Plaidoyer pour la croissance externe

Grandes ou petites, les entreprises françaises reculent devant la croissance externe, contrairement à leurs consœurs américaines. Une erreur liée à un phénomène culturel et à une méconnaissance des mécanismes d'acquisition-agrégation. Par Philippe Mutricy, Directeur de l'Evaluation, des Etudes et de la Prospective de Bpifrance

Entre mai 2012 et mai 2015 seules 40 start-up ont été rachetées par les entreprises cotées au SBF 120. Dans le même temps, Google, à lui seul, en a acquis 70, et les 5 GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), 160. Comment expliquer cette différence ? Un problème de cash disponible ? Non, il est au total à peu près équivalent dans les deux cas.

Un problème de culture

La véritable explication semble plutôt se trouver dans un problème de culture. En France on tend à privilégier, notamment dans les grands groupes, la croissance interne basée sur de la R&D, plutôt que des acquisitions externes.

Pourtant, nos grandes entreprises gagneraient sans aucun doute « à mettre une start-up dans leur moteur », pour reprendre une expression du rapport que publie demain Bpifrance Le Lab (« Acquérir pour bondir »), afin d'injecter un peu de souplesse et de créativité dans leur structure.

Les raisons de cet attentisme sont multiples : conservatismes des directions financières, faible maturité en matière d'open innovation, répugnance à acquérir selon des multiples d'EBITDA élevés... Résultat : Certaines belles pépites françaises sont passées sous pavillon étranger : Price Minister acquis par Rakuten, Aldebaran par Softbank, Messagraph par Twitter... La liste commence à être longue !
La situation est-elle meilleure du côté des PME ?

 Une méconnaissance des mécanismes

La réponse est malheureusement Non. Bpifrance Le Lab estime entre 300 et 500 le nombre d'opérations d'acquisition-agrégation (ou « build-up ») réalisées chaque année en France. Or, il faudrait cinq fois plus d'opérations d'acquisition-agrégation chaque année pour parvenir à rattraper en 10 ans notre retard sur l'Allemagne pour le nombre d'ETI en activité (retard estimé par de nombreux rapports à environ 4000 ETI).

Au-delà des problèmes de culture, ne pourrait-on pas aussi expliquer l'atonie relative du marché français en matière de croissance externe, par une méconnaissance de ce concept et de son fonctionnement. Savons-nous précisément comment se déroulent des opérations de rachats de start up par des grands groupes (des « acquisitions-innovation ») ou des opérations de croissance externe entre PME (des « acquisitions- agrégation », connues aussi sous le terme de « Build Up », ou de « Buy and Build ») ? Comment les caractériser et comment déterminer les facteurs clefs de succès de ces opérations ?

Une démarche stratégique à long terme

La vérité est que chacun pense les connaître, mais lorsque l'on s'adresse à des experts du sujet, on se rend compte que l'on est loin du compte. Prenons un exemple avec les Build Up entre PME. C'est un fait connu que de penser qu'ils concernent prioritairement des PME déjà d'une certaine taille, ayant atteint un palier de croissance sur un marché mature, et à la recherche d'un nouveau moteur de croissance par une acquisition externe.

La réalité est à l'opposé de ce schéma. L'acquisition-agrégation s'inscrit dans une démarche stratégique de croissance de long terme, qui planifiera une succession de phases d'acquisition et de « digestion », pour des entreprises qui ont déjà un solide moteur de croissance interne, mais qui peuvent tout aussi bien être des start up, des PME, que des ETI et sur des marchés matures qu'émergents. Le plus important à retenir sans doute : sans un moteur de croissance interne, le taux d'échec est bien plus élevé.

« Acquérir pour bondir

« Acquérir pour bondir » a pour objectif de sensibiliser les dirigeants de PME et de grands groupes sur le fait que la croissance externe peut être un précieux levier de croissance et d'accélération sur des marchés où la taille et le timing jouent un rôle déterminant.

Avec à la clef dix recommandations, issues des meilleures pratiques observées et partagées par les dirigeants.

