Principe de précaution : quel serait le pire scénario économique pour l'euro  ?

ANALYSE. Dans la perspective du déconfinement, les gouvernements doivent choisir leur politique en envisageant les différents scénarios qui intègrent les aspects économiques et sociaux sans remettre en cause les recommandations scientifiques. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, Professeurs à l'ESSEC.
Marc Guyot et Radu Vranceanu.
Marc Guyot et Radu Vranceanu. (Crédits : Reuters)

La crise que nous traversons nous rappelle encore une fois les limites du principe de précaution selon lequel toute incertitude doit être abordée avec la stratégie du risque zéro. Pour éviter toute surcharge de leur système hospitalier, de nombreux pays du sud de l'Europe ont mis en place des confinements draconiens et persistants. Les experts sanitaires réunis en conseil scientifique par les gouvernements appuient les mesures allant vers l'élimination de tout risque dans une lecture certes purement médicale mais ouvrant également un large parapluie les protégeant de leurs peu de certitude concernant ce coronavirus, son mode de détection de contagion et les diverses formes d'affections qu'il déclenche. Leurs incertitudes couplées aux pénuries de masques et de tests les amènent à relayer, par sécurité, le scénario du pire. Selon le modèle proposé par l'Imperial Collège et adopté par la plupart des gouvernements, sans confinement, l'épidémie ferait des centaines de milliers de morts.

Pour être vraiment cohérents avec cette démarche politique d'alignement sur le scénario médical le pire, il faut envisager dès à présent le scénario économique correspondant à ces mêmes choix dans le contexte où l'épidémie semble perdre de son intensité et que les gouvernants ont engagé un processus de déconfinement graduel ou sont sur le point de le faire.

Un certain niveau de peur et de restrictions va se maintenir

A ce jour, il semble qu'un vaccin ne sera pas disponible avant au moins un an ce qui a comme conséquence immédiate qu'un certain niveau de peur et de restrictions va se maintenir. La traduction économique d'une peur rémanente est la forte incitation des consommateurs à épargner. Ainsi les milliards dépensés par les gouvernements pour maintenir le niveau de revenu via les mécanismes d'activité partielle ne retrouveront que partiellement leur chemin de retour dans le circuit économique. Cette baisse de la consommation sera persistante, et sera renforcée par la déferlante du chômage qui va s'en suivre une fois que les entreprises surendettées et à court de cash vont également se retrouver à court de demande et commenceront à faire faillite. Dans ce scénario économique et sanitaire, le taux de chômage dans les pays du Sud de l'Europe devrait dépasser les 20% fin 2020. L'investissement privé devrait suivre la même trajectoire, avec une diminution encore plus importante, vu l'incertitude sur l'avenir. Les banques avec leur actif chargé de créances douteuses, notamment dans l'énergie et l'immobilier, vont considérablement renforcer leurs critères d'octroi des prêts et augmenter leurs taux prêteurs. Il faut s'attendre également à des faillites dans le secteur bancaire et à des fusions défensives. La rupture des transports internationaux et la fermeture sanitaire des frontières a mis à l'arrêt les exportations et on peut s'attendre à leur transformation en barrières protectionnistes. Tout ces facteurs font qu'il ne faut absolument pas compter sur une reprise tirée par la demande.

Les mesures draconiennes de déconfinement vont profondément affecter l'offre de biens, en détraquant des processus productifs déjà fragiles pour les firmes peu compétitives et surendettées du Sud de l'Europe. Les restrictions sur la mobilité des travailleurs saisonniers vont réduire la production agricole. Les syndicats vont enfoncer le clou en demandant plus de mesure de sécurité. La difficile reprise de l'offre des entreprises qui auront survécu au confinement, combinée à l'atonie de la demande risquent d'entraîner une profonde destruction de la richesse nationale.

Un scénario encore plus sombre

Dans l'immédiat, la forte baisse de la demande devrait provoquer une faible déflation. Il pourrait cependant il y avoir un scénario encore plus sombre si, au bout de quelques mois, une reprise de la demande alimentée par les dépenses publiques se trouvait face à une capacité d'offre réduite du fait des faillites et des fortes réductions de capacités des firmes additionnées aux mesures de déconfinement. La destruction actuelle des entreprises du secteur pétrolier et la fermeture des puits pourraient avoir l'effet boomerang d'une hausse du prix du pétrole lorsque la demande augmentera. Bien que cette pénurie d'offre de biens et matières premières semble improbable, cela pourrait provoquer un retour de l'inflation et des anticipations d'inflation, qui pourrait évoluer vers une vraie catastrophe économique. Tant que l'inflation est faible, la Banque centrale européenne (BCE) a une grande marge de manœuvre pour soutenir les Etats dans leurs politiques de dépenses sans limites, la stratégie du « coûte que coûte ». Il a fallu 40 ans pour que les Européens forment des anticipations d'inflation stables, qui ont résisté même aux injections massives de liquidité post 2014. Mais une raréfaction de l'offre de biens et de pétrole pourraient tout chambouler.

