Pour une nouvelle approche de la mixité sociale

La mixité sociale n'est pas un remède miracle, l'arrivée de classes moyennes dans les quartiers ne suffit pas à résoudre les problèmes, loin de là. La politique de la ville passe par une action forte de l'Etat, avec des moyens au delà de 0,5% de son budget. Par Eric Pliez, Directeur général de l'Association Aurore, Michel Langlois, Président de l'ADIL de Seine-Saint-Denis, et Camille Leroy, Administrateur Territorial

Quelques mois après les déclarations du premier ministre sur l'apartheid social, de nombreuses mesures en faveur de la mixité sociale ont été annoncées. Fortement attachés à cette idée, nous pensons néanmoins qu'une mise en œuvre strictement normative et quantitative est vouée à l'échec, car la mixité ne va pas sans poser de questions et une politique de l'habitat est nécessairement progressive, elle ne peut se résumer au court terme.

D'un point de vue symbolique, l'idée repose implicitement sur le postulat que la concentration de pauvres ou d'immigrés est problématique et que la solution réside dans un contact avec des classes plus aisées. C'est nier les ressources des habitants des quartiers d'une part et ignorer d'autre part le bon fonctionnement de certains espaces sans mixité. C'est aussi passer un peu rapidement sur la nécessité d'avoir une approche combinée des transports, de l'éducation, de la culture et du développement économique. De plus, nous pensons que ce n'est pas tant le regroupement qui est problématique que le manque de développement public et d'investissements de l'État. Une « mixité tous azimuts » aurait en effet pour résultat principal de diluer la pauvreté, pas de réduire les inégalités qui fracturent la société française.

La mixité sociale ne saurait se décréter purement et simplement

Il faut du pragmatisme d'abord. Nous connaissons le bilan de la loi SRU. Si certaines villes dépassent les 70% de logements sociaux, d'autres se situent toujours sous la barre des 5%. Des communes ont en effet les moyens de ce refus et payer des amendes leur « coûte » moins cher que de produire du logement social. Il est donc nécessaire de créer des dispositifs plus coercitifs vis-à-vis des « anti SRU » avec intervention éventuelle de l'État.

Il est aussi indispensable d'intégrer que la mixité sociale ne saurait se décréter purement et simplement ; le coût d'un logement social dans un arrondissement Parisien huppé est jusqu'à 8 fois plus cher que dans un quartier dit populaire, en raison du prix du foncier. En période de disette budgétaire, cela n'est pas neutre et ainsi, même une commune volontariste peut se retrouver limitée voire bloquée.
Si le débat se focalise souvent sur les quartiers réfractaires, il faut aussi enfin aborder la question taboue d'une limitation de la générosité. Les maires des villes populaires, confrontés à une demande intarissable, ont continué de produire jusqu'à atteindre des taux vertigineux de logement social. Cette dynamique volontariste et politiquement assumée, a eu pour effet d'offrir un toit à des familles... mais aussi pour conséquence de spécialiser des territoires avec un fort risque de ghettoïsation en cas de recul de l'investissement public et de retrait de l'État.

De même que la loi SRU a créé un seuil minimal de logements social, il conviendrait de proposer un taux maximum de logement très social par commune. Si cette approche statistique est nécessaire, elle est insuffisante car on ne peut changer la société uniquement avec des pourcentages.

L'arrivée des classes moyennes ne suffit pas au développement d'un quartier

Du réalisme ensuite, car les quartiers considérés comme difficiles ne pourront se développer uniquement grâce à une éventuelle arrivée de classes moyennes. D'abord, attirer ces ménages est une démarche longue, complexe et conditionnée à des investissements importants. Ensuite, l'arrivée de nouveaux habitants ne rend pas moins pauvres les autres. Les acteurs du logement savent que proposer du PLS (Prêt locatif social) dans certains quartiers est voué à l'échec, les logements restent vacants car les familles correspondant au niveau de revenu exigé préfèrent s'installer dans des lieux moins paupérisés.

