Pour une IA des Lumières européenne

La fondation Digital New Deal publie son rapport « IA de confiance : opportunité stratégique pour une souveraineté industrielle et numérique », produit à la demande du Secrétariat général pour l’investissement (SGPI), la structure chargée sous l'autorité du Premier ministre, d'assurer la cohérence et le suivi de la politique d’investissement de l’État à travers le déploiement du plan « France 2030 ». Résumé des points clés et des propositions phares pour que la France et l'Europe tirent le meilleur parti de l'intelligence artificielle. Par Julien Chiaroni, Confiance.AI (Grand Défi IA) et Arno Pons, Digital New Deal (Think-tank), Co-auteurs de la note « IA de confiance » (1).
(Crédits : Getty Images)

L'Intelligence Artificielle (IA) est au cœur des préoccupations et des fantasmes. Sa simple définition constitue un défi en soi. Il est donc crucial que nous puissions y contribuer, afin de pouvoir offrir au monde une vision européenne, c'est-à-dire humaniste, de ce sujet complexe qui devient de plus en plus structurant dans les champs économiques, sociaux, écologiques et démocratiques.

L'Europe, France en tête avec « AI for humanity », doit donc être capable de penser et opérer une « IA des Lumières » qui soit transparente, sûre et responsable, refusant que des biais technologiques deviennent des biais idéologiques avec tous les impacts que l'on connaît. Pour que l'IA soit garante de ces valeurs, au service des citoyens, nous devons faire preuve envers elle d'une exigence éthique et politique sans faille, et donc faire de l'IA de confiance européenne une valeur étalon mondiale.

Nous ne pouvons tolérer que des IA opaques orientent nos choix, sans que nous en soyons conscients, et sans que nous puissions faire de recours. Le grand public et les acteurs économiques doivent pouvoir avoir « confiance » dans ces IA qui ont un impact tangible sur leurs vies (accès aux crédits, recommandations d'emplois, santé, etc.).

Face à l'algorithmisation de nos vies et ses potentielles dérives, nous devons en effet reprendre en main nos destins numériques en faisant de l'IA un sujet politique. Cette impérieuse nécessité doit nous engager à traduire nos valeurs en standards mondiaux grâce au paquet réglementaire européen (DSA, DMA, DGA, DA, AI Act). Ils permettent d'imposer un cadre de confiance pour commercialiser son produit ou service au sein de l'UE conférant de facto à nos standards une portée extraterritoriale, à l'instar du RGPD qui a été adapté dans la plupart des pays. Nous sommes intimement convaincus qu'en faisant de l'IA de confiance une valeur étalon, l'Europe pourra devenir une troisième voie numérique crédible, attractive, et compétitive, à condition bien-sûr que cette fois-ci tous se saisissent des opportunités que font naître ces nouvelles régulations.

L'IA de confiance constitue selon nous un véritable éclaireur de notre souveraineté numérique et de notre compétitivité industrielle.

Souveraineté d'abord. Nous définissons dans ce rapport la souveraineté en fonction de notre autonomie, c'est-à-dire notre capacité à choisir le niveau et la nature de nos dépendances : "L'autonomie stratégique est une capacité à générer et défendre un écosystème de confiance qui organise nos interdépendances". La souveraineté numérique est un idéal, l'autonomie stratégique un objectif politique, et le niveau de dépendance une mesure.

À l'instar de la souveraineté énergétique qui conduit un État à orienter ses choix pour ne pas dépendre d'un seul fournisseur, ni d'une seule énergie, la souveraineté numérique cherche elle aussi à contrôler ses dépendances. À défaut de garantir une chaîne de valeur pleinement souveraine (auto-suffisante), l'enjeu majeur est de sanctuariser une "chaîne ou un réseau de confiance" pour atteindre un degré d'autonomie stratégique jugé satisfaisant.

Cet écosystème de confiance s'appuie sur le tryptique « cloud, data et IA », d'où notre recommandation de déployer une gouvernance partagée entre data et IA, couplée à une approche conjointe par les usages via les Data spaces (Gaia-X).

