Mobilité électrique  : un enjeu de souveraineté majeur

OPINION. Dans son discours de planification écologique le 26 septembre, le Président de la République a rappelé qu'il souhaite un pays souverain dans la construction de voitures électriques avec, comme ligne d'horizon, 2035 et l'interdiction de la vente de nouveaux véhicules thermiques en Europe. Par Anna Creti, Professeur d'économie à l'Université de Paris Dauphine-PSL
(Crédits : DR)

1 million de voitures électriques devraient donc être produites en France dès 2027. Si cette ambition est perçue comme une étape incontournable sur le chemin de la transition énergétique, elle soulève une préoccupation majeure : dans un contexte d'augmentation des prix des carburants et d'une compétition internationale féroce pour l'accès aux matériaux critiques, le sujet de la mobilité électrique est éminemment stratégique pour la souveraineté de la France et de l'Europe. Et ce dans toutes les formes que la souveraineté peut prendre.

Premièrement, notre souveraineté « énergétique »

L'électrification des mobilités suppose un accès fiable et à faible coût aux métaux essentiels à la fabrication des batteries, en particulier le lithium. Les chiffres sont frappants : selon l'Agence internationale de l'énergie, entre 2017 et 2022, la demande du secteur de l'énergie a été le principal facteur à l'origine d'un triplement de la demande globale de lithium, une augmentation de 70% de la demande de cobalt et une hausse de 40 % de la demande de nickel. Au niveau européen, 35 fois plus de lithium seront nécessaires en 2050 pour répondre aux ambitions d'électrification.

Ces besoins massifs vont inévitablement susciter des tensions avec des hausses de coûts probables dans les prochaines années (voire des difficultés d'approvisionnement) et ce d'autant plus que la production est dominée par une poignée de pays seulement : l'Australie, qui compte 20 % des réserves mondiales et l'Argentine, le Chili et la Bolivie qui en concentrent 60 %. La Chine n'est pas en reste : selon Bloomberg New Energy Finance (NEF), la Chine raffine en 2022 sur son sol 60% du lithium mondial, contrôle 77% des capacités de production de cellules de batterie et 60% de la fabrication mondiale de composants de batterie...

Malgré ces tensions - qui ont vocation à s'accroître - la voiture électrique reste un pilier de la décarbonation des transports. Pour tenter de contrer l'hégémonie asiatique, l'Union européenne a dès lors lancé en 2017 une Alliance européenne pour les Batteries (ou European Battery Alliance (EBA)) dotée de 3,2 milliards d'euros d'aides publiques qui débouchera en France sur la création de plusieurs « gigafactories ». Une première grande usine est déjà opérationnelle depuis mai 2023 dans les Hauts-de-France et pourrait atteindre à terme une capacité totale d'environ 40 GWh - permettant d'équiper 500 000 véhicules par an - pour un investissement total supérieur à deux milliards d'euros.

Deuxièmement, notre souveraineté « technologique » et « industrielle » et les multiples efforts que la mobilité électrique pose à notre économie

La bataille pour la suprématie technologique entre les grandes puissances mondiales ne fait que commencer et met sous tension l'avenir de notre industrie (automobile, mais pas que), désormais contrainte à une métamorphose.

Et l'innovation en sera l'une des clés. Certains motoristes, comme les fabricants de chambres de combustion par exemple, pourraient ainsi disparaître ou devoir s'adapter à toute vitesse. La « batterie du futur » fait l'objet de recherches prometteuses, notamment sur les nouvelles générations de batteries (lithium-zinc, redox-flow, batterie solide, etc.) pour augmenter leur performance et leur durabilité.

L'enjeu de l'électrification des poids lourds est aussi un bon exemple : l'expérimentation d'autoroutes électriques sur l'A10, qui rechargent les camions en roulant grâce aux technologies de l'induction et du rail conductif, ouvre le champ à la réduction de la taille et du poids des batteries qui bloquent aujourd'hui l'électrification du fret.

Troisièmement, notre souveraineté « écologique »...

Car produire une batterie ou un aimant dans un pays étranger, où l'on ne maîtrise pas le mix énergétique ou les conditions d'extraction du minerai revient à perdre une partie de nos efforts pour produire une électricité décarbonée ! Plus largement, l'ensemble des équipements pourraient nécessiter la création rapide d'une filière dédiée à la gestion de leur cycle de vie, notamment d'après le règlement européen de juillet 2023, qui oblige le recyclage des batteries. Et ce afin d'éviter une situation de désavantage compétitif et de dépendance dans la mesure où les capacités industrielles de l'Europe sont bien inférieures à celle de la Chine en ce qui concerne le recyclage.

Face à ces défis, il ne fait aucun doute que l'électrification des mobilités, tant sur le véhicule individuel que sur le fret, nécessitera une coordination sans faille de l'ensemble des acteurs de l'écosystème de la route (constructeurs automobiles, gestionnaires d'infrastructures, fabricants et opérateurs de bornes de recharge, gestionnaires de déchets, énergéticiens, collectivités, État, etc.) en France et en Europe. Les projets de « gigafactories », qui sont le fruit de la mise en place de structures communes entre différents acteurs, prouvent que cette coopération est possible. Encore faut-il la généraliser et la systématiser.

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Commentaires 2
à écrit le 23/11/2023 à 9:48
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Diminuons les "causes" et nous en diminuerons les "conséquences" mais, certain ne pensent qu'a leur compte en banque ! ;-)

à écrit le 23/11/2023 à 8:12
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Avec le traité de Lisbonne imposé au peuple français alors qu'abandonnant définitivement le principe même de la souveraineté française au profit de l'UERSS empire prévu pour durer mille ans je propose que déjà nous pensions ce mot d'abord et avant to...

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