Moteurs de recherche : évitons de raisonner par l'absurde

Pour contrer le monopole de Google, les sénateurs ont décidé de règlementer les moteurs de recherche. Un exemple type de fausse bonne idée. Par James Waterworth, vice-président de CCIA (Association des industries de l’informatique et des communications)

Alors que la Commission européenne s'est saisie avec pugnacité du dossier Google, les sénateurs français ont décidé de ne pas attendre l'issue bruxelloise, et viennent d'adopter un amendement sur la neutralité des moteurs de recherche dans le cadre du projet de loi Macron.
Si pour les politiques français, Google est aujourd'hui la première cible, c'est l'ensemble des plateformes Internet qu'ils souhaiteraient davantage réglementer, comme en atteste la lettre franco-allemande envoyée récemment à la Commission européenne.
Toutefois, si cette initiative n'est pas une grande surprise, ses conséquences pourraient bien être inattendues. En effet, pratiquement tous les sites et applications disposent de leur fonction de recherche. Outre les moteurs de recherche les plus évidents, citons aussi Dailymotion, Deezer, eBay, Facebook et Amazon. Sans une fonction de recherche, il serait difficile de trouver les informations et les produits qui nous intéressent.

Carrefour, la FNAC, TV5 concernés?


Et si l'on y réfléchit un peu plus, il y a également les sites Internet de Carrefour, de la FNAC ou de la chaîne TV5 : sans une fonction de recherche efficace, ces sites seraient inutilisables. Quelles seraient donc les conséquences pour nous si une loi sur la « neutralité de la recherche » devait être mise en place ?
Premièrement, la loi concernerait les moteurs de recherche ayant un effet « structurel » sur l'économie numérique. Or, nombre de grandes entreprises pourraient correspondre à cette description, à commencer par celles que j'ai mentionnées plus haut. TV5 a une portée considérable par sa diffusion mais aussi en ligne. Et qu'en est-il de Carrefour ? Si l'on recherche « corn flakes » sur carrefour.fr, c'est le produit de la marque Carrefour qui sort en premier, avant celui de Kellogg's. Avec cette loi, la marque Kellogg's serait-elle en droit de se plaindre de cette situation ? Étant donnée la convergence entre les activités en ligne et hors ligne, devons-nous considérer que Carrefour a un effet « structurel » sur le marché ?

BlaBlaCar contrainte d'afficher les résultats de la SNCF?


Pour citer un exemple un peu différent, est-ce que BlaBlaCar, une entreprise qui couvre aujourd'hui 90 % du marché du covoiturage en Europe, devrait s'assurer que sa fonction de recherche fait aussi apparaître les résultats de la SNCF et des compagnies de bus ?
Deuxièmement, cette proposition contraindrait un moteur de recherche à fonctionner de manière non discriminante, en évitant de favoriser ses propres services. En pratique, qu'est-ce que cela signifierait ? Quel type de services, appartenant à qui, devraient alors apparaître s'il fallait respecter ce type d'obligation ? Les entreprises mentionnées devraient continuellement prendre en compte les entités qui risqueraient d'être lésées au moment des changements (fréquents) apportés à leur algorithme.

Les litiges presque impossibles à éviter

Au vu du nombre de fournisseurs, publicitaires et concurrents qui pourraient se voir lésés, les litiges seraient pratiquement impossibles à éviter, ce qui risquerait d'entraîner une paralysie du système.
Troisièmement, cette proposition interdirait l'intégration d'une fonction recherche à un système d'exploitation ou un appareil tel qu'un PC, une tablette ou un smartphone. Microsoft se verrait-il interdire d'intégrer son champ de recherche à Internet Explorer? Android et iOS devraient-ils s'abstenir de préinstaller leurs services de recherche textuels ou vocaux ?

Règlementer, une bonne idée?


Quatrièmement, la toute dernière idée du Sénat, serait d'imposer que les moteurs de recherche présentent trois autres moteurs de recherche aux utilisateurs, dont un français! Une telle loi serait-elle compatible avec les principes de l'Union européenne ?
Enfin, la principale question est surtout de savoir s'il est pertinent ou non de réglementer les marchés des plateformes Internet, et plus précisément les fonctions de recherche. Étant donnée la rapidité à laquelle apparaissent et disparaissent entreprises technologiques et services spécifiques, l'ensemble des acteurs est déjà constamment soumis à la pression de l'évolution. Comme le soulignait récemment Yves Gassot, PDG de l'iDate, dans un article sur le sujet des plateformes, « l'idée d'une réglementation s'appliquant spécifiquement aux plateformes fait son chemin. Mais ce n'est pas forcément une bonne idée. Une loi sur la concurrence, même a posteriori, n'est pas forcément sans effet. »
Les fans de Molière savent que l'humour naît de l'exagération et de l'absurdité. Dans L'Avare, Harpagon se met en tête de faire arrêter toute la ville pour retrouver son argent. Tout comme Harpagon, une telle législation risquerait de pénaliser l'ensemble des utilisateurs et des propriétaires de sites Internet. Molière verrait bien des similitudes entre cette situation et celle de la société qu'il voulait parodier.
Par James Waterworth, Vice-président de CCIA (Association des industries de l'informatique et des communications)

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Commentaires 3
à écrit le 20/05/2015 à 13:05
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Ça va être le vrai grand pastis. Quand on regarde comment sont conçus la plupart des sites Internet français ( Radio-France, par exemple, ou les org.fr), on se dit qu'il leur faudra des années pour copier à peu près correctement les américains.

à écrit le 20/05/2015 à 10:23
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Nos vieux sénateurs montrent à nouveau leur reconnaissance crasse de l'économie numérique. Commencer à règlementer une technologie en pleine évolution est irresponsable. Ceux qui savent sont bien plus responsables, à commencer par Google, Yahoo ou Mi...

à écrit le 20/05/2015 à 9:42
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Absurde c'est effectivement le mot qui convient. La comparaison Blablacar et Google est en plus tres drole, si le sujet n'etait pas serieux je veux dire. Le pb est ici simple: un tout petit petit nbre d'entreprise, toutes americaines, se partagent un...

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