Manifeste pour la French Fab

Par Alexandre Rigal, Directeur général délégué d'Arts et Métiers, par Nicolas Dufourcq, Directeur général BPI France.
(Crédits : DR)

Un mouvement s'est mis en marche à travers le monde, celui de la 4ème révolution industrielle. A l'instar des trois premières, cette révolution amène avec elle des ruptures technologiques profondes qui vont bouleverser les systèmes de production durablement. Tous les pays du monde s'y sont engagés, la France également sous le vocable d'Industrie du futur. Il faut reconnaître à cette expression - par certains aspects maladroite - le mérite de parier sur l'avenir de notre industrie ce qui en soi, déjà pour la France, est un début de révolution.

Trop longtemps notre pays a tourné le dos à son industrie. Là où nos principaux partenaires étrangers en ont fait un exemple de leur dynamisme, mettant en avant des success stories, vecteurs d'attractivité et de motivation chez les jeunes, nous avons laissé le poison de la désindustrialisation gangréner notre économie et pire encore notre imaginaire populaire. L'Artisan, l'Agriculteur sont des figures positives. Le travailleur de l'industrie, l'homme ou la femme travaillant dans une usine, c'est autre chose. Car l'Industrie, c'est un bâtiment aux toits triangulaires surmontés d'une haute cheminée donc s'extraient par le haut de la fumée qui pollue et par la porte des hommes et des femmes en colère et sans emploi. Triste représentation qui traduit bien plus qu'une crise économique, une crise de société. Comment a-t-on pu laisser une société tourner le dos à tout un pan de son économie ? La vitalité économique de notre pays a toujours reposé sur le dynamisme de son industrie. Nos plus belles périodes de croissance - qui ont également été celles qui ont donné lieu aux plus grandes conquêtes sociales - ont toutes coïncidé avec nos plus belles réussites industrielles. A ces périodes, l'excellence de la France était synonyme d'innovation industrielle et ses plus belles productions étaient des fiertés nationales, clés d'attractivité. Notre industrie racontait alors une histoire, celle de sa réussite et des hommes et des femmes qui l'incarnaient.

Les démons de la désindustrialisation nous ont fait perdre confiance en notre industrie, et on travaillé l'imaginaire français. Depuis quelques années, il se passe quelque chose. Le gouvernement a décidé de faire de 2019 "L'année de l'industrie, l'année de la FrenchFab" car s'y concentrent de nombreuses initiatives qui ont été muries depuis quelque temps : l'industrie française est vivace, présente sur tout le territoire, innovante, exportatrice. Elle a retrouvé ses niveaux de marge de 2007. Elle ouvre plus d'usines qu'elle n'en ferme. Elle commence doucement à changer d'image. Sa représentation sociale a laisse quantité d'entrepreneurs orphelins et en manque de considération de la part de la collectivité nationale. On commence à comprendre que l'industrie allemande s'incarne dans le Mittelstand, qui exprime à la fois une réalité d'organisation économique et des valeurs fondamentales. Le Mittelstand lui-même produit son propre "grand récit" tout entier tourné vers l'industrie 4.0, un équipement symbolique hautement mobilisateur pour les entreprises allemandes, producteur de fierté et de confiance en soi. Le résultat est évident : là où l'industrie allemande représente plus de 20% du PIB de nos voisins outre-Rhin, sa part atteint 12,4% du PIB français. Derrière le couple Mittelstand-Industrie 4.0, c'est tout un projet politique qui se déploie. C'est ce même pari que la France commence aujourd'hui à relever. Nous devons redonner de la fierté à notre industrie. Nous devons collectivement être fiers de notre industrie, nous réconcilier avec elle. Et c'est le bon moment, parce que la 4ème révolution industrielle est là. Mais aussi parce que pour la première fois depuis longtemps notre jeunesse se remet à croire en son industrie. Depuis 2013, le baromètre Arts et Métiers / Opinion Way mesure l'attrait des lycéens pour ce secteur. En 2019, l'envie d'industrie atteint auprès de cette population son meilleur niveau avec 80% de jeunes qui se disent confiants dans l'avenir du secteur (+11 points depuis 2013). Nous devons saisir l'opportunité de ce formidable élan. Attaquée de toute part dans sa représentation, l'industrie française s'est repliée sur elle-même. C'est fini. Elle doit désormais parler à son pays et lui raconter une histoire, lui donner des perspectives d'avenir. Nous devons créer notre Mittelstand à la Française.

