiste de l'Assemblée nationale et auteure du livre « Le Petit Guide du Contrôle Parlementaire », Ed. L'Harmattan.

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Commentaire 1
à écrit le 24/02/2024 à 9:23
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Avec internet nous voyons que nos politiciens ne osnt plus que les passes plats des marchés financiers là pour toujours plus prendre aux français afin de donner à des mégas riches qui fuient l'impôt français et qui en plus se servent de notre pognon ...

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