Des moyens conséquents, au delà de 0,5% du budget de l'Etat

Au-delà de la question des écoles et des transports qui sont déterminants, il faut agir au travers d'une politique de la ville dotée de moyens conséquents. Nous savons que les budgets de la politique de la ville sont historiquement et constamment inversement proportionnés à ses objectifs, et sans renier les bienfaits de la rénovation urbaine, force est de constater que les aides ont été parfois saupoudrées et que la l'investissement social a été trop modeste, de telle manière que les effets attendus n'ont pas toujours été au rendez vous.

L'ambition d'en finir avec « l'apartheid social » ne peut se contenter de 0.5% du budget de l'Etat. Dans les opérations de démolition/reconstruction, nous observons que les ménages bien souvent ne veulent pas quitter leur quartier. C'est surprenant, tant ces lieux sont perçus comme des ghettos. Mais c'est bien là que sont ancrées leur histoire, leurs familles, les solidarités de voisinage... Nous savons aussi que l'intégration des familles modestes dans des quartiers de classes moyennes est parfois douloureuse, tout comme l'arrivée des « bobo » dans les quartiers populaires peut aussi parfois susciter des inquiétudes et donner une image biaisée de la ville.
La réalité est plus complexe, elle appelle des solutions adaptées au cas par cas et prenant enfin en compte l'avis des intéressés, à ce titre les budgets participatifs constituent un pas en avant.

Briser des tabous

Du courage enfin, car nous pensons que certains tabous doivent être brisés, non pas pour mettre à mal l'objectif de mixité sociale auquel nous sommes attachés, mais pour le remettre à sa juste place. La mixité est complexe et risquée, elle ne se décrète pas et elle n'est pas le remède miracle à tous les maux de la société française. Alors, le choix ne doit bien sûr pas être caricatural, et il ne s'agit d'opposer une meilleure répartition des populations au développement local des quartiers en difficulté. Les politiques publiques doivent allier ces deux orientations dans une approche dynamique bien éloignée des normes figées et des impératifs numéraires.

Un regard moins simpliste sur la mixité sociale et la « société idéale », une meilleure prise en compte de l'avis des habitants et une politique de la ville souple et dotée de moyens conséquents pour briser les inégalités, ce sont là les maillons indissociables de la restauration du lien social qui nous fait de plus en plus défaut.

Eric Pliez, Directeur général de l'Association Aurore
Michel Langlois, Président de l'ADIL de Seine-Saint-Denis
Camille Leroy, Administrateur Territorial

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Commentaires 5
à écrit le 18/09/2015 à 12:23
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Sous couvert d'une analyse impartial, il dit en gros que les HLM s'est mieux en banlieue mais surtout pas à paris rue des Vosges où cette personne doit vivre.... La mixité sociale n'est certes pas le remède mais nier que le mélange notamment à l'éco...

à écrit le 18/09/2015 à 10:36
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La mixité sociale est gérée uniquement d'un point de vu économique, alors que c'est une question culturelle. On ne règle pas un problème d'éducation avec de l'argent car cela aurait été résolu depuis longtemps. Le postula discriminatoire de l'Etat es...

à écrit le 18/09/2015 à 10:11
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encore un article qui n'aborde pas la problématique essentielle de la mixité sociale : c'est celle d'une quasi impossibilité de mixité de populations africo-musulmanes aux moeurs encore tribales avec des populations de culture gréco-latine à dominant...

à écrit le 18/09/2015 à 9:22
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Ce n'est l'état qui fait le peuple, c'est le peuple qui fait l'état....

à écrit le 18/09/2015 à 8:43
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La clé est la volonté de chacun, le choix quoi que vous en disiez : je viens de milieux simples très simples et ai fait des études et suis "à l'aise"... je n'irai pas dans un quartier "mixé" actuellement. Pourquoi ? L'absence d'exigence. On m'a ap...

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