Ne jamais minimiser la Russie !

CHRONIQUE. Malgré les sanctions, la Russie se porte bien. Mais d'autres menaces planent sur son économie... Par Michel Santi, économiste (*).
(Crédits : POOL)

« La Rouble s'est effondrée. La bourse russe a fermé par peur de fuites des capitaux. Les taux d'intérêt ont plus que doublé. Les agences de notation ont largement dégradé la Russie », telles étaient en substance les déclarations d'Antony Blinken, Secrétaire d'État É.-U., lequel se faisait en réalité l'écho de l'ensemble des responsables occidentaux qui misaient sur des « conséquences massives et sans précédent » sur l'économie russe, une semaine après le déclenchement du conflit avec l'Ukraine. Les sanctions décrétées et autres mesures punitives étaient censées mettre à genoux la machine russe. Si ce n'est que, après avoir un temps fléchi, l'économie russe annonce une croissance équivalente à celles de la France et de la Grande-Bretagne, et meilleure que celle de l'Allemagne qui se contracte.

Une « économie de guerre »

La bureaucratie russe a amplement déjoué les prévisions de l'Occident qui misait sur une strangulation à la faveur d'une artillerie lourde économico-financière. Par ailleurs, le niveau de vie des citoyens russes - dont on espérait qu'ils exerceraient une intense pression sur leurs dirigeants pour faire marche arrière - a à peine baissé. L'État a multiplié ses stimuli en direction du secteur privé, lui a accordé des prêts en blanc, a investi conjointement avec certaines entreprises, tant et si bien que la seule menace pesant aujourd'hui sur l'économie russe est... la pénurie de main-d'œuvre ! En effet, l'adaptation progressive d'une économie civile à une économie de guerre a mobilisé de plus en plus de travailleurs, à la fois pour rejoindre le rang des armées et pour se recycler dans des usines à caractère militaire. Au final, la Russie jouit à présent de ce qu'il serait possible de qualifier de plein emploi avec en moyenne 2.5 places de travail disponibles par tête de chômeur.

Au plus bas depuis 30 ans, le taux de chômage se retrouve à 3%, générant l'inquiétude des syndicats de patrons et d'entrepreneurs russes qui doivent gérer tant bien que mal un contexte où les ressources du pays sont canalisées vers l'effort de guerre. Les usines en sont réduites à instaurer le régime des 3/8 comme à l'époque soviétique, dans un contexte où la semaine de travail en Russie est désormais la plus longue depuis une décennie. En résumé, tant l'économie que le marché de l'emploi tournent à plein régime et ne sont donc plus en mesure de produire davantage que ce qui l'est en ce début d'année 2024, ce qui préoccupe à l'évidence les dirigeants, comme le ministre de l'Économie ayant décrit identifié la pénurie de travailleurs comme « plus important risque interne pour l'économie ».

L'industrie de la défense elle-même serait en manque de 400.000 travailleurs, en dépit de la réaffectation en sa faveur de tout un pan de salariés comme les caissiers, les cuisiniers... C'est le domaine très sensible des nouvelles technologies qui souffre le plus, car le pays manque d'environ 700.000 codeurs, programmeurs et spécialistes ès cybersécurité qui sont ardemment courtisés par l'ensemble des structures gouvernementales. Cette réorganisation drastique de la Russie qui consacre 6% de son PIB. au secteur militaire - un niveau sans précédent depuis l'époque de l'URSS - emporte l'adhésion populaire, car les secteurs de l'économie dédiés à la défense permettent l'exemption du service militaire. En outre, les subsides sociaux envers les retraités, les handicapés, les mères solitaires, les personnes âgées, les familles ayant plus d'un enfant se retrouvent à leur plus haut historique pour ce pays. Quant aux familles ayant perdu un soldat au front, elles se voient offrir un logement, ou l'équivalent de trois décennies de son salaire.

Une pénurie de Russes

Le pays a trouvé de nouveaux débouchés, a approfondi et diversifié de manière décisive ses partenariats pour remplacer l'Ouest. Ainsi, ses transactions financières russes sur le réseau chinois CIPS concurrent de SWIFT ont doublé de volume en 2 ans, et c'est désormais près de 20% de ses exportations qui sont libellées en Yuan. Comme par magie, certains pays comme l'Arménie, la Serbie ou le Kazakhstan sont devenus importateurs massifs - à leur plus haut niveau historique - en provenance d'Europe, dans une méprisable hypocrisie où les exécutifs européens sont parfaitement conscients que leurs marchandises vendues à ces pays finissent leur voyage en Russie. À cet égard, l'État russe ne manque à ce stade pas de ressources puisque son fonds souverain est riche d'environ 150 milliards de dollars. Il est confronté à une et à une seule menace : la pénurie de main-d'œuvre et de soldats.

