Pourquoi le système de retraite ne bénéficie-t-il pas aujourd’hui d’importantes réserves ?

DECRYPTAGE. Accumuler des réserves lorsqu’il y avait beaucoup d’actifs par rapport aux retraités aurait été un bon moyen de garantir à la fois la soutenabilité financière et l’équité entre les générations. Par Riccardo Magnani, Université Sorbonne Paris Nord
Les principaux représentants de l'intersyndicale, reçus à Matignon le mercredi 5 avril par Élisabeth Borne, espèrent l'abandon du relèvement de l'âge légal de départ à la retraite.
Les principaux représentants de l'intersyndicale, reçus à Matignon le mercredi 5 avril par Élisabeth Borne, espèrent l'abandon du relèvement de l'âge légal de départ à la retraite. (Crédits : Reuters)

La rencontre entre Élisabeth Borne et les représentants syndicaux, la première depuis la présentation de la réforme des retraites le 10 janvier, a tourné court ce mercredi 5 avril. À la veille de la onzième journée de mobilisation contre le projet gouvernemental de relèvement de l'âge de départ de 62 à 64 ans, la Première ministre espérait un « apaisement ». La réunion aura été « inutile » selon Sophie Binet, nouvelle secrétaire générale de la CGT. « Nous lui avons redit combien sa réforme était injuste et brutale », ajoute pour sa part Cyril Chabanier, président de la CFTC, qui prendra part aux défilés demain en attendant que l'intersyndicale soit reçue par Emmanuel Macron une fois rendue la décision du Conseil Constitutionnel.

Au cours des dernières journées de manifestations, les syndicats ont pu se réjouir de la présence de plus en plus massive dans les cortèges de lycéens, étudiants et jeunes actifs. La retraite paraît pour eux bien lointaine, même hypothétique, craignent certains.

Semble en tout cas se dessiner pour eux un système de moins en moins généreux par rapport à celui appliqué aux retraités actuels. Comment en est-on arrivé là ? Il ne s'agit pas ici de débattre de l'opportunité actuelle d'une réforme et de sa dimension ou non impérative. De nos recherches émane un questionnement en particulier : pourquoi le régime n'est-il pas aujourd'hui doté de réserves importantes ?

Dans un système par répartition, les pensions des retraités actuels sont financées avec les cotisations payées par les travailleurs actuels. Le mécanisme, également appelé « pay as you go », s'avère ainsi, par construction, vulnérable aux chocs démographiques, qu'il s'agisse d'une baisse de la natalité ou de l'allongement de l'espérance de vie. Cela a justifié des réformes dans plusieurs pays d'Europe ces dernières années.

Il ne faudrait cependant pas confondre équilibre à chaque date et soutenabilité. Cette dernière est le critère essentiel. Le dispositif est dit soutenable si les ressources disponibles (les réserves et les cotisations actuelles et futures) sont suffisantes pour faire face aux engagements pris vis-à-vis des retraités actuels et futurs. Un système de retraite ne doit ainsi pas nécessairement présenter un équilibre financier chaque année. Il pourrait présenter des déficits dans les années ou décennies futures, à condition que le niveau actuel des réserves soit suffisant à satisfaire la condition de soutenabilité, c'est-à-dire, que le taux de croissance de l'endettement soit inférieur au taux d'intérêt.

Or, cette variable d'ajustement que sont les réserves semble bien avoir été oubliée par les politiques publiques.

Considérer les bons indicateurs

Le débat public se focalise généralement sur le taux de remplacement, c'est-à-dire le ratio entre la première retraite et le dernier salaire pour un individu. Ce n'est cependant pas la variable qui renseigne quant à la soutenabilité ou à l'équité d'un système. Il s'agit du taux de rendement implicite des cotisations (TRI).

Le TRI est le taux de rendement qui permet d'égaliser la valeur des cotisations versées avec les retraites perçues, en tenant compte de la probabilité de survie. Pour être équitable, le système de retraite devrait garantir le même TRI à tous les individus. Considérons deux individus qui ont exercé la même profession, cotisé exactement les mêmes montants pendant 40 ans, mais l'un entre 22 ans et 62 ans et l'autre de 25 ans à 65 ans. Ils devraient ainsi percevoir une retraite différente du fait que l'un restera moins longtemps à la retraite. Leur taux de remplacement ne serait ainsi pas le même, mais leur TRI identique.

