« Refondons l'intégralité de la fiscalité immobilière autour d'un impôt unique ! » (Robin Rivaton)

L'économiste Robin Rivaton, dans La Ville pour tous - Repenser la propriété privée (Editions de l'Observatoire, 192 pages, 17 euros), estime que la crise du logement dans les métropoles modernes menace désormais les équilibres de nos sociétés. Il plaide pour une refonte radicale : l'IPI ou impôt personnel immobilier viendrait remplacer la taxe foncière, les droits de mutation et même les plus-values. Une piste à suivre par Emmanuel Macron qui veut taxer « la rente foncière » ?
L'économiste Robin Rivaton
L'économiste Robin Rivaton (Crédits : SIPA)

LA TRIBUNE - La crise des « gilets jaunes » n'en finit pas, malgré le grand débat. Beaucoup ont fait le lien avec la fracture des territoires. La métropolisation est-elle devenue malheureuse ?

ROBIN RIVATON - Les gens ne choisissent pas seulement leur lieu de vie par rapport à leur emploi, ils le font aussi par rapport à la probabilité que leurs enfants vivent mieux. Cela a été le moteur de l'exode rural : on vivait parfois moins bien dans les villes, mais on pouvait espérer un progrès pour les générations futures. Le mouvement pavillonnaire des années 1970 et 1980 a été fondé sur ce postulat : vous vivrez mieux en quittant les grands ensembles.

Cette promesse faite aux classes moyennes s'est dorénavant inversée : les emplois et les opportunités de progression sociale se situent en zone métropolitaine. La pression démographique est donc devenue énorme, avec une demande gigantesque. Sans parler des familles qui divorcent et dé-cohabitent et plus généralement des modèles familiaux qui se restructurent. Face à cela, l'offre de logements est contrainte. Nulle part, on n'en produit suffisamment pour répondre à la pénurie. Les villes se figent. Les prix élevés ne sont que la traduction de ce déséquilibre majeur : ils explosent à Paris comme dans toutes les grandes villes allemandes, américaines, asiatiques...

Cette hausse des prix sera-elle sans fin, à votre avis ?

Le prix du mètre carré a atteint les 100.000 euros à New York pour un appartement dans un gratte-ciel de luxe. Il pourra y avoir moins de vendeurs, moins de biens disponibles sur le marché, mais le prix auquel ils seront vendus sera infini. Il existe suffisamment de millionnaires et de milliardaires à l'échelle du monde pour toujours trouver preneur. Si Paris, qui vient de passer les 10.000 euros du mètre carré, atteint dans quelques années les 20.000 euros, moins de gens se présenteront pour acheter, mais on en trouvera toujours quelques-uns.

Cela suffira à animer un marché moins important en volume qu'aujourd'hui, mais qui demeurera. Un bon indicateur est le foncier bâti, c'est-à-dire disponible pour les ménages. En faisant de la statistique sur une très longue période, je montre que l'augmentation des surfaces privatives est un luxe très récent. Cela date des années 1960-1970 lors de l'explosion du pavillonnaire. Désormais, dans les grands pays, nous assistons au contraire à une stagnation des surfaces privatives par habitant.

N'est-ce pas aussi parce qu'aujourd'hui, les terres agricoles sont davantage protégées ?

Non, nous assistons à une vraie baisse de la demande sur les zones pavillonnaires. Notamment les plus excentrées, éloignées des réseaux de transport qui ont accueilli entre les années 1980 et 2000 une grande partie de la production de logements neufs. C'était un modèle qui reposait sur le tout-automobile et des emplois fixes.

Lorsque les emplois ne sont pas stables, être sur les franges d'un bassin d'emploi, c'est la catastrophe ! Habiter près d'une usine permettait de s'assurer d'un emploi pendant trente ans. En revanche, lorsqu'elle ferme et qu'il faut faire 150 kilomètres par jour, les dépenses de carburant sont telles que le coût social juste pour l'emploi devient trop élevé.

La loi d'orientation des mobilités est censée résoudre les fractures territoriales...

