Quel impact économique après deux ans de guerre en Ukraine ?

OPINION. La guerre en Ukraine a constitué un choc économique moins fort que ce qui avait été anticipé.
(Crédits : DR)

La croissance russe a été plus impactée par la guerre et les sanctions qui en ont résulté  que la croissance européenne ne l'a été par l'envolée du prix du gaz. Cependant, toutes les économies, y compris l'Ukraine, se sont révélées fortement adaptables : la Russie a largement contourné les sanctions, l'Union Européenne a diversifié ses approvisionnements de gaz et l'économie ukrainienne parvient à se maintenir à flots. Le contexte géopolitique, et notamment les élections américaines, créent une fort incertitude sur l'évolution de la guerre ainsi que sur ses conséquences économiques.

Un choc particulièrement violent pour l'Ukraine

La guerre en Ukraine a entraîné un effondrement du PIB dans le pays. En 2022, le PIB  Ukrainien s'est effondré de 29% (1) et ne connaît qu'un rebond modéré. Ce choc n'est pas surprenant au vu de l'occupation d'une partie du territoire et de l'émigration d'environ 6 millions d'Ukrainiens (2). En 2025, le PIB ukrainien serait toujours inférieur de 20 % par rapport à son niveau de 2021 d'après les prévisions du FMI (ces prévisions sont par nature aléatoires puisqu'elles dépendent largement de l'évolution du conflit). L'économie russe, après avoir connu une récession de -2,1% en 2022, a retrouvé une croissance modeste depuis. L'économie de la zone euro a quant à elle échappé à la récession mais n'enregistre qu'une croissance faible. En 2025, le PIB de la zone euro aura progressé de 6,5% par rapport à 2021, contre une hausse de 4,6 % pour le PIB russe sur la même période (prévisions FMI).

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L'impact de la guerre en Ukraine est supérieur pour l'économie russe que pour celle de  la zone euro. Les sanctions Occidentales envers la Russie impactent également l'économie européenne (baisse d'exportations, hausse du prix des hydrocarbures). Cependant, en comparant les trajectoires (et prévisions) de croissances réalisées début 2024 avec celles réalisées à l'automne 2021 (soit avant le début de la guerre), on constate que le choc  économique a été plus violent pour la croissance russe que pour celle de la zone euro. Le PIB russe en 2025 serait 3,8% inférieur par rapport au scénario où la guerre n'aurait pas eu lieu, contre un niveau inférieur de 2,8% en ce qui concerne le PIB de la zone euro.

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L'Ukraine a été la plus impactée par l'inflation

La guerre a entraîné une hausse des prix, notamment en Ukraine. En 2022, l'inflation a  atteint 20,2% en Ukraine, 13,8% en Russie et 8,4% en zone euro. L'envolée des prix du gaz et la désorganisation des flux commerciaux a impacté toutes les économies, mais notamment l'Ukraine qui a subi les dommages les plus importants. La hausse des prix resterait forte dans les années à venir d'après le FMI, alors qu'elle se calmerait en zone euro et dans une moindre mesure en Russie.

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L'impact de la guerre sur l'inflation a été très légèrement supérieur en zone euro qu'en Russie. La guerre en Ukraine a fait bondir l'inflation aussi bien en zone euro qu'en Russie. En comparant les chiffres disponibles début 2024 (FMI) avec les prévisions réalisées à l'automne 2021, il apparait que, sur la période 2021-2025, les prix auront augmenté de 13% de plus du fait de la guerre en zone euro, contre une progression supplémentaire limitée à 12% en Russie (3).

Economie de la guerre, une forte adaptabilité des économies

  • L'économie ukrainienne ne s'est pas effondrée

L'économie ukrainienne s'est fortement contractée, mais a résisté à la guerre. Le PIB  ukrainien, comme la production industrielle, se situent, après deux ans de guerre, à un niveau  près de 30% inférieur à celui de début 2022. Cependant, au vu des conséquences de la guerre (environ 20% du territoire occupé par les Russes, exil de près de 15% de la population), la baisse de production de l'économie ukrainienne est restée limitée. A titre de comparaison, le PIB français avait chuté de plus de 25% entre 1914 et 1918 (4), dans des conditions similaires à celles que connaît l'Ukraine (occupation d'une partie du territoire, destructions de capital, pertes humaines). En termes financiers, l'économie ukrainienne a fait preuve d'une solide résistance, avec une dépréciation de la monnaie par rapport à l'euro d'environ 20% depuis janvier 2021, soit une évolution comparable à celle du rouble.

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  • La récession n'a pas eu lieu dans la zone euro

L'Europe a vécu une crise inflationniste violente mais a su s'adapter. Le fort ralentissement des livraisons de gaz russe a conduit à une envolée du prix et à une hausse de l'inflation inédite depuis 40 ans. Cependant, l'inflation est désormais sur une pente baissière, le continent n'a connu ni récession généralisée ni coupures de courant ou pénuries de gaz. Les économies de la zone euro se sont montrées adaptables pour à la fois consommer moins d'énergie et diversifier leurs sources d'approvisionnement de gaz (notamment la livraison de gaz liquéfié par bateau), ce qui a permis au prix du gaz de retrouver un niveau proche de celui d'avant la guerre en Ukraine. La hausse des dépenses militaires du fait de la menace russe pourrait stimuler la croissance dans les années à venir.