En voulant équilibrer le système à chaque période, les décideurs politiques ont en fait permis à des générations de bénéficier d'un TRI très élevé, quand celles et ceux qui partiront dans les décennies à venir obtiendront des TRI très faibles. Cela semble problématique du point de vue de l'équité entre les générations.

Concilier équité et soutenabilité n'est pourtant pas impossible. Telle est la leçon que nous tirons d'un modèle théorique que nous avons construit à partir d'hypothèses macroéconomiques standards (pour les initiés, il s'agit d'un modèle à générations imbriquées avec une fonction de production Cobb-Douglas, où les retraites sont calculées avec des règles actuarielles). Une règle en découle : si le TRI de chaque individu était fixé au niveau du taux de croissance de la masse salariale, alors le système de retraite serait soutenable et donc capable de faire face aux différents chocs démographiques, tout en permettant de garantir une équité entre les générations.

Avec cette règle, le système de retraite aurait pu accumuler des réserves importantes pendant le baby-boom, utilisables pour financer les déficits générés pendant la période de vieillissement démographique.

Pas besoin d'être devin

Certes, on pourrait objecter que pour calibrer le tout, il faudrait pouvoir anticiper les évolutions démographiques futures, ce qui paraît bien délicat. Une prédiction parfaite est même irréalisable.

A cette objection, on peut répondre d'abord en considérant que le problème du vieillissement démographique était connu depuis longtemps : à la page 60 (49 dans la version anglaise) du rapport de la World Population Conference organisée par les Nations unies à Bucarest en août 1974, on peut ainsi lire :

OOO

Les erreurs de prédiction restaient néanmoins importantes, peut-on rétorquer. Par exemple, en Angleterre et au Pays de Galles, on estimait en 1980 une augmentation de l'espérance de vie à la naissance de 2,4 ans pour chaque sexe à l'horizon 2012. Elle a, dans les faits, été de 6,1 ans pour les femmes et 8,4 ans pour les hommes.

Nos simulations numériques montrent que pour garantir la soutenabilité du système, prédire partiellement les évolutions démographiques suffit : anticiper seulement 20 % de l'augmentation future de l'espérance de vie aurait permis de générer des réserves suffisantes pendant le baby-boom.

Payer des erreurs passées ?

Le cadre que nous avons déployé n'est sans doute pas parfait et demande des développements futurs. Il n'intègre par exemple pas une variable démographique importante que constituent les flux migratoires. Il suggère néanmoins que quelque chose a été manqué par le passé : les pays dotés de systèmes par répartition ne semblent ainsi pas avoir accumulé de réserves suffisantes pour faire face au problème du vieillissement démographique.

D'après l'OCDE, en 2008, seuls le Japon, la Corée et la Suède possédaient des réserves excédant 20 % du PIB. Ailleurs, le montant élevé des cotisations a été utilisé pour payer les pensions avec un taux de rendement des cotisations élevé.

Peut-être les économistes avaient-ils eux aussi sous-estimé le rôle des réserves. La littérature semble davantage les considérer comme une option, au mieux comme une politique utile.

Ainsi est-il, légitime de se demander s'il est juste que les générations futures, non représentées dans les prises de décision antérieures, aient à payer pour les erreurs économiques des politiques passées.

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Par Riccardo Magnani, Maître de Conférences en économie, Université Sorbonne Paris Nord

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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Commentaires 20
à écrit le 12/04/2023 à 23:46
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Une fois encore il est oublié que la valeur n'est créée que par les seuls salariés et que la repartition de cette valeur se fait de plus en plus au profit du capital. Repartissons la valeur différemment et il n'y aura plus de problèmes de retraite ...

à écrit le 09/04/2023 à 10:14
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Bonjour, Ou sont passés les 150 Mds du FRR créé par Lionel Jospin en 1999 ?. N'était-ce pas la la solution ?.

le 11/04/2023 à 9:31
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Bien sur que non, il a juste remonté les caisses de son partie politique comme Macron le fait ce jour.

à écrit le 07/04/2023 à 22:48
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peut être parce que sarkozy a utilisé le fond prévu pour sécuriser pour finalement réduire les dettes française. Les Français on accepté de payer plus pour sécuriser les retraite, sarkozy a détourné cette argent publique (de cotisation) pour réduire ...

