Médicaments : mettre fin à l'hémorragie de la recherche

Pour stopper la disparition de toute innovation dans le médicament en France, il faut inventer des solutions de financement innovantes. Pourquoi pas une fondation à but non lucratif? Par Bernard Meunier, Professeur au Collège de France, Chaire d'Innovation Technologique Liliane Bettencourt (2014-2015), Membre de l'Académie des sciences.
Bernard Meunier

L'innovation française se porte bien dans le domaine du numérique et c'est une très bonne nouvelle pour les jeunes entrepreneurs et pour l'emploi. Dans d'autres domaines, comme celui de la pharmacie, la situation est plus difficile, les groupes industriels ferment les centres de recherche implantés en France dans les années 1960-1970 pour regarder à l'étranger, vers les États-Unis, la Chine ou l'Inde. À l'exception d'un agent de contraste créé par une société française et homologué en 2013 par la FDA, l'agence américaine du médicament, aucun nouveau médicament venant de la recherche d'une société française n'a été enregistré aux États-Unis en 2013 ou 2014. Comment la France qui était dans le trio de tête pour la création de médicaments dans les années 1960 s'est-elle laissée distancer ?

 L'achat de candidats-médicaments venant d'entreprises innovantes


Depuis les années 1980-90, la valse des fusions-acquisitions a conduit à la création de très grands groupes dans l'industrie pharmaceutique dont la stratégie de recherche est très souvent axée sur l'achat de candidats-médicaments venant d'entreprises innovantes de petites tailles et non plus de centres de recherche internes. Ceux-ci jouent le rôle de recruteurs de projets pour les accompagner jusqu'aux autorisations de mise sur le marché. La création et l' développement de médicaments assurent de nombreux emplois tout le long de la chaîne de créations de valeurs. Un modèle économique basé uniquement sur l'achat de médicaments génériques venant des pays de production à bas coûts n'est pas viable à long terme (absence d'emplois qualifiés, aucune rentrée financière liée aux brevets, ...).

De nouveaux modes de financement...


Que nous faut-il pour retrouver notre place dans l'innovation thérapeutique ?
- Sortir les centres de recherches de la loi des 35 heures et des RTT. Cette loi est difficilement applicable dans le domaine du numérique, mais reste un frein pour le développement des laboratoires de recherche industriels. Laissons les chercheurs négocier eux-mêmes leurs conditions de travail avec leurs employeurs.
- Trouver des modes de financement permettant de traverser la « vallée de la mort » pour les sociétés qui créent des candidats-médicaments, surtout dans les domaines à haut risque comme les maladies neurodégénératives (depuis 2004, tous les essais cliniques de nouvelles thérapies anti-Alzheimer ont été des échecs). Il faut soutenir les créateurs et éviter de financer les projets à la mode.

-L'allongement du temps entre la recherche initiale et la mise sur le marché d'un médicament est maintenant supérieure à 12-13 ans, ce qui ne permet pas au capital-risque classique s'assurer la totalité du financement de la création de médicament par les « jeunes pousses ».  Cela conduit à ne développer que les sociétés axées sur la mise au point plus courte de nouveaux outils de diagnostic ou de revendre très vite ces jeunes sociétés à des groupes étrangers puissants en perdant l'espoir de voir se créer des entreprises puissantes. Les jeunes « biotechs » américaines des années 1980-1990 sont devenues les nouvelles grandes entreprises de l'industrie pharmaceutique mondiale.
- Après sélection d'un candidat-médicament, les coûts du développement préclinique réglementaire et des phases cliniques I et II dépassent souvent les 30 à 40 millions d'euros, selon les domaines thérapeutiques. Les quelques exemples de jeunes sociétés ayant réussi à lever de telles sommes en France ces dernières années sont les arbres qui cachent l'absence de forêts. Il faudrait des dizaines d'autres cas pour espérer trouver une dynamique assurant une reprise de la création de nouvelles entreprises pharmaceutiques de taille mondiale.

La "vallée de la mort", phase la plus délicate du développement des médicaments


- Comment créer un fonds de 1 à 2 milliards d'euros pour financer la phase la plus délicate du développement des candidats-médicaments, cette « vallée de la mort » ? Certainement pas avec des fonds publics à un moment où les finances publiques sont en très grande difficulté, ni avec l'argent des grands groupes pharmaceutiques qui attendent les produits à la sortie de la vallée de la mort. Les pays anglo-saxons ont compris depuis longtemps que la meilleure manière de garder les grandes fortunes sur leur territoire d'origine ne consiste pas à les stigmatiser, pour reprendre une expression à la mode, mais à leur proposer des dispositions fiscales leur permettant de s'inscrire dans des actions philanthropiques d'envergure, alliant la prise en charge d'actions hors budgets publics et ayant le soutien de l'opinion publique. Depuis la création de l'impôt sur la fortune (ISF), plusieurs instituts de réflexion considèrent que la fuite des capitaux à l'étranger a été de l'ordre de 100 à 200 milliards d'euros. La somme évoquée plus haut n'est que 1% de cette dernière.

