Nouvelle-Calédonie, l’abécédaire de la crise (par Hervé Mariton, ancien ministre)

Hervé Mariton, ancien ministre de l’Outremer, livre son analyse des récentes émeutes à Nouméa à travers neuf mots-clés, de Calédologue à Violence.
Hervé Mariton, ancien ministre.
Hervé Mariton, ancien ministre. (Crédits : © LTD / François BOUCHON/figarophoto)

De nombreuses visites en Nouvelle-Calédonie, des rencontres avec des Calédoniens de toutes origines nourrissent ma réflexion sur l'insurrection. Elles n'autorisent pas un jugement d'autorité mais peuvent contribuer à éclairer le débat. Quelques mots doivent être interrogés.

Calédologue. Les Calédoniens sont affligés des conseils de politiques, d'universitaires, adeptes du Meccano institutionnel. Ils adoptent souvent le prisme de la décolonisation quand la société calédonienne a tant changé. Gouvernement local, Congrès, majorité des provinces sont contrôlés par les indépendantistes, indépendantistes, les transferts de ressources ont été considérables.

Lire aussiNouvelle-Calédonie : les indépendantistes pressent Emmanuel Macron d'abandonner la réforme constitutionnelle

Calédonien. À la question « êtes-vous d'abord calédonien ou français? », nombre de Calédoniens « blancs » répondaient « calédonien ». L'insurrection aura abîmé l'ambition « un seul peuple, deux couleurs ». L'identité calédonienne est réelle et surfaite, compte tenu des différences de mode de vie, de la marginalisation d'une partie de la jeunesse kanake. Elle a pris un coup, barrage contre barrage. Les quartiers mixés ont été les lieux des situations les plus difficiles. Il va falloir retrouver un « vivre-ensemble ».

Corps électoral. Deux principes s'opposent, celui du droit inaliénable du peuple premier et celui du suffrage démocratique. Le second n'éteint pas la revendication indépendantiste mais la soumet au suffrage. Le premier affirme un but absolu, qui n'est soumis à aucun corps électoral. L'esprit des accords de Matignon-Nouméa était que le vote conduirait à l'indépendance, au premier, au deuxième, ou au troisième référendum. Cela n'a pas fonctionné ainsi, nous nous retrouvons dans la contradiction des principes. Le primat absolu du peuple premier récuse absolument le suffrage, au risque de la violence. La solution du suffrage est la moins bloquante, elle suppose un vote légitime au regard des règles démocratiques.

Impartialité. L'idée s'était imposée que l'État était impartial, ce qui est légitime, que le gouvernement devait l'être, au risque d'entretenir le statut quo. On a entendu l'aspiration, pour sortir de la crise, à une mission impartiale de personnalités politiques de haut niveau. Les indépendantistes regrettent que celle nommée par Emmanuel Macron soit composée de hauts fonctionnaires. J'ai été l'un et l'autre; je connais des fonctionnaires impartiaux, je ne connais pas de politiques impartiaux.

Deux principes s'opposent, celui du droit inaliénable du peuple premier et celui du suffrage démocratique

Reconstruction. L'économie a souffert: plus de 1 milliard d'euros de dégâts. Les insurgés, organisés, ont pillé et détruit. Destruction révolutionnaire et injonction au départ. L'urgence est à la survie des entreprises, à la reconstruction. L'enjeu sera de démontrer que l'avenir de la Nouvelle-Calédonie ne se construit pas dans l'appauvrissement. L'indépendance, peut-être, si le peuple le veut. Mais pas sur un champ de ruines. Au cœur de la crise, dans les entreprises qui ont continué de fonctionner, les passions ont été maîtrisées. Les personnels de toutes origines ont voulu protéger l'outil de production. Les avenirs politique et économique de la Nouvelle-Calédonie sont liés. L'avenir du nickel, la diversification de l'économie, la transition énergétique, le développement du tourisme, autant de défis à relever. Résoudre le désespoir d'une partie de la jeunesse, c'est mieux la former, proposer des emplois, l'intégrer à une dynamique.

Renseignement. En 2007, j'ai été le dernier ministre de l'Outre-Mer à disposer d'un cabinet militaire, chapeautant un dispositif de renseignement. Le gouvernement suivant l'a supprimé. En 2009, la grave crise en Guadeloupe aura surpris, en 2024 l'insurrection de mai aussi. Anticiper n'est pas une approche coloniale - argument pour la réforme -, ne pas le faire aggrave les tensions.

Richesse. Le PIB par habitant correspond à 90% du PIB français. C'est un territoire riche mais très endetté, très dépendant des transferts publics, avec comme secteur majeur le nickel, en grave difficulté. Le gouvernement français a proposé un « pacte nickel » pour survivre à la crise, tenir face à la volonté chinoise d'écraser les concurrents, permettre, avec des énergies renouvelables, la production de « nickel vert ». Puisse l'insurrection, dans son paroxysme, contribuer à ce que le gouvernement local accepte cette proposition.

Temps. L'archevêque de Nouméa a prévenu des risques d'attitudes dilatoires qui repoussent les choix jusqu'à l'explosion. Le temps n'est pas toujours sagesse, il peut être lâcheté, violence pour les générations futures. Du temps doit être offert pour le dialogue, mais la responsabilité des acteurs est de décider.

Violence. Après les événements des années 1980, l'idée a été entretenue que les différends politiques pourraient toujours conduire à la violence. Prophétie méprisante de l'identité kanake, aujourd'hui autoréalisatrice. Mettre les mots sur les maux qui affectent ce beau pays peut aider nos amis calédoniens à trouver leur avenir, aider nos concitoyens à comprendre, sans trop attendre.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.