La mobilité, qui a été un grand slogan de la campagne d'Emmanuel Macron, est un voeu pieux dans les conditions actuelles. Elle existe certes chez les plus âgés mais elle se justifie surtout pour les plus jeunes. Entre un smic national et des logements très onéreux dans les métropoles où se trouvent les emplois, nous avons fabriqué des trappes à chômage monstrueuses. Les classes populaires sont exclues alors qu'elles pourraient vouloir venir dans les villes y trouver du travail. C'est désormais au tour des classes moyennes et des familles d'être renvoyées à des kilomètres à la suite de phénomènes de gentrification.

Cela crée des centres-villes dédiés aux touristes ou aux plus aisés et de l'autre une France des ronds-points qui subit la fausse promesse du pavillonnaire. Il leur avait été dit : « Sacrifiez-vous, mettez-vous un crédit sur le dos, devenez propriétaire, vos enfants vivront mieux. » On a vu le résultat. Dans les années 1980, se construisaient encore deux maisons individuelles pour un logement collectif. Cela chute dans les années 1990 du fait de la crise, avant de retrouver ce niveau dans les années 2000. Depuis la crise de 2008, cela a totalement basculé : il se construit trois logements collectifs pour deux maisons individuelles.

N'a-t-on pas survendu cet idéal pavillonnaire ?

C'est une spécificité française ! Dans les années 1960-1980, toute la classe politique de droite avec Albin Chalandon en tête, tient un discours sur l'idéal pavillonnaire : « C'est une protection contre les risques de la vie... » C'est le même problème avec le diesel. Les gens ont été incités à acheter une, voire deux voitures roulant avec ce carburant... Si la crise des « gilets jaunes » s'exprime avec plus de violence chez nous qu'ailleurs, c'est lié à ces déconvenues. Nous n'en sommes même plus à l'idée de la concentration à Paris.

Celle-ci est actée. Si les manifestations ont été les plus extrêmes à Bordeaux et à Toulouse c'est parce qu'elles ont aussi vécu une métropolisation accélérée ces dix dernières années. En dehors de l'usine Ford à Blanquefort, c'est Bordeaux et le désert de la Gironde. À Toulouse, la zone dense se porte bien car la ville est irriguée par Airbus, mais les gens sont toujours plus relégués car d'autres arrivent avec davantage de moyens.

Dans ces conditions, que peuvent faire les métropoles ? Faut-il améliorer la péréquation ?

La péréquation ne doit pas se faire au niveau des métropoles, mais à l'échelle nationale. Des transferts s'effectuent déjà au niveau géographique. L'impôt sur le revenu est par exemple concentré sur certains départements. Idem avec l'Unedic où l'argent est collecté à Paris et dans les Hauts-de-Seine avec 7 % de chômage et va en Seine-Saint-Denis, dans l'Aisne ou en Pyrénées-Orientales où le taux de chômage va de 12 à 15 %. La solidarité s'exerce donc déjà au niveau national. Les métropoles peuvent évidemment mettre aussi en place des mécanismes de péréquation, à l'image de Valérie Pécresse qui défend tant les banlieues que la ruralité, tous deux des territoires périphériques.

Toutefois, les métropoles ne vont pas pouvoir d'elles-mêmes corriger le tir. Comme dans les châteaux forts, on y trouve les gens qui sont entrés et qui n'ont pas envie d'y faire entrer quiconque d'autre. Ceci explique pourquoi le sujet du logement ne fera jamais l'objet des campagnes électorales à venir. Ceux qui y vivent estiment avoir suffisamment payé le prix pour y arriver et n'ont pas nécessairement envie de redonner aux autres. C'est pourquoi la micro-démocratie est un piège en matière d'urbanisme, elle accélère la muséification des villes.

Serait-ce du pur égoïsme territorial ?

C'est propre aux grandes villes. Aux États-Unis, où la métropolisation est arrivée avec dix ans d'avance, les électeurs des grandes villes sont majoritaires au niveau national. Mais ils sont régulièrement mis en ballotage du fait du collège électoral et du découpage des circonscriptions. Ils cherchent donc à utiliser la péréquation comme un levier. Des démocrates locaux ne supportent plus par exemple de financer le Midwest via une redistribution non négligeable et tiennent des discours comme : « Nous leur payons des bons alimentaires pour qu'ils puissent se nourrir. Pourquoi devrait-on en plus supporter qu'ils envoient Trump à la Maison-Blanche ? »

En France, la redistribution ne permettra pas non plus de lutter contre les effets visibles actuellement. Des dizaines de milliards d'euros ont été investis pour les quartiers à travers l'Agence nationale pour la rénovation urbain (Anru), mais ce sont des zones extrêmement réduites par rapport aux inégalités géographiques dont nous parlons. Cela a été facile du fait des grands ensembles avec des logements sociaux, alors qu'avec les « gilets jaunes », il s'agit du pavillonnaire, un ensemble diffus où chacun est propriétaire. Dire aussi que cela passe par l'aménagement du territoire est également une fausse bonne idée. L'on entend que les entreprises doivent revenir dans les territoires, mais cette proposition n'est jamais étayée.

