Pas d'écran avant 3 ans : et si on se trompait de problème ?

OPINION. Les écrans sont omniprésents dans notre quotidien, notamment chez les plus jeunes. Par Amélia Matar, cofondatrice de Colori et de La Fresque des écrans
(Crédits : Géraldine Aresteanu))

Une enquête de Santé Publique France en avril 2023 révélait que les enfants de deux ans y consacrent en moyenne près d'une heure par jour. Un constat qui a résonné jusqu'au sommet de l'État puisqu'en janvier dernier, le Président Emmanuel Macron, lors d'une allocution télévisée, consacrait plusieurs minutes à cette question et soulignait la nécessité de « reprendre le contrôle de nos écrans qui trop souvent enferment là où ils devraient libérer ».

Ces propos du chef de l'État ont marqué la mise en place d'une « commission écran » composée de plusieurs experts, scientifiques et acteurs associatifs. Cette semaine, c'est au tour de deux députés Les Républicains de remettre la question des écrans au cœur des débats, en déposant une proposition de loi qui vise à réguler l'exposition des moins de 3 ans aux écrans.

Cette récurrence de rapports, d'enquêtes et de réactions politiques illustre la montée en puissance des préoccupations sur ces sujets, à juste titre. Cependant, s'agissant des écrans, faut-il vraiment se concentrer uniquement sur l'âge des utilisateurs et le temps qu'ils passent devant ?

Quel que soit l'âge, la question du contenu

Il va de soi qu'une exposition excessive et non encadrée aux écrans, au détriment d'activités fondamentales pour le développement de l'enfant, est préjudiciable. Il est indéniable qu'observer un jeune enfant dans une poussette, hypnotisé par un dessin animé de piètre qualité, depuis un temps non déterminé, est une situation qui doit nous interpeller. À cet égard, la proposition de loi présentée par Annie Genevard et Antoine Vermorel-Marques est louable, car elle rappelle l'importance de superviser l'exposition des enfants aux écrans avec discernement.

Toutefois, il est également essentiel de souligner que le temps d'écran et l'âge de consommation ne sont pas des critères suffisants pour encadrer les pratiques. Il convient également de s'intéresser au contenu et de différencier les types d'usages : les activités récréatives, qui peuvent être excessives, et celles à visée éducative, qui ont un impact différent sur le développement de l'enfant. Même les jeux vidéos, dans un cadre réfléchi, peuvent s'avérer être des outils intéressants à explorer. Enfin, Grégoire Borst, Professeur de psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l'éducation et Directeur du Laboratoire de Psychologie du Développement et de l'Éducation de l'enfant (CNRS), rappelle régulièrement que les écrans facilitent la socialisation des adolescents, jouant ainsi un rôle essentiel dans leur évolution.

Par ailleurs, l'interaction réfléchie avec les écrans, sous la vigilance d'un adulte, peut stimuler l'éveil des jeunes enfants. Par exemple, regarder ensemble des dessins animés sélectionnés soigneusement peut initier des dialogues enrichissants et favoriser le développement langagier. Cette utilisation doit être mesurée et encadrée, en complément et non en remplacement des activités essentielles au développement psychomoteur et social de l'enfant. Et surtout, l'écran ne doit pas nuire aux interactions entre l'enfant et l'adulte. La question de nos propres usages, en tant qu'éducateurs, se pose alors.

L'usage des adultes en question

Dans les propos justifiant la proposition de loi, la députée Annie Genevard affirme notamment qu'il importe que « l'adulte, le professionnel qui s'occupe de l'enfant, ne fasse pas la démonstration de l'importance qu'il attache aux écrans, parce qu'évidemment, ça interroge l'enfant de voir un adulte qui est en permanence, ou très souvent, connecté à un écran ».

Annie Genevard souligne ici l'importance de l'exemple des adultes dans l'utilisation des écrans, introduisant sans la nommer la notion de « technoférence ». Ce concept dépasse les discussions habituelles sur le temps d'écran ou l'âge, mettant en lumière comment l'usage excessif des écrans par les adultes peut influencer les comportements des enfants.

La « Technoférence », terme introduit par Brandon McDaniel en 2014, décrit l'intrusion des appareils technologiques dans la communication et les interactions au sein des familles, couples, ou groupes, perturbant ces dynamiques sociales essentielles.

Les travaux de Marie Danet, psychologue clinicienne, docteure en psychologie, maîtresse de conférence à l'Université de Lille, montrent notamment que cette interférence de la technologie sur nos relations parents/enfants peut avoir des répercussions sur la qualité des relations. Il semblerait qu'un usage inapproprié des écrans par les adultes, soit nuisible à l'harmonie familiale, et in fine à l'enfant.

En ce sens, au-delà de la question du mimétisme mise en avant par la députée, l'importance de réguler ses pratiques en tant qu'adultes s'avère en effet d'une grande importance.

Éduquer pour réguler

La technologie, et donc les écrans, transforme notre société de manière fulgurante. Technoférence, économie de l'attention, bulle de filtre, intelligence artificielle générative, algorithmes... L'évolution de notre vocable illustre le bouleversement du vivre-ensemble, du travail et des loisirs. Toutes les périodes de la vie sont concernées : de la petite enfance jusqu'aux séniors, qui eux aussi sont de plus en plus consommateurs.

Pour que les usages restent équilibrés, et pour ne pas sombrer dans une panique morale inopportune, il convient de s'éduquer. Les écrans peuvent être de vraies opportunités pour nos enfants, ils peuvent aussi décupler des phénomènes délétères. Et un mauvais usage peut nuire à la qualité des interactions, or, on le sait, l'enfant a besoin de relations de qualité pour bien grandir. Sur des temps déterminés et suffisants, il est fondamental de pouvoir se consacrer pleinement à nos enfants, petits et grands, sans être interrompus, distraits et notifiés à l'envi.

Pour être justes dans nos usages et tirer le meilleur parti de la technologie, charge à nous de choisir, de réguler, et de comprendre, car le savoir, c'est le pouvoir !

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Commentaires 2
à écrit le 13/04/2024 à 12:50
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Pourquoi certaines religions ont interdit les images d'après vous ? Visiblement nous en subissons les conséquences !

à écrit le 13/04/2024 à 8:58
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Notre caste politico-financière a pourri les médias de masse classiques de leur publicité en tout genre, ils pourrissent internet de leurs propagande marchande en tout genre et ensuite nous disent que c'est pas bon de trop se faire laver le cerveau m...

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