Nominations des dirigeants de l'audiovisuel public  : pour des règles claires et transparentes

OPINION. Les déclarations de l'ancien Président du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel, Olivier Schrameck, devant les députés de la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale, relancent le débat et la polémique sur les nominations des dirigeants des entreprises audiovisuelles publiques. M. Schrameck a affirmé, le 7 mars 2024 devant les parlementaires, avoir subi une forme de pression de la part de l'ancien Président de la République François Hollande, en 2015, dans le cadre de la procédure de nomination à la Présidence de France Télévisions. Par David Hivet, spécialiste des médias internationaux et candidat à la Présidence de France Médias Monde en 2022
(Crédits : DR)

 Comme l'avait déjà souligné l'ancien Sénateur David Assouline en commission au Sénat l'année passée,  les recours et contestations relatifs aux nominations des dirigeants de l'audiovisuel public par le CSA et dorénavant par l'Arcom sont quasi-systématiques. Des nominations souvent entourées de manœuvres et de soupçons qui entachent l'image de l'autorité de régulation comme celle des dirigeants nommés... qui ne le seraient pas uniquement en fonction de leurs compétences.

La France fait partie des démocraties avancées qui, par principe, s'engage à préserver l'indépendance de ses médias publics des ingérences politiques.  Aussi, ces récentes déclarations montrent qu'il devient urgent de clarifier les règles de nominations à la tête des entreprises audiovisuelles publiques. Peut-être à l'occasion de la réforme du secteur que la nouvelle ministre de la Culture, Rachida Dati, semble appeler de ses vœux ?

Certes, il n'existe pas de processus de nomination parfait ; mais l'actuel est largement perfectible. Il conduit notamment, année après année, à une réduction du nombre de candidats pour diriger les médias publics. Qui peut, par exemple, croire que la Présidence de Radio France n'intéressait que trois personnes en France en 2022 ? Certains ne postulent même plus, estimant que ces nominations sont biaisées ou jouées d'avance, voire décidées en haut lieu, ce que semblent confirmer les propos de M. Schramek. Dans ce contexte, compte tenu de l'investissement que représente une candidature, beaucoup renoncent à tenter leur chance.

Au-delà de cette dimension politique, il apparaît que le mode de désignation actuel par l'Arcom, qui se veut transparent, mais qui, dans les faits, comporte des zones d'ombre, n'est guère satisfaisant. Les noms et projets des candidats sont ainsi rendus publics, décourageant probablement certains de présenter leur candidature. Les candidats ont par ailleurs l'interdiction de rencontrer les membres de l'Arcom pendant tout le processus de candidature... sachant que l'Arcom n'est pas matériellement en mesure de contrôler le respect de cette règle qui avantage, de facto, les Présidents sortants qui, eux, continuent à avoir des relations avec l'Arcom pendant le processus de nomination ! Une règle dont le respect n'est pas contrôlable et qui s'applique à certains, mais pas à d'autres pose question.

En revanche, dans un milieu assez fermé où tout le monde se connaît et se fréquente souvent depuis longtemps, les potentiels risques de conflits d'intérêts entre des membres du collège de l'Arcom et des candidats semblent balayés d'un revers de la main. Si les noms et projets des candidats sont publics, les votes des membres du collège dans le cadre de ces nominations ne le sont pas. Pire, alors qu'il s'agit d'une forme « d'élection », l'Arcom ne publie pas spontanément les résultats du scrutin (nombre de tours, nombre de voix pour chaque candidat...). Grande transparence du côté des candidats donc, mais une certaine opacité du côté de l'Arcom.

Ces votes « secrets » ont suscité des polémiques par le passé. On se souvient qu'alors que le processus de nomination à la Présidence de France Télévisions était bloqué, une membre du CSA avait subitement changé son vote, laissant courir les rumeurs les plus folles dans le Tout-Paris médiatique.

L'absence d'indications claires sur les profils des candidats attendus et l'inexistence de critères précis et transparents pour choisir les Présidences de l'audiovisuel public -comme il en existe pour attribuer les marchés publics par exemple- renforcent par ailleurs inévitablement les spéculations autour des candidats choisis et nommés par l'Arcom. Notons au passage que les candidats doivent présenter un « projet stratégique » à l'Arcom sans qu'on ne sache réellement le poids et le rôle de ce projet dans la nomination. Le flou existe également autour de la prise en compte, par les membres de l'Arcom lors des votes, des bilans des dirigeants sortants qui se représentent (rapports annuels, rapports de l'inspection des finances, rapports parlementaires, rapports de la Cour des comptes...).

Enfin, le mode de désignation actuel entraîne une forme de déresponsabilisation des acteurs : l'Arcom nomme, mais n'assure pas un contrôle rapproché de l'action des dirigeants de l'audiovisuel public et, pour préserver l'indépendance des médias publics,  l'État - tutelle de l'audiovisuel public - se garde d'intervenir dans la gestion de ces entreprises. C'est donc théoriquement aux Conseils d'Administration de ces entreprises que revient le rôle d'assurer le suivi de l'action des dirigeants. Mais les administrateurs ne choisissant pas les dirigeants ni les projets qu'ils portent, il leur est difficile d'assumer pleinement leurs décisions surtout quand elles ne se sont pas couronnées de succès.

Alors que les médias publics subissent de plus en plus d'attaques et de critiques, le mode de désignation de leurs dirigeants ainsi que la gouvernance de ces entreprises devraient plus que jamais mettre leurs Conseils d'administration au cœur du système. Ainsi, ces derniers -qui connaissent théoriquement bien les forces, faiblesses et défis des entreprises qu'ils administrent- pourraient être chargés d'assurer le processus de sélection des dirigeants. Un système leur permettant d'auditionner différents candidats - sans que leurs noms ne soient rendus publics - pourrait être mis en place. In fine, les noms des trois derniers finalistes -sélectionnés sur des critères objectifs- pourraient être rendus publics et transmis à l'Arcom qui conserverait le pouvoir de nomination des dirigeants de nos médias publics.

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Commentaire 1
à écrit le 12/03/2024 à 8:17
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On doute fortement des nominations au conseil européen, particulièrement opaque, on a du mal à comprendre les nominations au conseil constitutionnel, bref deux institutions majeures, alors les nominations dans l’audiovisuelle, certes très importantes...

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