Physique ou immatérielle  ? La frontière est inflationniste par nature

OPINION. Alors qu'il y a quelques années beaucoup s'inquiétaient d'une spirale déflationniste, justifiant des politiques monétaires très accommodantes, la situation s'est exactement inversée. Aujourd'hui, l'inflation est le monstre à abattre. Par Bruno Alomar, Economiste
(Crédits : DADO RUVIC)

Les banques centrales, auxquelles les gouvernements en refusant toute modération budgétaire ont transmis une part essentielle du policy-mix, se trouvent à la pointe de ce combat, que beaucoup estiment une récession inéluctable.

La justification, oubliée au cours de la longue période de faible inflation que nous avons connue, pour faire revenir l'inflation à un niveau plus raisonnable que les près de 6% en rythme annuel actuel, est simple. L'inflation ne provoque pas seulement, selon le mot de Keynes, l'euthanasie des rentiers ; elle érode le pouvoir d'achat, en particulier celui des plus pauvres, dont la proportion marginale à consommer est la plus élevée.

Si la difficulté des banquiers centraux à enrayer l'inflation est un fait, il est une force essentielle à l'œuvre dans les systèmes économiques qui vient contrecarrer puissamment leur travail : le retour des frontières. C'est le cas des frontières physiques comme des frontières immatérielles.

Dans le monde physique, quelles que soient les nuances que charrient les termes de « reshoring », « friendshoring », « démondialisation », et sans préjudice des raisons - pas toujours condamnables quand il s'agit de se soucier d'environnement ou de protéger les chaînes de valeur contre des risques politiques - qui les portent, le fait est que la compartimentation du monde qui s'esquisse est forcément inflationniste. Rien de nouveau au plan théorique : c'est là l'une des conclusions robustes de la théorie du commerce international, telle que bâtie par Stopler et Samuelson aux États-Unis, et prolongée par Allais en France. La question est ici d'ordre politique : a-t-on bien expliqué aux classes moyennes en Occident - et notamment aux cols-bleus américains - que ce qu'elles gagneront en termes d'emplois conservés sur leur territoire national se paiera en baisse de pouvoir d'achat sur des produits et services qui ne pourront plus être importés ?

Des produits moins accessibles

La restauration, ou plutôt la création de frontières dans le monde immatériel est également inflationniste. Il n'est pas inutile de s'en souvenir alors que certains opérateurs de télécommunications européens plaident pour compartimenter le web avec des barrières telles que des péages sur leurs réseaux. Une telle mesure est de nature à renchérir le coût pour le consommateur final, de même d'ailleurs que toute charge supplémentaire que la puissance publique voudrait imposer aux acteurs du web, ces derniers étant d'autant plus enclins à les passer au consommateur final qu'ils sont en position de force. Larry Summers, dans un article célèbre portant sur la stagnation séculaire avait magistralement montré combien la numérisation de l'économie constituait un très puissant vecteur de modération des prix (avec d'autres vecteurs comme le vieillissement ou le développement du commerce mondial plus rapide que la croissance). Des évaluations réalisées aux États-Unis, qui semblent bien lointaines dans la période d'inflation actuelle, s'étaient ainsi attachées à montrer le poids extraordinaire d'Amazon dont la seule action avait à l'échelle de toute l'économie américaine un effet de baisse des prix de l'ordre du dixième de pour cent. Quelle que soit la manière dont le sujet est abordé, et n'en déplaise à Solow et à son fameux paradoxe, qu'il agisse par l'accroissement de la productivité ou par la compression des coûts intermédiaires, le développement du numérique est bien anti-inflationniste et favorable au pouvoir d'achat.

C'est dire, en définitive, qu'en matière d'inflation, les gouvernements évoluent sur une ligne de crête. S'ils cèdent trop à la pression politique en faveur du rétablissement de frontières, en plus de compliquer encore la tâche des banquiers centraux, ils risquent de contredire leur objectif de protection du pouvoir d'achat des populations. Car en économie comme en politique, l'érection de barrières finit toujours par coûter, et souvent plus cher que ce que l'on avait imaginé initialement.

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Commentaire 1
à écrit le 08/04/2023 à 11:26
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L'inflation que connait actuellement la France, et sans doute l'Europe, a été décidée, planifiée et voulue par la BCE dès 2020. C'était un moyen facile d'appauvrir la population, sans avoir à baisser les salaires. Les dirigeants de la BCE se sont ren...

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