Pour les "Gilets jaunes", "Nous ne sommes pas en démocratie ! "

En ces moments de rupture sociétale peut-on questionner la démocratie représentative ? Et comment ? Par Beatrice Mabilon-Bonfils, Auteurs fondateurs The Conversation France
(Crédits : Pascal Rossignol)

« Nous ne sommes pas en démocratie » est l'un des leitmotivs des gilets jaunes, mettant en question la démocratie représentative dans sa consistance et sa forme en appelant parfois de leurs vœux la tenue d'un référendum d'initiative citoyenne (RIC), voire même l'idée d'une assemblée constituante tirée au sort. Les réponses bien pensantes les renvoient immédiatement dans les cordes :

« Nous vivons un état de droit, nous avons la liberté de paroles et d'opinions, ils ne savent pas ce qu'est LA démocratie ».

Un peu comme si la voix des sans voie(x), que nous décryptions dès 2002 dans un article sur la sociologie des votes « périphériques », trouvait aussi une autre alternative que le vote d'extrême-droite.

Bien sûr, la revendication d'un partage plus équitable des richesses est au cœur du mouvement mais cela est loin de l'épuiser. Peut-on questionner la démocratie représentative ? Tel est en substance l'un des enjeux de ce débat.

Démocratie participative

« Dans son principe, comme dans son origine historique, la représentation est le contraire de la démocratie. » écrit le philosophe Jacques Rancière.

Notre système serait-il alors d'essence aristocratique ? Le principe de l'élection de représentants implique en effet un choix et donc l'établissement de distinctions entre les citoyens. Ce serait donc une idée d'origine aristocratique qui s'oppose à celle, démocratique, d'égale compétence de chacun à prendre les décisions collectives. Pour les grecs et les romains « est démocratique le gouvernement auquel tous participent ». Pour Rousseau d'ailleurs, nul ne peut être obligé d'obéir, qu'aux lois dont il peut être tenu pour auteur.

Or, notre démocratie représentative contemporaine est en crise qu'il s'agisse la montée des extrémismes (notamment de l'extrême droite qui parfois irrigue et/ou instrumentalise le mouvement de gilets jaunes) mais aussi de la montée des abstentionnismes.

L'abstentionnisme comme choix politique

Dans le moment de rupture sociétale que vivent nos sociétés, il est de moins en moins possible d'habiter le monde par les formes classiques de participation politique. Se combinent la montée de nouveaux types d'abstentions et de revendications de démocratie participative.

Il s'agit de ne plus réduire l'abstentionnisme électoral à un « cens caché », développé en son temps par Daniel Gaxie. Ce cens caché qui définirait une forme « censitaire » de suffrage serait constitué du capital culturel de l'individu, générant une désinsertion sociale et un sentiment de compétence politique liée à ce capital. Dès lors il y aurait lien entre abstentionnisme et faible capital culturel et c'est bien sûr une forme d'abstentionnisme « hors du jeu ».

Mais cela ne suffit pas ou plus à qualifier l'abstention politique. Celle-ci ne peut être pensée seulement comme un déni d'intérêt pour la politique professionnalisée et le vote, mais bien aussi comme un choix politique, une forme d'abstentionnisme « dans le jeu » et proprement politique.

Ce qui signifie que les abstentionnistes peuvent aussi se sentir compétents et revendiquer un autre mode politique organisationnel, même si leur position est toujours jugée illégitime au nom de la démocratie... représentative.

Vidéo du YouTubeur Jordanix, 2017.

Repenser la participation politique

Il s'agit donc de repenser le rapport au politique des abstentionnistes (voire d'autres citoyens) mus par des velléités de constructions du monde alternatives et qui ne sont pas nécessairement caractérisés par un faible capital culturel mais bien par une critique du système représentatif où les pouvoirs sont confisqués par une oligarchie verrouillant le système reproductif.

A cette aune, la participation politique peut être vue dans la lignée des travaux d'historiens analysant des pratiques de culture populaire, du carnaval aux soulèvements populaires ou aux arts engagés comme des pratiques renvoyant à la Polis au sens de la cité-état des Anciens Grecs et comme des représentations du monde débouchant sur d'autres formes de participation au Politique, que sont les demandes de démocratie participative et le tirage au sort.

