Micro-méthaniseurs : la solution pour mieux valoriser les déchets en ville ?

La méthanisation est une technique bien connue de valorisation des déchets. Appliquée à l’échelle domestique, elle peut faire partie des solutions visant à réduire la pollution urbaine. Par Anne Trémier, Irstea

Malmö (Suède) en 2001. Un éco-quartier de 18 hectares ouvre ses portes. Il étonne par son habitat varié, son objectif de 100 % d'énergies renouvelables et son tri des déchets ultramoderne. À Ithaca, dans l'État de New York, un écovillage de 90 maisons tend avec succès vers une autonomie alimentaire et énergétique. En France, un label ÉcoQuartier existe pour souligner les efforts d'aménagement durable. On peut citer, parmi ses bénéficiaires, le quartier des Courtils, à Bazouges-sous-Hédé en Bretagne, qui a promu une politique très active d'économie d'énergie et de recyclage des déchets dans un cadre de vie favorisant le lien social.

Quatre milliards de personnes vivent aujourd'hui en ville dans le monde. La population urbaine, qui augmente de près de 2 % par an, devrait représenter 70 % de la population mondiale en 2050.

Pour répondre aux besoins de cette population grandissante - en logements, en nourriture, en déplacements et en énergie - tout en relevant les défis du changement climatique, de la pollution de l'air et de la raréfaction des ressources naturelles, la ville se doit de repenser ses fonctionnalités et ses rapports à la nature et à l'écologie. Rendre la ville durable est donc une nécessité.

Des villes très énergivores

La quantité très importante de déchets (1,3 milliard de tonnes par an dans le monde en 2012) produite par la population urbaine place les villes sous une pression environnementale, économique et sociale majeure. Parallèlement, la consommation énergétique des espaces urbains représente près de 67 % du total mondial.

Or en Europe, selon les pays, de 14 à 47 % de ces déchets sont biodégradables ; dans les pays en voie de développement, cette part de biodéchets grimpe à plus de 60 %. S'ils peuvent générer des odeurs, des gaz à effets de serre, des lixiviats et des problèmes sanitaires en cas de mauvaise gestion, les biodéchets sont aussi une ressource valorisable énergétiquement et agronomiquement. Ils représentent donc une richesse à exploiter pour les villes. La méthanisation est une manière de les valoriser.

Le développement de la méthanisation

La méthanisation est un procédé biologique qui dégrade la matière organique et produit un biogaz riche en méthane, lequel est utilisable pour produire de l'énergie, ainsi qu'un digestatriche en azote assimilable par les plantes.

En Assyrie, on retrouve déjà, au Xe siècle avant J.-C., des traces de bains chauffés avec du biogaz. En Europe, les premiers développements significatifs de la méthanisation sont apparus beaucoup plus récemment, dans les années 1970, après les crises pétrolières. Plusieurs milliers de tonnes de déchets ont alors commencé à être traités, dans les fermes ou à l'échelle industrielle, dans des réacteurs de traitement appelés les digesteurs.

Dans d'autres parties du monde, la méthanisation s'est cependant développée à une échelle beaucoup plus petite, avec des micro-méthaniseurs de quelques mètres cubes, destinés à une utilisation domestique. Au début du XXe siècle, des digesteurs sont ainsi construits en Chine pour fournir de l'énergie à des villages ruraux éloignés de toute production d'énergie centralisée. Une croissance exponentielle de l'installation de ces systèmes a été notée à partir des années 1970 : on en relevait plus de 30 millions en Chine et en Inde en 2007. En Amérique latine, l'aboutissement de milliers de projets de micro-méthanisation est prévu pour 2020.

Des solutions multiples

Les digesteurs existent principalement sous trois formes différentes : à dôme fixe ou dôme flottant ; il y a également le digesteur piston ou tubulaire. Toutes ces technologies sont relativement rustiques. Il s'agit de limiter la consommation d'énergie intrinsèque à la technologie et d'éviter des opérations de maintenance technique complexes. Aucun équipement ne vient compléter le réacteur afin d'optimiser la réaction biologique : pas de brassage du déchet dans le réacteur, pas de maintien d'une température favorable (c'est-à-dire de 37 à 55 °C) par un chauffage extérieur. Pour pallier cette simplicité technique et assurer une production de biogaz efficace, les digesteurs sont le plus souvent enterrés : ils bénéficient ainsi de l'isolation naturelle du sol et évitent l'impact des variations climatiques sur les processus biologiques.