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  • L'art russe d'esquiver les sanctions

L'économie russe a souffert de la guerre, mais la violente crise économique attendue ne  s'est pas produite. Au printemps 2022, suite aux sanctions prises contre la Russie, de  nombreux analystes prévoyaient une grave crise économique, comme le FMI qui avait anticipé  une contraction annuelle du PIB de -8,5% (5). Le pays est bien entré en récession, mais la baisse  d'activité a été limitée à -2,1%. La Russie est parvenue à contourner les sanctions commerciales  et a stimulé son économie via les dépenses publiques.

- La Russie a contourné les sanctions commerciales. D'un côté, les exportations russes en  valeur ont augmenté en 2022 du fait de l'envolée du prix du gaz, ce qui a compensé la baisse  des volumes (une tendance qui s'estompe avec la baisse du prix du gaz). D'un autre côté, la  Russie a continué à importer depuis les pays Occidentaux en passant par des pays tiers. Le  commerce entre la France et la Russie illustre ces évolutions : la France exporte moins vers la  Russie, mais les ventes vers des pays frontaliers comme le Kazakhstan ont augmenté, signalant  un probable contournement des sanctions.

- Les dépenses militaires ont stimulé l'économie russe. La Russie a augmenté ses dépenses  publiques à destination de l'armée (industrie de l'armement, paiement des soldats), ce qui a  stimulé son économie. Si les chiffres précis sont difficiles à connaître, il apparaît évident que  l'économie russe a connu une forte modification, avec une explosion de la production  industrielle militaire et une diminution parallèle de la production et des dépenses publiques  dans les autres secteurs (automobile civile, recherche scientifique, éducation par exemple) (6).

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Des aides soumises à la prochaine élection présidentielle américaine

L'Union Européenne rattrape finalement les aides fournies par les Etats-Unis (7). Alors que fin 2022, les Etats-Unis avaient déjà fourni plus de 35 milliards d'aide (majoritairement des aides militaires) et promis jusqu'à 70 milliards, l'UE avait fourni un peu moins mais ne prévoyait que 50 milliards de plus. Cependant la donne s'est modifiée en 2023. En fin d'année les Etats-Unis ont fourni un peu plus de 60 milliards d'aide (2/3 d'aide militaire, 1/3 d'aide financière) avec pour l'instant un blocage de nouvelles aides par le Congrès américain et l'UE a déjà fourni 75 milliards d'aide (légèrement plus d'aide financière que militaire) et prévoit jusqu'à 140 milliards. Les autres aides proviennent principalement du Royaume-Uni et du Canada.

Après le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France prêtes à signer des accords bilatéraux de sécurité. Ces accords s'inscrivent dans la continuité des engagements pris par les pays du G7 en juillet 2023. Le Royaume-Uni a été le premier à signer un tel accord le 12 janvier. Le 16 février ce sont donc la France et l'Allemagne qui se sont engagées dans un soutien « à long terme » à l'Ukraine.

Les élections américaines en novembre prochain pourraient remettre durablement en question les aides provenant des Etats-Unis. Biden et Trump se lancent dans une bataille pour réaliser un second mandat en tant que président. Alors que le premier est un soutien sans faille de l'Ukraine, le second est plus réticent. Trump veut que l'UE s'aligne sur les aides fournies par les Etats-Unis, en menaçant de s'aligner à la baisse si les aides du côté européen n'augmentent pas. Les relations entre Poutine et Trump sont toujours ambigües, Poutine lors d'une interview déclare préférer Biden à Trump comme président américain, car « plus expérimenté et plus prévisible » (8). De son côté Trump ne cesse, via ses alliés au Congrès, de bloquer les aides supplémentaires à l'Ukraine. Si Trump gagne les élections en novembre prochain, le financement de la guerre en Ukraine risque d'être chamboulé.

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(1) Chiffres FMI (WEO) 
(2) https://fr.statista.com/statistiques/1295718/nombre-refugies-guerre-ukraine-europe/
(3) Cette estimation pose comme hypothèse que l'écart d'inflation est uniquement imputable à la guerre en Ukraine
(4) Maddison Project Database 2018
(5) https://www.reuters.com/business/finance/imf-cuts-global-growth-forecast-due-seismic-waves-russias-war ukraine-2022-04-19/
(6) Bank of Finland, Heli Simola, "The role of war-related industries in Russia's recent economic recovery", Policy brief n°16, 2023
(7) https://www.ifw-kiel.de/fileadmin/Dateiverwaltung/IfW-Publications/fis-import/dcaf114f-d246-495a-af39-ed94437a445e-Methodological_Update-Feb-2024_UST.pdf 
(8) https://www.courrierinternational.com/article/verbatim-pour-poutine-biden-est-mieux-que-trump-et-blinken-est-l-un-des-notres

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Commentaire 1
à écrit le 22/02/2024 à 9:50
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On fait imposer des innovations technologiques comme solution à toute relation humaine, c'est donc sans surprise que l'on utilise le mot "réforme" plutôt qu'adaptation ! Ce conflit fait parti du "jeu" !

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