Précarité menstruelle  : aller plus loin, mais jusqu'où ?

OPINION. Par Agnès Audier, présidente de l'Impact Tank ; Odette Hekster, Managing director, PSI-Europe et Virginie Arnaud le Pape, Responsable de projet, division Entreprises publiques et financements structurés à l'AFD (*).
(Crédits : DR)

En 2024, les protections périodiques réutilisables seront remboursées par la Sécurité sociale pour toutes les jeunes femmes de moins de 26 ans et les bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire (C2S). Cette mesure concerne les coupes et les culottes menstruelles ou encore les serviettes hygiéniques lavables. L'annonce faite par la Première ministre, Elisabeth Borne, vise à apporter un début de réponse à la précarité menstruelle, un enjeu considéré par le gouvernement comme prioritaire pour l'égalité entre les femmes et les hommes.

Cette précarité concernerait, selon le baromètre de Règles élémentaires, près de 4 millions de femmes qui n'auraient pas les moyens de s'acheter des protections périodiques en quantité suffisante. Avec les conséquences sanitaires graves que l'on connait, le port prolongé de ces protections pouvant entrainer des infections urinaires ou vaginales.

Nous ne pouvons que saluer cette mesure

Même si elle parait, à certains, partielle au regard de l'initiative prise en 2022, en Écosse, première région dans le monde à proposer des protections gratuites, quelles qu'elles soient, à toute personne, quel que soit son âge. Une application, PickMyPeriod, permet ainsi de localiser les points de distribution où en trouver : collectivités locales, établissements scolaires ou universitaires... Le dispositif rencontre un grand succès : près d'une personne sur deux interrogée a eu recours à ces protections gratuites, un an après le lancement.

Nous estimons que la France pourrait, elle aussi, aller plus loin en étendant l'accès à ces protections gratuites. En 2021, la ministre de l'Enseignement supérieur avait annoncé la distribution gratuite de protections périodiques dans les universités et les résidences des Crous en France. À ce jour, 1.000 distributeurs auraient été installés. Un chiffre qui peut sembler dérisoire pour un pays qui compte près de 3 millions d'étudiants.

Il faut également accentuer les dispositifs d'information, en y incluant les hommes, afin de s'attaquer à la stigmatisation dont les femmes font encore l'objet sur ce sujet. Ainsi, 57 % des Français estiment que les règles sont un sujet tabou dans la société et qu'il est toujours difficile de l'aborder entre mère et fille. Et 47 % des Françaises en 2021 ont vécu leurs premières règles sans avoir aucune information. Des ateliers d'éducation menstruelle, en présence de professionnels de santé, pourraient être organisés, au collègue, au lycée et à l'université, pour améliorer la connaissance de soi et la gestion de ses règles et pour briser ce tabou.

Une sensibilisation d'autant plus importante que la stigmatisation qui entoure le sujet des règles a des conséquences importantes sur la santé mentale. Selon la chercheuse Julie Hennegan, des sentiments d'anxiété et de honte ont été rapportés dans des études qualitatives s'intéressant à la réalité de femmes qui ont des difficultés à se procurer des produits menstruels. Et 80 % des jeunes filles de 11 à 18 ans estiment qu'avoir leurs règles à l'école est un facteur de stress et d'angoisse.

Enfin, un rapport d'information sur les menstruations remis à l'Assemblée nationale en 2020 faisait remarquer l'inadéquation des toilettes publiques avec les besoins d'hygiène menstruelle : celles-ci manquent généralement de propreté, de papier toilette, de savon, d'essuie-mains... et sont souvent la cible de dégradations et d'incivilités. Cela est d'ailleurs trop souvent le cas aussi dans des établissements scolaires. De fait, considérant les sanitaires publics, scolaires ou universitaires comme un lieu sale et dangereux, beaucoup de personnes évitent de les fréquenter. Cela favorise le port prolongé de protections menstruelles et les risques qui y sont associés.

Pour l'ensemble de ces initiatives, nous appelons à évaluer précisément l'impact qu'elles peuvent avoir. Des indicateurs doivent pouvoir mesurer la réalité de l'accès à des protections abordables et saines, ou encore la portée des actions de sensibilisation afin de faire progresser la connaissance du cycle menstruel et combattre les tabous (comme le pourcentage de femmes n'osant pas parler de leurs règles...). L'usage des données d'impact permettrait ainsi de penser l'évaluation des effets des politiques et des projets, pour comprendre la chaîne des inégalités au cœur de la gestion de l'hygiène menstruelle et agir en conséquence.

Faut-il aller plus loin ?

Certaines voix s'élèvent pour réclamer un congé menstruel pour les salariées qui en feraient la demande, un dispositif que l'Espagne vient d'adopter cette année et que certaines entreprises ont mis en place à titre expérimental. Cela reviendrait, concrètement, à créer un arrêt maladie spécifique, valable pour une année et adapté aux femmes ayant des règles douloureuses et/ou pathologiques, sans jour de carence, c'est-à-dire remboursé dès le 1er jour d'absence.

Si les défenseurs de cette mesure y voient un progrès social, d'autres alertent sur les impacts négatifs qu'une telle mesure pourrait avoir sur l'employabilité des femmes. Et les Françaises semblent les redouter. Dans une étude IFOP menée en 2022, 82 % estimaient que ce congé pourrait être un frein à l'embauche et 70 % considéraient qu'il pourrait être un obstacle à leur évolution et aux promotions.

Aussi, la mesure d'impact doit être au cœur de la lutte contre la précarité menstruelle, pour sortir des idées préconçues et mieux appréhender le flot des pourcentages qui envahissent le débat public. C'est le seul moyen d'obtenir des données fiables et des témoignages sur les effets directs et indirects de dispositifs comme le congé menstruel sur l'amélioration de la santé et la gestion des douleurs, le bien-être, le sentiment de confiance, mais aussi sur l'évolution de carrière et l'insertion professionnelle des femmes. Elle favoriserait un débat éclairé et l'alignement des acteurs publics et privés qui parleraient le même langage. Elle permettrait enfin à la France de s'affirmer sur la scène européenne et mondiale comme un leader de la santé et de l'émancipation des femmes.

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(*) Par les contributeurs du rapport de l'Impact Tank sur la précarité menstruelle, qui porte sur 12 pays d'Afrique et d'Europe (rapport soutenu par un collectif d'acteurs associatifs et privés : Règles élémentaires, Dons solidaires, Humanity Diaspora, PSI-Europe, AFD, Dim, Procter & Gamble, Fava).

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Commentaire 1
à écrit le 06/12/2023 à 16:06
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