Pénurie de soignants : considérons-les comme des talents et non de simples ressources !

OPINION. Les mises en garde, les alertes, les tribunes, les cris de désespoir à propos de la pénurie de professionnels de santé, et notamment paramédicaux (infirmiers, aides-soignants, ...) n'en finissent plus. Par Antoine Loron, Président et co-fondateur de Hublo
(Crédits : ALKIS KONSTANTINIDIS)

Depuis plusieurs années, l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) avertit de la situation qui se dessine, estimant qu'il manquera 18 millions de professionnels de santé dans le monde d'ici 2030. Par ailleurs, l'absentéisme déjà structurellement élevé dans les hôpitaux - 8% selon une étude publiée par Hublo en 2018 - frôle désormais les 10% selon la Fédération hospitalière de France (FHF). Les professionnels de santé sont fatigués. Ils sont fatigués d'une crise qui n'en finit plus, mais pas seulement. La pénurie tient à des causes plus profondes. Elle traduit une crise de sens et de foi en leur profession.

Mais comment en sommes-nous arrivés là ? Dans un contexte où la majorité des jeunes diplômés et jeunes actifs priorisent largement le critère du sens lors du choix d'une formation ou d'un premier métier, comment expliquer que les métiers du soin sont aujourd'hui délaissés par les nouvelles générations ? Comment expliquer que ceux qui s'y sont engagés depuis de nombreuses années s'en détournent désormais ?

Valoriser la mission de l'hôpital : une nécessité managériale

En réalité, à l'hôpital, le sens et la mission semblent évidents. Le problème est justement qu'ils le sont trop. On se repose encore aujourd'hui sur la vision dépassée que les professionnels de santé exercent leur métier par vocation, ou par amour du service public. C'est peut-être vrai pour certains, mais ces motivations restent insuffisantes : insuffisantes pour donner envie à des jeunes lycéens et étudiants de s'engager comme professionnels de santé avec confiance et détermination, insuffisantes pour donner le courage à tous ceux qui y sont déjà engagés, de tenir sur le temps long. Il est essentiel de raconter, répéter et valoriser la mission de l'Hôpital et de chaque établissement de santé. Il est essentiel de revenir aux fondamentaux des métiers du soin. Ce n'est pas parce que le sens est évident, qu'il ne faut pas le rappeler au quotidien et à tous. Il est important de marteler à tous les niveaux en quoi l'action de chacun contribue au sens et à la mission de l'ensemble. De l'agent de nettoyage au médecin star de sa spécialité, chacun, par son action, permet à l'hôpital de remplir sa mission. Valoriser la mission de chacun est le rôle quotidien des dirigeants, mais aussi de chaque manager : direction des ressources humaines, direction des soins, cadres de santé, etc. Manager, c'est avant tout valoriser les membres de son équipe.

Revaloriser les salaires, régulièrement

Bien entendu, cela ne suffit toujours pas. Au vu du nombre d'années d'études (minimum 3 ans pour des études d'Infirmier Diplômé d'Etat), de la pénibilité non-seulement physique mais aussi et surtout psychologique des activités, et de la tension entre l'offre et la demande sur ces métiers : le niveau de rémunération des professionnels était absurdement bas. Les nouvelles revalorisations des grilles salariales promises à l'issue de la première vague du Covid et suite au Ségur de la santé sont enfin arrivées, mais cela suffira-t-il ? Il est absolument indispensable de rester vigilant dans les mois à venir, et d'avoir l'agilité de ne pas attendre plusieurs années avant de revaloriser à nouveau les rémunérations si la situation ne s'améliore pas, ou si le marché du travail le requiert à nouveau.

Traiter les soignants comme des cols blancs

Sens, reconnaissance, management et rémunération me semblent être des leviers incontournables donc, mais je suis convaincu que la solution est bien plus structurelle, voire culturelle. Je suis convaincu qu'un changement de mentalité doit prendre racine dès maintenant dans les enseignements de la crise sanitaire, et se développer profondément grâce à l'adhésion progressive de toutes les parties prenantes du secteur de la santé. Depuis toujours, les professionnels paramédicaux ont été considérés comme des cols bleus alors qu'ils devraient être considérés comme des cols blancs. Aujourd'hui il faut renverser ce paradigme. Le rôle des professionnels de santé non-médicaux ne cesse de s'accroître : d'une part la pratique avancée doit et va prendre de l'ampleur, d'autre part le rôle de ces métiers pendant les crises telle que celle du Covid-19 s'est avéré essentiel pour le maintien du pays. Par ailleurs, contrairement à certaines spécialités médicales qui seront radicalement automatisées par l'arrivée de l'intelligence artificielle, les métiers d'infirmiers et aides-soignants, qui nécessitent un contact humain réel, et une approche personnalisée des patients, prendront encore davantage d'importance dans le parcours de soin.

Nous ne pouvons et ne pourrons pas nous passer de nos professionnels paramédicaux. Il est donc fondamental de ne plus les attirer, manager, fidéliser et rémunérer comme des simples ressources, mais comme de vrais talents.

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Commentaires 2
à écrit le 06/04/2022 à 7:38
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Enfin un article qui change du discours ambiant ! Si le médecin a le droit d’être fier d’appartenir au corps d’élite de la santé, « l’infirmière » a le devoir d’être humble. Elle ne doit revendiquer aucune distinction ni fonction hiérarchique...

à écrit le 02/12/2021 à 9:05
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L'obligation vaccinale aura porté un coup supplémentaire faisant démissionner de nombreux professionnels de la santé qui par principe même étaient forcément le plus souvent parmi les plus compétents. Sans parler de tout ceux qui se sont sentis obligé...

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