C'est exactement d'un même déficit d'incantation que souffrait l'écosystème des start-up avant le lancement du mouvement la FrenchTech. La French Tech a tout accéléré. Ce dernier exemple montre qu'avec un peu de détermination, on peut en quelques années installer une identité collective rapidement autoportante, productrice d'énergie, de reconnaissance, de fierté, et de réassurance autour de la culture du progrès.

C'est le mouvement que les Industriels et l'Etat ont lancé autour de la French Fab. L'Industrie ne doit plus seulement parler aux industriels dans des salons confidentiels. Elle doit parler aux Français, leur offrir des choix, des opportunités, un futur et c'est sur notre jeunesse que nous devons miser pour qu'elle est la fierté de se revendiquer « French Fab ». Nous sommes deux acteurs à chaque extrémité du monde industriel. L'un ouvert aux jeunes au travers de la formation et de la recherche, l'autre en appui des entreprises pour les aider à rayonner et innover. Aujourd'hui, nous affirmons notre volonté partagée de porter le projet de société qu'est la French Fab. Il est temps d'engager des actions concrètes et volontaires. La French Fab doit se mettre en mouvement et nous voulons en être les moteurs et fédérer derrière nous tous les acteurs de l'industrie, de la formation jusqu'à l'entreprise. L'industrie française doit construire son écosystème alliant Formation - Recherche - production et réunissant l'ensemble des acteurs de la filière dans un dialogue permanent. Cela passe par assumer enfin, la refondation d'une filière de formation et de recherche d'excellence technologique par la création d'établissements d'enseignement supérieur et de Recherche ouvertement dédiés à la technologie. Des lieux ouverts construisant leur offre et développant leur activité dans des partenariats repensés avec le monde industriel réellement partie prenante de leur développement. Des clubs French Fab dans tous les territoires. Des « champions » technologiques qui doivent être les attracteurs d'une filière technologique totalement repensée. Car comment revaloriser les métiers de l'industrie auprès des jeunes lorsque les filières les plus proches de ce secteur sont perçues comme des voies d'orientation par défaut pour des milliers de collégiens et lycéens ? La réforme de l'apprentissage est de ce point de vue un moment clé.

Nous devons amener les jeunes à redécouvrir ces territoires inconnus de l'industrie. Nos entreprises sont partout en France. Nous devons leur donner le goût de les découvrir en les attirant vers elles. C'est le projet que nous portons aux côtés de l'Etat et des industriels, de Volontariat territorial en Entreprise, véritable VIE à l'échelle du pays et au service des PME. Nous dessinons le rêve de voir des milliers de jeunes diplômés chaque année commencer leur vie professionnelle dans les territoires dans une PME. Leur employabilité sera considérablement augmentée, et l'expérience acquise les portera toute leur vie.

C'est de cela dont nous avons manqué  : d'enthousiasme industriel ! Les grands « moments fédérateurs » autour de notre industrie, à l'instar du salon de l'Agriculture sont en train d'arriver : le label nouveau grand salon français Global Industries, l'Usine Extraordinaire au Grand Palais, en ce moment même le French Fab Tour qui a lieu actuellement et qui parcourt la France en 60 étapes pour aller à la rencontre des français, et enfin cette semaine, le rendez-vous annuel de la Semaine de l'Industrie, une semaine French Fab de fête industrielle autour des valeurs du Coq Bleu.

Une révolution industrielle c'est un formidable moment de croissance, une opportunité rare de développement. Ce doit être aussi une occasion de progrès social et nous devons saisir cette chance. Nous ne pouvons déclencher cet élan que si on s'y met tous, entrepreneurs, décideurs, professeurs, État, Régions, Fédérations professionnelles.

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Commentaire 1
à écrit le 19/03/2019 à 10:23
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La "French fab"... ça commence mal. Heureusement qu'il y a les québécois pour créer des expressions en français plutôt que d'importer des anglicismes.

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