Pourquoi l'Ouzbékistan défend la création d'une grande route transafghane

OPINION. Depuis 2020, l'Ouzbékistan s'est donné pour mission de renforcer la coopération avec les pays d'Asie du Sud et de travailler à la création de ce fameux corridor de transport transafghan, qui permettrait notamment de sortir l'Afghanistan de l'isolement. Par Sébastien Boussois, Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Orient relations euro-arabes/ terrorisme et radicalisation, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), de l'OMAN (UQAM Montréal) et de SAVE BELGIUM (Society Against Violent Extremism). (*)
Le ministre des Affaires étrangères, Abdulaziz Komilov.
Le ministre des Affaires étrangères, Abdulaziz Komilov. (Crédits : Reuters)

Dans le cadre de la nouvelle politique étrangère régionale de l'Ouzbékistan, et à la suite des dernières élections présidentielles, le pays a fait du soutien au développement de l'Afghanistan un des chantiers majeurs du futur quinquennat du président Mirziyoyev. Depuis le renversement de l'ancien régime, et le retour des Talibans, Tachkent s'est toujours inscrite dans une logique de dialogue et de promotion des échanges économiques avec le pays. Il sait qu'il n'a aucun intérêt à avoir un pays voisin totalement déstabilisé. En effet, l'Ouzbékistan a toujours prôné la stabilisation la plus rapide possible de la situation dans ce pays, condition indispensable et sine qua non pour assurer la sécurité de toute l'Asie centrale. Au-delà, cela permettra assurément de créer des opportunités plus favorables pour le développement de l'économie ouzbèke, attirant ainsi les investissements et renforçant l'activité économique étrangère.

Une intégration bénéfique

Dans le même temps, des changements inédits ont eu lieu dans la perception même de la place que doit jouer l'Afghanistan dans la région. Plusieurs pays voisins ont compris que l'intégration du pays aux échanges économiques régionaux était indispensable et serait bénéfique à toute l'économie de l'Asie centrale. Il faut donc au plus vite pousser Kaboul au désenclavement et au développement plutôt que décider d'isoler le pays. D'ailleurs, le document final de la réunion consultative des chefs d'État d'Asie centrale en 2019 à Tachkent avait déjà consolidé un consensus régional sur le soutien au processus de paix, impliquant l'Afghanistan dans les liens régionaux et aussi les projets communs de construction d'infrastructures nouvelles.

En mars 2018, une conférence internationale de haut niveau sur l'Afghanistan intitulée « Le processus de paix, la coopération en matière de sécurité et la coopération régionale » s'était tenue à Tachkent : dans son discours d'introduction à la conférence, le Président Shavkat Mirziyoyev y avait souligné l'importance de mettre en œuvre des projets de transport et de communication traversant l'Afghanistan, afin d'ouvrir le pays et de créer des corridors de circulation d'est en ouest mais aussi du nord au sud. Depuis 2020, le dirigeant de l'Ouzbékistan s'est donné pour mission de renforcer la coopération avec les pays d'Asie du Sud et de travailler à la création de ce fameux corridor de transport transafghan. En février 2021, une réunion d'un groupe de travail trilatéral s'est tenue à Tachkent, avec la participation de plusieurs délégations gouvernementales d'Ouzbékistan, du Pakistan et d'Afghanistan, afin de réfléchir au mieux sur la manière de mettre en œuvre au plus vite le fameux projet de construction ferroviaire Mazar-i-Sharif-Kaboul-Peshawar.

Construction d'une ligne de chemin de fer

Récemment, afin de rester en pointe sur ce dossier, l'Ouzbékistan a lancé une nouvelle  Conférence internationale, nommée « Asie centrale et Asie du Sud : interconnexion régionale, défis et opportunités ». Il s'agissait pour Tachkent de mettre en avant la question de la construction d'une infrastructure globale de transport et de logistique qui reliera efficacement l'Asie centrale et l'Asie du Sud. Dans le même temps, il avait été souligné que la construction du chemin de fer Termez-Mazar-i-Sharif-Kaboul-Peshawar réaliserait pleinement son objectif de représenter l'itinéraire le plus court qu'il soit entre ces villes, et réduirait du coup considérablement le temps et le coût du fret et du transport. A l'occasion de cette conférence, des représentants de la Banque mondiale, de la Banque asiatique de développement, de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, de la Banque européenne d'investissement, de la Banque islamique de développement, de la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures, ainsi que de la Société internationale de financement du développement (États-Unis), étaient présents. Ils ont tous confirmé leur intérêt pour la mise en œuvre conjointe de ce projet. Suite à la réunion, un plan d'action conjoint a été décidé avec un calendrier pour le projet de chemin de fer Mazar-i-Sharif-Kaboul-Peshawar afin qu'il voit le jour au plus vite.

En août 2021, l'arrivée au pouvoir des Talibans en Afghanistan n'a pas affaibli la volonté de l'Ouzbékistan de développer la coopération avec Kaboul. Malgré la situation difficile et incertaine à Kaboul, il n'a pas bloqué la route reliant les deux pays, la plus importante pour l'approvisionnement en produits alimentaires et pétroliers de ce pays, ni cessé l'approvisionnement en électricité du pays voisin. Dans le même temps, les contacts de l'Ouzbékistan avec les nouvelles autorités afghanes se sont intensifiés afin d'établir une coopération économique bilatérale solide et durable. Le 7 octobre dernier, à Kaboul, des négociations ont eu lieu entre la délégation d'Ouzbékistan dirigée par le ministre des Affaires étrangères, Abdulaziz Komilov, et des membres du gouvernement intérimaire d'Afghanistan. Le 16 octobre 2021, dans la ville de Termez, des négociations ont eu lieu entre les délégations gouvernementales d'Ouzbékistan et d'Afghanistan au niveau des vice-Premiers ministres, avec la participation de représentants de divers ministères et départements. Lors de ces réunions, les questions relatives à la sécurité des frontières, à la coopération dans les domaines de l'investissement, du commerce mutuel, de l'énergie, du transport international de marchandises et du transit ont été abordées. A cette occasion, la partie afghane s'est déclarée prête à assurer la sécurité des spécialistes ouzbeks impliqués dans la mise en œuvre de ce projet.

Premier pas

Au-delà du potentiel économique et touristique énorme, l'intensification générale de la coopération commerciale et économique et le développement de liens commerciaux durables entre les deux régions, à travers l'Afghanistan, seront importants pour la mise en œuvre de la construction du chemin de fer. À cet égard, il est nécessaire de réfléchir plus largement à la constitution d'un cadre juridique pour les relations commerciales bilatérales et multilatérales entre les pays d'Asie centrale et du Sud, ainsi qu'à l'adoption de mesures globales pour faciliter le commerce, assurer l'accélération du mouvement des marchandises et le passage des frontières. Le projet ouzbek pour désenclaver l'Afghanistan est le premier pas vers l'édification d'une communauté économique régionale qui servira non seulement la paix mais aussi un peu plus encore l'intégration de l'Asie centrale au reste du monde.

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(*) Auteur de « Emirats arabes unis à la conquête du monde » (éditions Max Milo).

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Commentaire 1
à écrit le 30/11/2021 à 9:01
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Oui oui on le sait bien qui lui tarde à l'UERSS d'intégrer les salariés ouzbèkes à 150 euros par mois, même les moldaves commençant à demander 200.

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