La participation politique ne peut pas être envisagée comme un schème culturel imposé d'en haut par les dominants dans une visée de contrôle des périphéries par le centre mais au travers des modes pluriels d'expression politique échappant aux comportements attendus par l'État et l'idéologie dominante.

En attestent les exemples de démocratie participative et d'engagement citoyen comme nouveaux espaces d'élaboration politique qui plaident pour une rupture radicale : de Nuit Debout aux Indignés, de Luttopia à Montpellier (pour un autre accès à la culture) à l'Appel des jours heureux, de l'appel des solidarités au mouvement Colibris, d'Alternatiba (mouvement alternatif politique pour le climat) aux expériences de Fablab, à AequitaZ (associations de SDF qui visent à accroître leur pouvoir d'agir par l'art), à l'expérience « Parlement libre » et plein d'autres encore.

Vers un nouveau mode de gouvernance ?

Un nouveau mode de gouvernance émergeant de la société civile, un nouveau contrat qui fait le pari du collectif serait-il en train d'émerger ?

Le tirage au sort pourrait-il être une autre façon de faire société, de développer le pouvoir d'agir du plus grand nombre. Des exemples anciens et récents de tirage au sort citoyen existent : à Athènes, dans les cités italiennes, en Suisse (pour lutter contre la corruption des élus), dans la Constituante islandaise (2011), en Irlande (convention constitutionnelle), à la Réunion (liste Demorun), dans la ville de Porto Allegre (gestion du budget de la municipalité), dans l'administration de la ville de Berlin et dans les jurys populaires en justice en France, aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Belgique.

L'Islande a par exemple fait l'expérience du tirage au sort politique en 2010. Une Assemblée constituante est alors composée de citoyens volontaires élus par la population ; elle est précédée par la désignation d'une Assemblée nationale de 1000 personnes tirées au sort produisant un cahier des charges précisant les points qui doivent être traités par la nouvelle Constitution.

Des propositions abondent aussi sous des formes diverses, l'idée a été proposée par plusieurs candidats à la dernière présidentielle, par l'association ATTAC (remplacer le Sénat par une chambre ainsi constituée), par la Fondation Hulot (création d'une troisième chambre tirée au sort), par la Fondation pour l'innovation politique (désignation désormais 10 % des conseillers municipaux par tirage au sort,) par l'Institut Montaigne (conférence citoyenne pour discuter du financement de la protection sociale), par la Fondation Jean Jaurès...

Un nouveau système délibératif ?

Un nouveau « système délibératif « à l'instar de celui que propose le philosophe Jürgen Habermas est-il possible ? Le tirage au sort est-il une tentative crédible ? Tel est, a minima, le mérite des gilets jaunes que de mettre en débat un questionnement hautement politique...

Nous vivons une crise majeure de légitimité et d'efficacité des institutions traditionnelles de la représentation générant défiance, abstentionnisme, radicalisations mais aussi des demandes fortes de démocratie et de solidarité.

Les formes de solidarité de proximité en attestent malgré parfois, certains réflexes poujadistes ou xénophobes qui peuvent coexister.

Comment construire du commun dans une société plurielle, la question ne peut être laissée aux seuls « politiques ». La mise en questions des organisations politique partisanes, des « professionnels de la politique », des formes d'organisation top-down hiérarchisées ainsi que le développement des formes de démocratie participative et d'engagements citoyens différents, constituent un contexte politique favorable à l'émergence d'une autre manière de penser le Politique.

The Conversation ______

Par Beatrice Mabilon-BonfilsSociologue, Directrice du laboratoire BONHEURS - Université de Cergy-Pontoise, Auteurs fondateurs The Conversation France

 La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

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Commentaires 37
à écrit le 27/12/2018 à 8:28
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Pas une démocratie en France, ça c'est clair.. Quand on est obligé d’éliminer des candidats plutôt que d'en choisir un c'est une dictature déguisée dans laquelle quelques uns se partagent le pouvoir...

à écrit le 24/12/2018 à 10:29
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quand le pouvoir les dirigeants sorte en majorite de la meme ecole c'est le signe que la democratie est absente la confiscation de la France par une elite sortie de l'ena prouve une fois de plus le danger de la pensee unique et que meme les elus ...