...jusqu'à des fondations à but non lucratif?

Osons rêver à la création d'une fondation à but non-lucratif, alimentée par des dons largement défiscalisés venant de personnes assujetties à l'ISF pour des montants pouvant aller jusqu'à 10 millions d'euros. Ceci n'est pas un détournement de l'argent des impôts, au contraire cela contribuera à maintenir sur le territoire national les fortunes existantes, au lieu de faire le bonheur des paradis fiscaux. Une telle fondation, avec un statut proche de celui des fondations de coopération scientifique, puissante, dirigée par des personnalités compétentes, serait capable de financer des dizaines de développement de nouvelles thérapies, permettant soit d'accompagner une jeune entreprise dans son développement vers une dimension internationale ou bien assurant le rachat de ces nouveaux médicaments par des groupes internationaux à des coûts garantissant le juste prix et un retour sur investissement de haut niveau. Les bénéfices de telles opérations seraient répartis entre les jeunes entreprises et leurs investisseurs.

Oser des propositions iconoclastes


Une telle proposition va être discréditée par les spécialistes du statu quo -parlons mais ne faisons rien-, et tous ceux qui attendent que les investissements viennent comme les champignons après la rosée du matin, en oubliant qu'il faut un terreau favorable. Alors, osons des propositions iconoclastes pour faire avancer des projets et donner des perspectives à jeunes entreprises, comme au temps de l'industrie française dynamique et pionnière, c'est-à-dire il n'y a pas si longtemps, juste avant que l'on nous vante la société post-industrielle. Utopique cette proposition de fondation privée aidant à passer la vallée de la mort ? L

L'exemple du Téléthon

La démonstration de la validité de cette méthode vient d'être fait par des investisseurs privés aidés par l'AFM-Téléthon pour le développement d'une molécule, l'olésoxime, en voie de validation pour le traitement d'une maladie rare, l'amyotrophie spinale. Ce futur traitement vient d'être racheté à un très bon prix par le groupe suisse Roche. Une nouvelle molécule, le corlanor développé par Amgen, vient d'être agréée aux États-Unis pour traiter les risques de rechute chez les cardiaques. Qui se souvient que la découverte de cette molécule a été faite en France chez Servier ?
Créer en France et développer à l'étranger, voici le nouveau standard de l'innovation thérapeutique française pour ceux qui n'ont pas encore installé leurs centres de recherche à Boston comme Sanofi ou plus récemment comme Ipsen, renforçant ainsi le duopole Boston-Shanghai dans le domaine du médicament.

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Commentaires 6
à écrit le 24/05/2015 à 7:00
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Je redis bien que "copier, ça n'est pas joli!". Les génériques ne sont qu'une prime donnée à des profiteurs qui n'ont jamais fait d'effort de recherche et se contentent de récupérer le travail des autres.

à écrit le 23/05/2015 à 21:10
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Pensez ce que vous voulez : copier, ça n'est pas joli !!! La copie reste la prime aux médiocres qui n'ont pas réfléchi.

à écrit le 22/05/2015 à 22:31
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Il serait bon que vous nous fassiez un topo précis des marges du secteur avec toute la verticale, depuis la conception jusqu'aux mutuelles et consommateur final. On comprendrait certainement mieux.

à écrit le 22/05/2015 à 21:21
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Pourquoi poursuivre ce modèle délétère reposant sur les génériques ? On a oublié ce que l'on nous apprenait à l'école : copier, ce n'est pas joli ! En favorisant les simples copieurs on a tué ceux qui pouvaient chercher. Ne cherchons pas ailleurs la ...

le 23/05/2015 à 11:06
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Vous semblez bien mal connaître ce sujet: Le médicament générique n'est pas une "copie", c'est une spécialité qui reprend le même principe actif (fabriqué dans les mêmes usines souvent que le princeps: "médicament de marque"). Les vraies copie...

le 27/05/2015 à 12:06
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Voici enfin un commentaire sensé et raisonnable. Le développement des médicaments génériques permet de réaliser des économies collectives conséquentes et n'ont jamais limités les recherches. Au contraire, ils se développent lorsqu'un produit a perdu...

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