La plupart des climato-sceptiques revendiquent en effet leur « droit au doute », sur la base d'un argument qui semble, à première vue, imparable : une théorie scientifique, comme son nom l'indique, n'étant jamais qu'une "théorie", il serait légitime et même sain pour la vie démocratique, d'en douter. Ils se posent ainsi à la fois en héros du doute, défenseurs de la liberté d'opinion face à un supposé totalitarisme scientifique aveugle, et aiguillons d'une Science qui ne progresserait que grâce au doute systématique.
Le doute n'a jamais fait avancer la Science
Cette posture est un leurre. Contrairement aux idées reçues, le doute n'a jamais fait avancer la Science. Comme l'écrit Karl Popper dans son ouvrage La quête inachevée : « les théories scientifiques, si elles ne sont pas falsifiées, restent toujours des hypothèses ou des conjectures », elles sont en ce sens un modèle arbitraire qui est supposé vrai tant qu'il parvient à expliquer les observations dont on dispose à un moment donné. Ainsi, on ne peut juste douter d'une théorie : soit on l'adapte à de nouvelles données, soit on la remplace par une autre. La théorie atomiste a par exemple expliqué pendant des dizaines d'années les comportements de la matière grâce aux atomes, avant d'être remplacée par la théorie des quarks dans les années 1960, qui elle-même risque un jour d'être remplacée par la théorie des cordes. Les théories scientifiques se succèdent et ne se ressemblent pas, l'une englobant l'autre, chacune plus précise que la précédente, en fonction des observations disponibles. Dans un autre registre, douter de l'existence des virus n'est-il pas absurde si l'on est incapable de proposer en retour une théorie alternative permettant d'expliquer la propagation de maladies ?
Pourtant c'est précisément ce que font les climato-sceptiques lorsqu'ils exercent sur les plateaux de télévision ou dans des ouvrages à sensation leur "droit au doute" sur les théories climatiques actuelles. Selon eux jamais assez précises, jamais assez crédibles, ils n'ont de cesse de pointer leurs failles, leurs limites ou leur caractère arbitraire sans pour autant proposer de théorie alternative crédible. Cette posture est dangereuse pour l'information des citoyens comme pour la prise de décision collective.
Le consensus est au cœur même de la vérité scientifique
Car en exigeant des modèles climatiques qu'ils soient capables de tout expliquer, exempts de toute faille et de toute incohérence, les climato-sceptiques remettent en cause l'essence même de la démarche scientifique, toujours imparfaite et en perpétuelle évolution. Ils propagent le fantasme qu'il existerait, quelque part, une vérité pure, absolue et démontrable sur le réchauffement climatique, indépendante de tout consensus de pairs. C'est un dévoiement complet de ce qu'est la Science, le consensus étant au fondement même de toute vérité scientifique. Affirmer que "la Terre est ronde" est le constat d'un consensus de la communauté scientifique sur le fait que la Terre est ronde. Il est issu de publications scientifiques, de congrès, de colloques, au sein desquels cette vérité scientifique a émergé, s'est construite et s'est installée dans la durée. Rien de plus, rien de moins.
Ainsi, en discréditant le GIEC et le processus de consensus mis en place depuis 30 ans au sein de la communauté scientifique mondiale, les climato-sceptiques attaquent les fondements mêmes de la vérité scientifique et de ses modes de production. Propulsés par la puissance virale des réseaux sociaux, leurs idées et fantasmes semblent prendre chaque jour un peu plus d'ampleur. Jamais la démarche scientifique n'a été aussi mal comprise, mal perçue, et instrumentalisée, jusque dans la sphère politique. Véritables armes de manipulation et de désinformation massive face aux catastrophes à venir, les réseaux sociaux n'ont plus grand-chose à voir avec des médias libres : le « droit au doute » s'est peu à peu transformé en « droit de nuire ».
Ne faut-il pas alors appeler les choses par leur nom et s'interroger sur la légitimité de ces droits ? Il ne s'agit plus ici de défendre une liberté d'opinion, mais bien de protéger la société contre des technologies de manipulations mentales à très grande échelle. Face aux catastrophes climatiques que l'on sait à venir, la question d'une réponse pénale à la propagation de ces fumisteries n'est-elle pas devenue urgente à débattre ? Loin d'une "libre pensée", il est peut-être à nous, société, de les condamner avant qu'elles ne condamnent les générations futures.
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(*) https://www.edf.fr/sites/groupe/files/2023-04/obscop22_e-book_planete-mobilisee_complet_20230427_planches.pdf
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