à écrit le 23/12/2018 à 10:01
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Nous vivons une crise majeure de légitimité et d'efficacité des institutions traditionnelles de la représentation générant défiance, abstentionnisme, radicalisations mais aussi des demandes fortes de démocratie. C’est confirmé par tous les français ...

le 24/12/2018 à 17:22
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Le pouvoir au peuple, ça me rappelle l'URSS et tous les régimes communistes des pays de l'Est et plus actuellement le Venezuela. Voila de brillantes références.On commence toujours dans l'allégresse par élire le père noël. C'est toujours après la gue...

à écrit le 23/12/2018 à 9:06
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haro sur le haut fonctionnaire du ministere du travail qui se permet de critiquer un jugement du tribunal des prudhonnes de troyes. sa mise au chomage s'impose les gilets jaune ont raison le France est gouverne non par la democratie mais par une s...

à écrit le 23/12/2018 à 8:51
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Le système français est totalement anti-démocratique. 340 députés pour 20% de la population. Moi je serais pour revenir à un système parlementaire . Le système allemand me semble bon. Moitié des députés élus à majorité, moitié élu à la proportionnell...

le 23/12/2018 à 11:31
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En fait un socle de base est élu à la majorité et l’autre 50% au vote citoyens ? C’est une double sécurité ça : pas mal le système Allemand.

le 23/12/2018 à 17:59
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Je suis de votre avis...J'ignore si cela évitera le copinage ? Il est anormal que Président puisse avoir autant de pouvoir, je parle pour déclarer la guerre exemple la Lybie ? Que fait notre Armée au Sahel ? où l'argent de l'occident ne va pas où i...

à écrit le 23/12/2018 à 7:51
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....ca ne date pas d'hier !

à écrit le 23/12/2018 à 2:51
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La France, cette monarchie republicaine. Sa caste dirigeante, toute issue de l'ena.

à écrit le 22/12/2018 à 23:29
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Depuis la réforme constitutionnelle de 2008, la 5ème république est devenue une république populaire. Pour qu'elle redevienne une vraie démocratie il suffirait par exemple que le mandat des députés soit réduit à deux et demi ans et que l'élection pr...

à écrit le 22/12/2018 à 21:32
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Gilets jaune ... l'embryon d'un nouveau fascisme . 10 morts déjà ! Cela finira très mal car le pouvoir est d'une extrême faiblesse . Je ne voudrais pas être en cordée avec Macron . Il n'à rien d'un Bonatti . Penser qu'il se prétend chef des armées ...

le 23/12/2018 à 7:52
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...on t'as reconnu Mussolini : sort de ce corps !

à écrit le 22/12/2018 à 17:35
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La France est le seul pays communiste démocrate ! On vient d' emprunter 200 Md pour le salaire des fonctionnaires et toute la couverture sociale , 56% du pib fou le camp dans cette dernière et je pense des F I se sont immiscés dans les GJ .

à écrit le 22/12/2018 à 17:22
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Je suis d'accord avec les gilets jaunes sur certaines de leurs revendications mais globalement il s'agit d'un mouvement populaire et pas d'un mouvement politique même si j'imagine que certains ne manqueront pas de créer un parti politique "gilet jaun...

à écrit le 22/12/2018 à 16:46
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Eh ! Oui Macron renvoie l'ascenseur aux états et organisations qui l'ont aidé et luttent contre la démocratie : http://www.voltairenet.org/article204276.html

à écrit le 22/12/2018 à 16:45
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Les GJ aiment la démocratie, mais seulement quand ça les arrange. Si demain Mélanchon ou LP est élu, bizarrement ils ne trouveront plus rien à y redire.

à écrit le 22/12/2018 à 15:19
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Nous ne sommes pas en démocratie? Mais le Venezuela se propose d'accueillir les gilets jaunes. Une bouffée d'oxygène pour le pays.

le 22/12/2018 à 18:36
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Résumons: 10 morts, des centaines de blessés dont des dizaines de mutilés graves, des milliers d'arrestations préventives arbitraires, un acharnement judiciaire contre les "leaders" supposés, de la désinformation gouvernementale ( Les GJ seraient ...