Compétitivité ensuite. L'IA de confiance est une opportunité de (re)conquête pour nos filières qui ont tant souffert de la désindustrialisation. Mais pour que notre excellence en recherche d'IA se traduise en capacité́ de leadership industriel, la réglementation seule ne suffit pas. Nous devons impérativement créer une coopération industrielle au niveau européen à la hauteur de nos ambitions. Nous proposons pour cela de créer une « Infratech », c'est à dire un écosystème d'acteurs européens spécialisés dans le logiciel, souvent start-ups et PME, qui se fédèrent en vue de proposer une offre de bout en bout autour d'une infrastructure logicielle. Elle doit porter intrinsèquement les valeurs et la réglementation européenne, des normes harmonisées ou des standards partagés. Elles s'appuient sur des communs numériques qu'il s'agira de valoriser collectivement sur le marché irriguant ainsi l'ensemble des secteurs stratégiques pour l'Europe (emploi, éducation, santé, finance, tourisme, mobilité, administration, etc.) Enfin, elle permettra mécaniquement d'abaisser les barrières à l'entrée du marché de l'IA de confiance :

« L'infratech, socle de la confiance, et levier de scalabilité pour la Frenchtech ».

L'autre pari défendu dans ce rapport, consiste à capitaliser sur la culture européenne des systèmes critiques, où les exigences en terme de confiance sont les plus fortes, pour en faire un avantage compétitif et une garantie pour les citoyens. Les développements de l'IA sont aujourd'hui fortement « tirés et influencés » par les acteurs du B2C comme les GAFAM. Or leur culture est basée sur les usages et l'expérimentation continue. L'Europe peut adopter à contrario une approche fondée sur l'apport de preuves, de performances et pas uniquement processus, fondée sur une analyse des risques et des exigences fortes qui caractérisent les systèmes critiques ou à « haut risque », ainsi que définit dans le cadre de la réglementation européenne. C'est ce que les citoyens et utilisateurs attendent. Ainsi, nous rapprocherons de facto IA et IA de confiance, nous permettant d'adresser un marché global de l'IA (231 milliards d'euros) et de faire de l'IA de confiance une véritable « force » de l'Europe.

La confiance est une arme défensive contre les monopoles que l'on subit et offensive pour les coopérations que l'on choisit. L'Union Européenne doit se donner tous les moyens de ses ambitions, à la fois réglementaire et industriel. Nous sommes convaincus que c'est en s'appuyant sur ces leviers que l'UE pourra bâtir son autonomie stratégique et édicter ses propres conditions extraterritoriales au marché mondial, offrant ainsi une opportunité d'export à nos entreprises. Pour cela, l'Europe ne doit pas reproduire les erreurs du passé. La « jurisprudence internet », avec toutes les conséquences que l'on connaît, nous oblige à plus d'anticipation et à une collaboration renforcée pour que le développement de la confiance dans l'IA soit au cœur des standards de demain.

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(1) Julien Chiaroni, Confiance.AI (Grand Défi IA) et Arno Pons, Digital New Deal (Think-tank), Co-auteurs de la note « IA de confiance ».

Retrouvez l'intégralité de la note ici : IA de confiance : une opportunité stratégique pour une souveraineté industrielle et numérique

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RESUME DES PROPOSITIONS

# REGULATION

Se saisir de l'opportunité de l'IA de confiance pour bâtir notre souveraineté industrielle, en :

Capitalisant sur l'idée qu'IA et IA de confiance deviendront quasi-synonymes

  • Réguler pour que les sujets deviennent tous critiques (Societal/Business critical)
  • Viser le lead du marché Trustworthy AI de 50 Mds pour conquérir le global à 230 Mds

Imposant la confiance dans l'IA comme valeur étalon mondiale

  • S'appuyer sur notre régulation pour exporter nos critères juridiques
  • Capitaliser sur notre avantage compétitif via notre culture des systèmes critiques

Établissant la normalisation en priorité stratégique

  • Devenir des standard-setter

# COOPERATION

Se donner les moyens pour que l'IA de confiance devienne vectrice de notre compétitivité industrielle, en :

Finançant une InfraTech

  • Mutualiser les coûts pour contenir et surtout conquérir le marché des BigTech
  • Créer une couche intermédiaire d'acteurs souverains packagé de bout en bout
  • Accompagner la création de communs numériques

Créant une alliance européenne industrielle IA (comme il en existe sur la Data avec Gaia-X)

Déployant une stratégie commune IA & Data

  • Privilégier une approche par les usages via les Data spaces
  • Créer une gouvernance partagée du numérique de confiance

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Commentaires 2
à écrit le 22/07/2022 à 18:37
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Il faut bien se dire: que l'on veut rendre une virtualisation... bien réelle, alors que l'on n'en voit pas l'utilité! A part..., générer du cash!;-)

à écrit le 22/07/2022 à 18:36
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Il faut bien se dire: que l'on veut rendre une virtualisation... bien réelle, alors que l'on en voit pas l'utilité! A part..., généré du cash!

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