Que tout le monde profite de la croissance !

Klaus Schwab, fondateur et président exécutif du Forum économique mondial et Richard Samans directeur du Centre for the Global Agenda
Klaus Schwab

 Il n'y a pas de plus grand défi politique qui préoccupe les dirigeants du monde entier que celui de faire partager la croissance économique de la mondialisation, au profit de tout le monde. En effet, un consensus géographiquement et idéologiquement diversifié a émergé pour dire qu'un modèle de développement économique nouveau - ou du moins largement amélioré - sera nécessaire si une croissance plus inclusive est véritablement recherchée.

Quelles recettes?

Malheureusement, ce consensus politique est resté jusqu'ici au stade de l'ambition, plutôt que de prescription. Les décideurs politiques doivent encore élaborer un cadre politique internationalement reconnu - accompagné d'un ensemble d'indicateurs et de jalons mesurables - pour guider les pays recherchant l'amélioration généralisée des conditions de vie, au lieu de simplement continuer à utiliser la croissance du PIB comme mesure ultime de la performance de l'économie nationale.

Pour créer des opportunités et améliorer le niveau de vie, il faut faire jouer un ensemble de politiques économiques structurelles et institutionnelles, dont beaucoup n'ont pas trait à l'éducation ou la redistribution (qui sont les champs les plus fréquemment présentés dans les discussions sur l'inégalité). Il y a une reconnaissance croissante de l'importance des institutions - notamment les cadres juridiques et les organismes publics qui gèrent les règles et les incitations - dans le processus de développement. Mais cette reconnaissance n'a pas encore influencé véritablement la façon dont la plupart des économistes et des décideurs pensent la croissance économique.

Le rôle des institutions

Le rôle joué par les institutions pour façonner la croissance économique était une des principales conclusions de l'étude référence de la Banque mondiale publiée en 1993 sous le titre Le Miracle de l'Asie de l'Est, qui examinait ce qui a permis aux huit pays de la région d'atteindre une "forte croissance accompagnée d'une diminution des inégalités" entre 1965 et 1990. La Commission sur la croissance et le développement, présidée par le prix Nobel d'économie Michael Spence, est parvenue à une conclusion semblable dans son rapport de 2008, The Growth Report: Strategies for Sustained Growth and Inclusive Development.

Un modèle plus inclusif

La leçon apparait également clairement dans l'histoire économique du XXe siècle, lorsque - en particulier au cours des décennies suivant la Grande Dépression - la plupart des pays industrialisés avancés d'aujourd'hui ont subi un processus soutenu d'approfondissement institutionnel qui a élargi la base et renforcé la résilience de leur économie. Les réformes visant la politique du travail, le climat d'investissement, l'assurance sociale, la concurrence, l'éducation et l'infrastructure ont créé un modèle de croissance plus inclusif et plus durable en répartissant le pouvoir d'achat, ce qui a soutenu la demande globale et réduit la vulnérabilité face aux évolutions en dent de scie liées à l'investissement.

Il s'agit d'une leçon qui doit être réapprise aujourd'hui, alors que l'économie mondiale continue à se débattre pour trouver une base plus solide à la croissance et pour enfin sortir de l'ombre de la crise de 2008-2009. Pour adopter un modèle de croissance et de développement plus socialement inclusif, il faudra élargir le prisme au travers duquel les priorités sont fixées lors de l'élaboration des stratégies économiques nationales.

Les politiques macro-économiques ne sont qu'une partie de la solution

Il restera toujours crucial de mettre en œuvre les politiques macroéconomiques, commerciales et de stabilité financière appropriées pour établir les conditions de base d'une allocation efficace des ressources qui sous-tendent la croissance. Mais ces politiques ne sont qu'une partie de la solution. Le développement d'institutions nationales et d'incitations appropriées dans un large éventail d'autres domaines qui participent à l'inclusion sociale sera essentiel à l'amélioration du niveau de vie, tout en renforçant le processus de croissance lui-même. Les deux types de politiques - gestion macroéconomique et mesures stimulant l'inclusion - méritent une attention égale dans les stratégies économiques nationales.

Un changement culturel au sein des gouvernements

Il est important de ne pas sous-estimer le changement culturel que cela exigera des gouvernements et des conseillers économiques. Le concept de « réforme structurelle » se réfère généralement à des mesures visant à stimuler la croissance économique en aiguisant les signaux de marché et en rétablissant la santé des finances publiques. Ces politiques sont souvent mises en œuvre en réponse à des crises fiscales ou de balance des paiements et réduisent souvent les niveaux de vie à court terme. Or, le renforcement des institutions dans des domaines qui favorisent l'inclusion sociale est aussi une forme de réforme structurelle, dans ce cas visant à maximiser la contribution de la croissance aux niveaux de vie de larges franges de la population et de renforcer la résilience de cette croissance.

15 domaines fondamentaux

Notre recherche a identifié 15 domaines qui sont importants pour promouvoir l'inclusion sociale. Ceux-ci comprennent l'accès à et la performance de l'éducation, la relation entre la productivité et la croissance des salaires, la concentration des rentes économiques, l'efficacité de l'intermédiation de l'investissement vers l'économie réelle opérée par le système financier, l'infrastructure physique et numérique, ainsi que la couverture et l'adéquation des protections sociales de base. Ils comprennent également des domaines non traditionnellement considérés comme outils de promotion d'une plus grande égalité - par exemple faciliter la constitution d'actifs par le biais de la petite entreprise, de la propriété immobilière et de la lutte contre la corruption - mais qui sont tout aussi importants que l'éducation ou la redistribution pour améliorer le niveau de vie.

Il n'y a pas de mélange institutionnel idéal unique pour obtenir une croissance inclusive, mais tous les pays devraient commencer à réfléchir plus systématiquement à renforcer leurs institutions et créer des incitations dans le but de promouvoir une croissance inclusive. Il y a beaucoup de choses qui peuvent être améliorées. Dans les comparaisons entre pays, aucun pays ne surclasse ses concurrents dans tous les domaines. En effet, aucun pays n'est au-dessus de la moyenne pour l'ensemble des 15 critères.

Il est possible, voire indispensable, de rechercher plus d'égalité et plus de croissance, de préconiser le renforcement de l'inclusion sociale tout en favorisant l'efficience des marchés. Un modèle inclusif pour la croissance et le développement est intrinsèquement favorable au travail et aux entreprises. Il est temps de mettre nos aspirations au travail.

Traduit de l'anglais par Timothée Demont

Klaus Schwab est le fondateur et président exécutif du Forum économique mondial. Richard Samans dirige le Centre for the Global Agenda et est membre du directoire du Forum économique mondial.

© Project Syndicate 1995-2015

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Commentaires 2
à écrit le 11/09/2015 à 11:34
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Encore de l'enfumage pour chasser les abeilles trop curieuses. Monsieur, sachez que la prise en compte d’une incertitude radicale comme menace potentielle, mais non comme caractéristique permanente, dans l’économie décentralisée conduit alors à reche...

à écrit le 11/09/2015 à 9:52
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Début du retournement de veste dans les institutions internationales de la mondialisation heureuse.

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