Les maires ruraux vantent pourtant sans cesse leurs mètres carrés disponibles, les places dans les écoles...

Il existe évidemment des politiques d'attractivité. Certaines villes américaines, même de taille moyenne, bénéficiant de toutes les infrastructures, vous offrent le logement pour que vous vous y installiez et pourtant ça ne marche pas. Si tout le monde se concentre dans la Silicon Valley, c'est parce que nous sommes rentrés dans une économie de l'échange, de la connaissance et de la confrontation. Le numérique ne remplace absolument pas la communication physique.

La thèse affirmant que grâce aux nouvelles technologies de l'information et de la communication nous allons réussir à décentraliser l'activité économique n'est pas visible sur le terrain. Le télétravail stagne depuis dix ans aux États-Unis. Tous ceux qui pouvaient y recourir s'y sont mis. En revanche, nombreux sont ceux pour qui cela reste impossible du fait de l'organisation intrinsèque de leur travail. Le même discours est tenu en matière de mobilité avec « la révolution des transports ».

Vous n'y croyez pas pour désenclaver les territoires ?

En réalité, compléter le modèle automobile avec la voiture autonome permettra certes de gagner du temps de trajet utile, mais ces véhicules coûteront trois fois plus cher qu'un véhicule normal neuf, sans même parler d'une occasion ! Celui qui pourra s'offrir une voiture autonome, habitera en centre-ville. De plus, l'on pressent qu'elle ne fera qu'augmenter la congestion, par exemple en cherchant, une fois délestée de son occupant, une place de parking la moins chère. Une utilisation plus responsable serait un bus avec des arrêts à la demande mais pour que la collectivité subventionne un tel service il devra fonctionner en zone dense. C'est parfait pour y améliorer la qualité de vie.

Par contre, un bus n'ira jamais aller chercher des gens à trente kilomètres ! Si elle advient, la révolution des transports sera par conséquent plus bénéfique aux métropoles. Elle permettra de réduire la seule nuisance majeure qui persiste dans les grandes villes : la voiture et le moteur à combustion. Cela ne pourra que renforcer leur attractivité. Quant aux transports collectifs dont les coûts de construction croissent, ils sont par nature réservés aux métropoles. Être plus de dix millions sur un territoire dense permet de se partager plus de choses. C'est ainsi que l'Île-de-France peut s'offrir un super réseau de métro.

Pour éviter une révolution, il faudra donc faire venir plus de gens dans les métropoles. Que proposez-vous ?

J'émets trois propositions qui pourront sembler très interventionnistes : confisquer, construire et contrôler. La ville pour tous est un appel à repenser la propriété privée. Je ne pense pas que pas l'usage s'impose sur la propriété. Au contraire, je crois en la vertu de la propriété immobilière car elle permet la création de patrimoine. Néanmoins, la propriété privée inaliénable, infinie, transmise à zéro frais, qui donne des droits de blocage sur les bâtiments alentour, est devenue une rente.

Or, cela finit par confisquer des ressources dont d'autres pâtissent. Il faut retrouver un esprit de propriété et sortir de l'esprit de rente. La fiscalité immobilière actuelle a tendance à entretenir la rente et pénalise les plus modestes. Chez moi à côté de Saint-Étienne, des gens peuvent payer une taxe foncière équivalente à 1 % de la valeur des biens, soit 1.500 euros pour une maison qui n'en vaut guère plus de 150.000 désormais.

Vous proposez donc une refonte très radicale de la fiscalité immobilière. Quels en seraient les contours ?