Quant aux magnats du pays dont les super yachts ont été confisqués et dont des avoirs à hauteur de 100 milliards gelés, ils disposent toujours d'environ 400 milliards de dépôts disséminés à travers le monde, et ont très vite remplacé la Côte d'Azur et Courchevel par Dubaï et la Turquie. Enfin, de jeunes prétendants gravitent désormais autour de Poutine : ceux que l'on appelle les « princes », soutenus par l'élite, qui assureront dès 2030 la relève. Les sanctions instaurées par l'Ouest auront donc eu pour effet collatéral l'émergence d'une nouvelle caste d'oligarques qui - n'ayant plus besoin ni de l'Europe ni des États-Unis - regardent dans d'autres directions.

______

(*) Michel Santi est macro-économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d'Art Trading & Finance.
Il vient de publier « Fauteuil 37 » préfacé par Edgar Morin. Il est également l'auteur d'un nouvel ouvrage : « Le testament d'un économiste désabusé ».
Sa page Facebook et son fil Twitter.

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Commentaires 19
à écrit le 06/02/2024 à 20:28
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Il me semble que le fonds souverain a bien maigri en 2 ans et qu'il a également en partie été utilisé pour des achats d'actions destinés à soutenir les entreprises en difficultés, avec pour conséquence la baisse des liquidités. Si j'ai bien compris,...

à écrit le 06/02/2024 à 12:05
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Cessez de mentir et de fabuler, tous les médias sont ridicules et deviennent dangereux... L'enfer vous tente les bras

à écrit le 05/02/2024 à 23:47
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Ça a l'air d'être le bonheur la russie. Amusant.

à écrit le 05/02/2024 à 19:32
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Devons nous rappeler aux thuriféraires de ce grand démocrate, que les sanctions datent de seulement 2 ans. Il faut du temps pour que les résultats soient visibles. Dans un premier temps Poutine met en place des mesures d'évitement mais ceux d'en face...

à écrit le 05/02/2024 à 18:17
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Enfin un article impartial loin des arguments souvent erronés de Bruno Lemaire.

à écrit le 05/02/2024 à 14:05
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Selon le ministère des finances de la Russie, en décembre 2023, les revenus liés au pétrole et au gaz ont chuté de 65% à moins de 10 milliards par mois par rapport à 2021. Tandis que les revenus non liés au pétrole et au gaz ont plus que doublés à 20...

le 06/02/2024 à 2:06
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Des metaux rares, de l'uranium traite et enrichi, du gaz, petroles, derives bitumeux, de l'acier haute resistance, des armes etc.... Tout ce que ne produit pas l'europe et les usa. C'est balot.....

à écrit le 05/02/2024 à 13:41
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l’âme russe s'est toujours renforcé dans l’adversité, elle est passée ou l’âme Française ?

à écrit le 05/02/2024 à 12:43
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La croissance de la Russie n’est pas un indicateur viable. Comme celle de l’Ukraine, totalement dévastée par les bombardements et avec des millions de personnes déplacés, notamment hors le pays. Le FMI indique aussi une croissance ukrainienne supér...

le 05/02/2024 à 18:21
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Bruno Lemaire on vous a reconnu !

à écrit le 05/02/2024 à 12:43
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A). Pour ce qui concerne la croissance russe, il faut prendre en compte les jeux statistiques avec le deflateur (je crois que personne n'y croit en inflation réelle. Le taux de Banque centrale russe en témoigne). En plus, il faut prendre en compte l...

le 08/02/2024 à 22:33
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@ex-moscovite - Pour le transport aérien, Boeing pourra toujours (un jour.. ) refiler au successeur de Poutine des 737 max🤣 - Un excellent avion selon vos dires dans des post précédents.

à écrit le 05/02/2024 à 12:18
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Heureusement que nous avons une "presse libre" sinon nous serions à la merci de la propagande russe ! ;-)

à écrit le 05/02/2024 à 11:16
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Bien sur que non , cette magnifique nation devrai être a la tête de l'europe

à écrit le 05/02/2024 à 9:26
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Quand vous savez que les "sanctions économiques" n'ont même pas faites tomber Castro alor la Russie... nos dirigeants sont faibles.

à écrit le 05/02/2024 à 9:17
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La Russie possède des ressources naturelles, c'est le secret d'une économie durable et prospère

le 08/02/2024 à 22:40
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@Charlie - Les ressources naturelles sont épuisables, surtout les énergies fossiles dont une grande partie de l'Occident tend de plus en plus de se passer.

à écrit le 05/02/2024 à 8:56
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Il est clair qu une guerre reduit le chomage. Entre les hommes tués et ceux affectés a la production d armes ca laisse peu de place pour du chomage. On devrait faire pareil en UE non ? ah oui, ca a quelques effets secondaires : une inflation enorme, ...

le 08/02/2024 à 22:52
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@cd - C'est exactement le tableau de la Russie de Poutine. La "croissance" Russe basée sur une économie de guerre ne produit que de l'éphémère et du gaspillage d'énergie, accessoirement des morts, des estropies, des veuves, des orphelins. L'Occident...

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