Si ce choc d'offre agit comme un catalyseur pour relancer l'inflation, la montagne de liquidité accumulée dans le système depuis 2014 peut se transformer en hausse massive des prix de la zone euro et anéantir toute la crédibilité de la politique monétaire européenne. La BCE serait amenée à devoir choisir entre une inflation à deux chiffres ou une politique monétaire extrêmement restrictive qui aggraverait encore la crise, en termes de faillites et de chômage, accélérant le risque d'une défaillance des États les plus endettés.

Retour aux monnaies nationales

Si cela arrivait, il n'y aurait aucune chance que la zone euro soit en capacité de résister à ce choc. Il apparaîtrait comme une urgence nationale pour l'Allemagne et les pays du nord de sortir du système. Le retour aux monnaies nationales qui s'ensuivrait s'accompagnera sûrement d'une monétisation par beaucoup d'Etats de leurs dettes, ce qui ferait entrer une partie de l'Europe dans une longue période d'inflation de masse. Une période d'inflation élevée serait catastrophique pour les épargnants et les retraités et plus généralement pour le pouvoir d'achat des catégories les plus fragiles de la population.

Si la dynamique envisagée dans ce scénario catastrophe repose essentiellement sur un retour très incertain de l'inflation, cet évènement n'est pas impossible. Il serait judicieux, dans la gestion d'une crise sanitaire de l'ampleur de celle que nous vivons, que les décisions politiques prises soient évaluées en s'appuyant sur des modèles d'évaluation intégrés, à l'image des modèles utilisés en science du climat. Le point n'est absolument pas de remettre en cause les recommandations scientifiques médicales mais d'analyser leurs mises en œuvre au moyen d'outils d'évaluations qui intègrent les aspects économiques et sociaux permettant ainsi aux gouvernements en charge du bien public de faire le bon choix.

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Commentaires 9
à écrit le 29/04/2020 à 10:50
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Le pire scénario pour l'euro c'est que cette monnaie ne puisse s'adapter, n'évolue pas et devienne, comme le Latin, une langue morte! Pour l'instant, c'est "l'Economie" qui doit faire le travail et on en voit les résultats!

à écrit le 24/04/2020 à 8:54
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L'Euro possède de très mauvaises fondations, surévaluée pour les pays du sud et sous-évaluée pour les pays du Nord ce qui fausse la concurrence sacrée qui est le socle de l'UE. Pour l'international l'euro est mal partie pour être une monnaie d'échang...

à écrit le 23/04/2020 à 19:48
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Dans les années 70 et 80 on a eu de l’inflation. Ça n’a tué personne, le déficit public était bien tenu. Bref... Est-ce si grave?

à écrit le 23/04/2020 à 19:23
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Et maintenant, merci de nous faire part de scenarii alternatifs aussi crédibles que celui-ci, qui est synthétique et fait appel à la macro-économie classique. L'hyper-inflation d'ailleurs ne vaut que pour certains actifs, biens ou services marchands...

à écrit le 23/04/2020 à 18:36
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En quoi un changement de nom en rapport a un pays serait catastrophique pour l'euro? La monnaie serait enfin la représentation d'une économie au lieu d'essayer de mettre l'économie au niveau d'une monnaie commune administré hors du marché!

à écrit le 23/04/2020 à 14:04
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Pas besoin d'aller chercher compliqué, quand nos spécialistes de la santé comprendront que le système de santé est financé par l'économie, ils se rendront compte que si la lutte contre le coronavirus est une guerre alors rester enfermé trop longtemps...

à écrit le 23/04/2020 à 14:01
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Disons, pour être sympa, que les médecins se préoccupent de chaque personne, de façon complètement indépendante, au jour le jour, et que le politique, ainsi que les experts médecins, devraient en principe voir le global, le temps long, et les conséq...

à écrit le 23/04/2020 à 10:22
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Tout est possible. Ce qui est assuré, c'est qu'à vouloir sauver tout le monde, l'économie va être " plombée" pour des années. Plus grave, nous nous dirigeons vers une pénurie de nourriture que devrait aggraver une sécheresse qui semble poindre, si la...

à écrit le 23/04/2020 à 9:43
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L'Euro, born to lose.

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