Je propose de refonder l'intégralité de cette fiscalité autour d'un impôt unique. Concrètement, on remplacerait tous les impôts liés à un bien immobilier, taxe foncière, droits de mutation à titre gratuits (les « frais de notaire ») et même les plus-values, et, à la place, on taxerait à 3 ou 4 % la valeur nette des biens, c'est-à-dire le prix actuel du bien moins la dette d'acquisition. C'est ce que j'ai appelé l'impôt personnel immobilier, ou IPI. L'idée est de vous permettre de fixer vous-même la valeur de votre bien, mais avec une régulation car ce montant équivaudrait au droit de préemption.

Ainsi, si dans une zone tendue vous mettez une valeur extrêmement basse pour ne pas payer d'impôts, vous prenez le risque que le maire vienne chercher les logements sous-évalués. Dès la première année, des biens reviendraient sur le marché. Cette idée n'est pas si utopique : après Vancouver qui a créé une taxe foncière de 1 % et envisage de la tripler, New York va en instaurer une de 4 % sur les biens de luxe détenus par les non-résidents.

En France, les maires n'ont pas ce pouvoir. C'est à l'État de porter une telle réforme..

Bien sûr, cela ne pourra se faire qu'au niveau national après une expérimentation et permettra de cibler les propriétaires qui se trouvent en surconsommation foncière. Beaucoup de gens ont acheté il y a longtemps des biens à des prix qui ne reflétaient pas les effets de la métropolisation. Leurs rentes sont déjà considérables avec des sorties à 5 à 6 fois le prix d'acquisition. Au lieu d'encourager les propriétaires à attendre une plus-value toujours plus élevée, ce nouvel impôt personnel immobilier permettra de faire revenir sur le marché des biens gelés. Il s'agit de libérer un marché figé.

Cela donnerait un coup de pouce à ceux qui viennent d'acquérir leur logement et les primo-accédants, empêchés d'acheter dans les zones tendues notamment les métropoles. Ceux qui veulent acquérir des mètres carrés supplémentaires en paieront le juste prix. Cette piste n'est pas fumeuse, elle permettrait de remplacer tous les impôts et de rapporter autant que toutes les taxes d'aujourd'hui. Cela supprime en outre les droits de mutation. Tous ceux qui, en zone périphérique, doivent constater des pertes sur la valeur de leurs logements auxquels s'ajoutent ces « frais de notaire » de 7 % s'estiment lésés et ne veulent pas vendre. Nous sommes 7 milliards, bientôt 10 milliards sur terre et nous voulons tous vivre en ville. La vraie ressource rare dans l'avenir, ce n'est pas tant l'eau ou l'air pur que l'accès au foncier dans les métropoles.

Avez-vous envoyé votre livre au président Macron, qui qualifie l'immobilier de « rente » et a créé l'IFI, ébauche d'IPI ?

Je ne vois pas l'immobilier comme une vache à lait, même s'il existe une vision budgétaire qui consiste à dire que l'immobilier est facile à taxer et qu'il faut continuer à le faire. Ceux qui profitent le plus de cet immobilier dans les métropoles doivent payer le juste prix. À l'inverse, dans les zones détendues, je plaide pour une baisse de la taxation de l'immobilier. Le logement est la source et la clé de nos problèmes sociétaux.

La contestation sociale actuelle vient largement de l'incapacité de faire bénéficier les gens du progrès qui se situe majoritairement dans les grandes villes. Gagner le smic à Firminy n'est pas la même chose qu'à Paris au regard du montant du loyer. Aux États-Unis depuis quelques années, un mouvement de hausse des salaires minimum métropolitains s'est opéré pour tenir compte du coût réel du logement.

PROFIL :

  • 2012-2013 : Associé au Boston Consulting Group
  • 2016 : Conseiller de Valérie Pécresse, chargé de l'attractivité et du développement économique de la Région Île-de-France
  • 2017 : Soutien la candidature de François Fillon à la présidentielle
  • 2018 : Lance Real Estech, le rassemblement de l'innovation dans l'immobilier

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Commentaires 2
à écrit le 27/04/2019 à 12:16
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surtout refondons la fiscalité sur la base d'une contrepartie à des services rendus effectifs mesurables . ce "contrat" original a malheureusement été trop régulièrement dévoyé .

à écrit le 27/04/2019 à 8:20
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Ça fonctionnera pas car l’estimation d’un bien est bancal : 1) situation des routes ( emplacement) 2) le confort 3) la valeur des biens dans le quartier 4) la politique de la mairie 5) l’état du bien 6) l’énergie Ce que j’ai compris sur la «  fisc...

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