à écrit le 22/12/2018 à 13:40
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Que de conneries , si la France n'est pas une démocratie , alors là ...... je suis le cul par terre , quand je vois les sanctions qu'ont eu les GJ pour avoir brûlés le péage de Bandol , j'en suis tout ému .

le 22/12/2018 à 14:28
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Parce qu'on doit être automatiquement d'accord pour payer des routes construites avec nos impôts, qui doivent donc être gratuite à présent...

le 22/12/2018 à 16:32
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@chris566 si nous etions en democratie les deputes LREM auraient fait leur travail de representant du peuple et nous n'aurions pas les gilets jaunes

le 23/12/2018 à 7:55
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LREM a le problème qu'ont TOUS les élus , surtout ceux dont ce n'est pas le domaine : la DECONNECTION !

à écrit le 22/12/2018 à 13:37
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Les Gilets Jaunes n'ont pas plus de conscience politique que les élèves réfractaires à l'école ont l'appétit d'apprendre et de réussir. Nous avons vu grossir depuis quelques décennies, les rangs d'élèves qu'on aurait dit cancres autrefois et qui sont...

le 22/12/2018 à 14:34
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Et oui, il faut être fou pour créer une Ets en France, il est préférable de trouver une place de chef ou de directeur dans l'administration, afin de pouvoir contraindre à loisir ceux qui prennent des risques, en faisant croire à la populace soumise q...

le 23/12/2018 à 7:58
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Quelle acuité ! : vous etes bien un des seul a voir du politique dans le mouvement gilet jaune .... Vous avez bien fait de ne pas vous orienter vers l'analyse journalistique !

le 24/12/2018 à 17:35
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C'est tellement bien dit. +1000.

à écrit le 22/12/2018 à 11:47
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Réveille tardif du peuple ,après +40 de dictature fiscale ,masquée habillement par les slogans des politiciens improductifs…..

à écrit le 22/12/2018 à 11:38
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Ça fait belle lurette que notre démocratie est malade. Nous sommes dirigés par une technostructure envahissante , une administration pléthorique qui pond des textes restreignant la liberté. Cerise sur le gâteau, au sommet de cette pyramide, un monarq...

à écrit le 22/12/2018 à 11:05
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Macron ne fait qu' appliquer sa feuille de route dictée par les GOPE de Bruxelles, vous vous attendiez à quoi ..? https://www.upr.fr/actualite/europe/les-gope-grandes-orientations-politique-economique-feuille-route-economique-matignon/ Emmanuel Tod...

à écrit le 22/12/2018 à 11:03
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La solution pour revenir à une vrai démocratie, il faut fermer la commission de Bruxelles qui est squattée par des affairistes qui ne sont pas élus par les citoyens ; et placer en détention les commissaires et les fonctionnaires de Bruxelles av...

à écrit le 22/12/2018 à 10:40
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Jean-Claude Juncker a passé toute sa vie professionnelle à appauvrir l'europe en favorisant l'évasion fiscale des plus riches et pour le punir on l'a... mit à la tête de cette même europe. Une preuve que l'europe est une grande démocratie qui pense a...

le 22/12/2018 à 12:34
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Vous avez bien raison de rappeler ces quelques éléments de base ! L'UE actuelle est très anti démocratique, anti nations aussi. Le pire est que les dirigeants français le sont aussi, Sarkozy qui remet totalement en cause le vote national (large en pl...

le 31/12/2018 à 14:40
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"Nous sommes donc bien revenus à une forme d'ancien régime" En sommes nous réellement sortis en fait ? Puisque nous voyons bien au final que les riches ont toujours eu le pouvoir utilisant les politiciens et autres pour se dissimuler derrière...

à écrit le 22/12/2018 à 9:34
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La reconnaissance du vote blanc serait un premier pas.

à écrit le 22/12/2018 à 8:52
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Ce qui tue notre sytème est la réduction de la politique à la simple communication. évidemment, médias est "experts" en sont partiellement responsables. La politique, c'est d'abord l'administration de la Res Publica, l'analyse et la prise de décision...

à écrit le 22/12/2018 à 8:41
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Ce qui est frustrant, c’est qui voté ? Les extrêmes sont évités L’abstention est détourné ... Il manque un leader proche et qui rassemble de manière idéologique sans démagogie La France ne produit plus d’homme d’état proche des populations qui s’...

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