  • Les acquisitions doivent être menées dans le cadre d'une stratégie claire préalablement définie, pluriannuelle et validée par la gouvernance

  • La variable culturelle doit être impérativement prise en compte : l'incompatibilité des cultures est en effet la première cause d'échecs dans les opérations de fusion-acquisition

  •  Il faut respecter des temps de « digestion » entre deux phases de croissance externe, pour bien intégrer les cibles et permettre à l'entreprise de se réorganiser avant de repartir à l'offensive

  • La gouvernance doit évoluer, parce qu'un groupe en forte croissance ne se gère pas comme une PME, mais également pour aligner les intérêts des managers-clés de l'entreprise (ceux de l'acquéreur comme des cibles)

  • L'acquéreur doit établir un plan intégration, tout en se rappelant qu'il faut toujours trois fois plus de temps que prévu pour réussir la bonne intégration des équipes

  • L'acquisition est une affaire de séduction avant tout : la qualité des projets, les valeurs et l'image de l'entreprise comptent parfois autant que l'argent pour conclure une acquisition

  • Les acquéreurs doivent se donner un calendrier à 6 mois pour définir l'organisation et mettre en place les synergies prévues et trois ans pour mesurer si l'acquisition est réussie

  • Il ne faut en aucun cas faire l'impasse sur les due diligence juridique et financière, même si l'acquéreur pense bien connaître la cible

  • Toutes les parties-prenantes de l'entreprise, qu'il s'agisse des clients, des fournisseurs, des organisations syndicales ou des collectivités locales, doivent être prises en compte dans une analyse complète des risques et opportunités

  • Enfin, si l'intégration de l'entreprise acquise ne crée pas de valeur, et au contraire si elle en détruit au point de menacer la pérennité de l'acquéreur, ce dernier s'en défaire (la liquider ou la céder) sans attendre

L'indépendance coûte que coûte

Ces 10 « commandements pour faire de la croissance externe » ne plairont sans doute pas à tous les entrepreneurs. Nombre d'entreprises privilégient en effet une « croissance tranquille » et l'indépendance coûte que coûte, alors que le coût des acquisitions leur impose souvent, pour les PME, d'ouvrir leur capital. L'un des objectifs de l'étude, à travers l'analyse de success-stories telles que Paprec Group ou Valneva, est de donner aux dirigeants l'envie de se lancer, de prendre des risques, tout en brisant certaines idées reçues infondées, notamment sur les fonds d'investissement et la croissance externe.

« La prudence, ce n'est pas rouler à 80km/h sur une autoroute"

Et finalement pour reprendre une formule de cette étude : « La prudence, ce n'est pas rouler à 80km/h sur une autoroute. Sur les marchés où une taille critique est requise, la croissance tranquille n'est pas moins dangereuse que le build-up. ». Ou encore « L'acquisition-innovation est le plus court chemin vers l'innovation ; ne rien changer, le plus long ».

Notre conviction à l'issue de ce travail est qu'il n'y a pas assez d'acquisitions-innovations et pas assez d'acquisitions-agrégations en France. Cessons de cultiver des forêts de bonsaïs et de sacraliser la R&D interne ! Encourageons les start-up et les PME à se regrouper pour mutualiser leurs ressources et leurs talents, afin d'avoir la taille critique pour investir, innover et s'internationaliser !



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Commentaires 2
à écrit le 19/09/2015 à 0:01
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Aaahhh, le voici... Le donneur de leçons, le yaka fokon de service qui aurait évidemment réussi dans les affaires si son cerveau n'avait pas été réquisitionné par la bpi. Quelle arrogance et quel mépris pour le terrain. Théoricien mécanisé.

à écrit le 18/09/2015 à 15:32
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Il est peu pertinent de fixer comme objectif les ETI allemandes dont on sait qu'elles sont le résultat d'un retard. Elles sont ETI car elles ne savent pas progresser. Non seulement elles font faillite en masse, se regroupent éventuellement pour en év...

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