à écrit le 07/04/2023 à 12:12
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Les baby boomer ont fait moins d'enfants. Ainsi ceux qui ont fait 2 ou moins savaient que le 'stock' serait pas a niveau de leur fait. Donc moins de cotisation pour leur retraite. Donc devraient voir leur retraite diminuer d'autant . Ils ont pu souil...

le 07/04/2023 à 13:22
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simplement que la part versé par l'etat pour les fonctionnaires est ridicule et qu'ils ont prefere comble le manque pour faire des ecconomies sitiation hypocrite de nos dirigeants

à écrit le 07/04/2023 à 11:50
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il serait intéressant de récupérer les excédents du régime de retraite (très spécial !) du sénat , seul régime spécial à ne pas les reverser au pot commun ; pourtant c'est les français qui financent le sénat

à écrit le 07/04/2023 à 11:23
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En voilà une excellente question : d'une part l'Etat Français n'a pas dans son budget de RECETTES ATTRIBUEES, que ce soient les cotisations sociales ou les impôts et taxes, TOUT se retrouve dans un FOURRE-TOUT dont il faiut ce qu'il veut en attributi...

à écrit le 07/04/2023 à 10:42
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Ce fonds de réserve pour les retraites (FRR), créé par le gouvernement de Lionel Jospin (PS) en 1999 pour anticiper l'arrivée de la génération des baby-boomers à la retraite. Il s'agissait de constituer des réserves financières qui serviraient à équi...

le 07/04/2023 à 11:30
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Réponse à LA CHOSE: ce que vous dites est seulement en partie VRAI, le faux est plus subtil: pour comptabiliser l'état du système des RETRAITES en général pour l'UE: SARKOZY a adossé les fonds du privé (CNAV) sur les dettes abyssales du PUBLIC, et do...

à écrit le 07/04/2023 à 10:35
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Souvenir récent : Après deux ans d’application, les premiers bilans arrivent. Dans le panorama annuel des retraites publié par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) publié le jeudi 20 mai, il était indi...

à écrit le 06/04/2023 à 19:24
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Étonnant de faire un article sur le sujet en ignorant totalement le fait qu'il existe le Fond de Réserve pour les Retraites, inventé par Jospin. Il est de 26 Mds. Il était de 150 Mds mais Sarkozy l'a détourné comme dit plus haut.

le 07/04/2023 à 12:26
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Sarko a fait la même chose avec le fond prévu pour les maintenances industrielles et nucléaires d edf: 28 milliards + la privatisation partielle dont on ne sait à quoi ça a servi … a part enrichir les cabinets d audit de conseils dont il est « ami » ...

à écrit le 06/04/2023 à 17:33
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En effet le régime Agirc-Arco est bien géré de façon autonome et paritaire par les syndicats et le patronat. Mais il y a un taux d'appel des cotisations qui est révisé (ou pas) chaque année. Dans le cas du régime général, il serait tellement plus si...

à écrit le 06/04/2023 à 17:09
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Lionel Jospin avait créé un fond de réserve pour les retraites qui été détourné de son objectif et pillé par sarkozy et son gouvernement

à écrit le 06/04/2023 à 16:02
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bonjour. Posez vous la question des réserves de 'lAgirc Arco, qui vient de publier ses chiffres tout récemment. 70 Milliards de Réserves, sans imputer les comptes 2022. Pour le régime Général, la question serait bien de la poser aux Ministres Re...

le 06/04/2023 à 18:04
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Que représentent 70 milliards en mois de retraites à verser ?

le 07/04/2023 à 10:37
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C'était le but de la fusion de l'Agirc et Arrco, les 2 régimes de retraite complémentaire des salariés, qui ont fusionné le 1er janvier 2019 ,ça permet maintenant au gouvernement de faire main basse plus rapidement sur ces réserves.

à écrit le 06/04/2023 à 14:49
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"En voulant équilibrer le système à chaque période, les décideurs politiques ont en fait permis à des générations de bénéficier d'un TRI (taux de rendement implicite des cotisations) très élevé, quand celles et ceux qui partiront dans les décennies à...

à écrit le 06/04/2023 à 14:06
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Pourquoi ? Parce que ça aurait été admettre que la répartition est une escroquerie, et que les politiques ne vont que dans le sens du vent soufflé par leur électorat majoritaire, à savoir la génération des retraités actuels. Ces pauvres chéris ont...

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