Le biogaz produit est utilisé directement en combustion pour la cuisine ou le chauffage, pour alimenter des unités de cogénération d'électricité, des lampes à biogaz ou encore des réfrigérateurs à gaz. Ces systèmes de micro-méthanisation rustiques sont très intéressants car ils permettent d'acquérir une certaine autonomie énergétique localement, à partir du recyclage de déchets. Cependant, leur efficacité environnementale est questionnable car il existe une forte suspicion de fuites de biogaz et donc d'émissions non-contrôlées de gaz à effets de serre.

Des solutions technologiques de micro-méthanisation, inspirées de ces systèmes rustiques, mais adaptées au contexte occidental, ont également été développées en Europe, aux États-Unis ou encore en Israël. Elles se veulent simples et peu encombrantes et visent à répondre à la transformation des déchets de quelques foyers ou d'un quartier, de restaurateurs, de grandes surfaces ou encore de petites industries agroalimentaires. Le micro-méthaniseur domestique proposé par la société Homebiogas, en est un bon exemple, tout comme celui testé en Angleterre dans le cadre d'un projet communautaire dédié à la valorisation circulaire des déchets de cuisine.

Des solutions plus intégrées existent aussi. On peut penser à ce container, transportable et duplicable, qui contient à la fois le réacteur biologique de méthanisation et les équipements techniques de valorisation du biogaz (notamment la génération d'électricité). Ce type de système est d'ores et déjà installé au Portugal (voir la vidéo ici).

De nombreux freins demeurent

En France, plusieurs textes de loi sont favorables à l'élaboration de solutions au plus près des producteurs. C'est le cas de la réglementation sur la valorisation des biodéchets des gros producteurs, ou encore, plus récemment, de la loi du 17 août 2015 sur la transition énergétique pour la croissance verte, qui instaure l'obligation de généraliser le tri à la source des déchets à l'horizon 2025.

Néanmoins, de nombreux freins existent encore et limitent le déploiement des micro-méthaniseurs urbains. Il reste, malgré les quelques démonstrations pilotes citées précédemment, à démontrer que ces technologies sont suffisamment maîtrisées et robustes pour répondre aux exigences sanitaires, environnementales et sécuritaires européennes.

La réglementation n'est d'ailleurs à ce jour pas vraiment adaptée : en France, si un arrêté est en cours de révision pour la mise en œuvre du compostage de proximité, il n'inclut pas la micro-méthanisation. Celle-ci doit donc faire l'objet d'une autorisation en tant qu'installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE), dont la complexité pourrait rebuter les porteurs de projets.

D'autre part, la performance environnementale et le coût global de réseaux urbains de micro-unités de méthanisation doivent être évalués. Enfin, l'implantation même de ces unités bouscule l'organisation des systèmes de gestion centralisée des déchets. Il convient donc de repenser les métiers associés à cette gestion. De même, dans un contexte décentralisé, l'exercice de la responsabilité de la collecte et du traitement de déchets doit-il rester du ressort des EPCI ou revenir aux communes ou encore à l'échelle des producteurs de déchets ?

Tous ces freins sont autant de questions que propose d'étudier le projet européen H2020 DECISIVE afin de démontrer l'intérêt et la viabilité de ce nouveau paradigme de gestion décentralisée des biodéchets urbains.

The Conversation ______

 Par Anne TrémierIngénieure de recherche, Irstea

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

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Commentaires 3
à écrit le 11/09/2017 à 9:05
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En France, les lois et leurs déclinaisons normatives, renchérissent et découragent toutes les initiatives qui pourraient faire concurrence aux monopoles si juteux des multinationales de l'énergie. Vous êtes surpris ?

à écrit le 11/09/2017 à 8:44
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La logique voudrait que l'on réduise la quantité de déchets, s'il est encore temps ? Les déchets verts et « bio déchets » ne sont pas réellement le problème, dans le pire des cas ils servent de compost. Le problème ce sont les autres déchets dont...

à écrit le 10/09/2017 à 12:38
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La micro-méthanisation doit être reliée au réseau "gaz" de la ville ? Ou directement chez les gens ? Comme pour l'électricité, être connecté permet de pallier les manques, les baisses de pression ou de production. Pour être autonome il faudrait stock...

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