Se former ensemble pour un véritable Green New Deal

LE MONDE D'APRES. Plutôt que de mettre leur personnel en chômage technique comme elles sont en train de le faire, les entreprises devraient plutôt écouler leur crédit de formation et profiter de ce moment de vide pour faire un pas de côté et préparer l'avenir. Ici peut naître une nouvelle phase de l'économie de l'immatériel, permettant tout à la fois prospérité, inclusion et véritable résilience environnementale. Par Raphaële Bidault-Waddington, prospectiviste et fondatrice du LIID Future Lab (*).
Raphaële Bidault-Waddington
Raphaële Bidault-Waddington (Crédits : Maria Spera)

La crise du Coronavirus plonge la planète dans un état de tétanie qui ne laisse rien présager de bon ni pour l'économie mondiale ni pour les acquis sociaux et le welfare, car ce qui s'annonce n'est autre qu'un chômage de masse, de longue durée et dont on sait déjà qu'il saignera les états. Ceux-ci auront beau faire marcher la planche à billet pour apporter des subventions palliatives, celles-ci auront nécessairement leurs limites et n'endigueront pas la précarisation générale s'il n'y a pas un vrai projet d'avenir. La reprise économique ne se fera pas comme ça, et notamment parce que ce ralentissement général est aussi celui d'une bascule vers de nouveaux modes de vies plus résilients, bas carbone et post-consommation, qui, lui, sera un acquis.

La généralisation du travail à distance montre que nous pouvons entrer dans une phase de dé-mobilité réelle et réduire drastiquement notre empreinte carbone. La restriction du commerce nous montre combien le shopping récréatif et la fast-fashion n'a rien d'essentiel. C'est le moment de faire pivoter les industries à fort impact environnemental (transport, mode, bâtiment) vers de nouveau modèle d'activité, de mission (purpose) et de création de valeur(s). Plutôt que de reprise, reprise d'un système non-vertueux pour la planète, parlons plutôt de réinvention voir de conquête d'un autre modèle de société, à commencer par nos imaginaires et horizons futurs, car c'est là que se nichent les leviers de la résilience.

S'approprier le futur, retrouver de la capacité d'agir

Penser au futur de manière créative et puiser dans nos ressources intérieures sont les premières choses à faire pour sortir de la peur et de la tétanie générale. Le statu quo actuel est en réalité un bon moment pour réfléchir à de nouvelles politiques et stratégies d'action. Se réapproprier et ouvrir le futur permet de se redonner de la capacité d'agir, de ne pas se laisser abattre par un horizon bouché qui donne l'impression d'être face à un mur.

Depuis la nuit des temps, la nature humaine se réadapte et se réinvente en permanence grâce à sa créativité. Faisons-lui, faisons-nous confiance pour puiser dans cette ressource infinie et qui appartient à tout le monde. Comme vis-à-vis de la maladie, il n'y a pas de rémission, de guérison puis de résilience sans un certain mental qui permet de reconquérir de la solidité, individuelle et collective sur laquelle construire l'avenir.

Formation plutôt que chômage, devenir "future-proof"

Le première idée force à défendre, est que les entreprises, plutôt que de mettre 30% de leur personnel en chômage technique comme elles sont en train de le faire, devraient plutôt écouler leur crédit de formation et profiter de ce moment de vide pour faire un pas de côté et préparer l'avenir. L'Etat devrait donner non pas des subventions simples mais des financements de formation à tous ceux dont l'activité est suspendue. Plutôt qu'un chômage massif, profitons-en pour acquérir des connaissances et des compétences, pour développer les talents de chacun et de devenir "future proof". Tout le monde doit y avoir droit, à tous les âges et avec tous les profils. Voyons-le comme une opportunité de redéfinir nos projets personnels par la même occasion.

D'autre part, les indépendants qui sont déjà en très grandes majorités en situation de précarisation, sont également des acteurs qui ont des savoirs et des savoir-faire à transmettre, et nombreux sont ceux qui en ont l'expérience. Créer pour eux et dès les prochains jours une micro-économie de l'enseignement à distance leur permettra indubitablement de ne pas sombrer. Quand bien même la solution n'est pas parfaite, les enfants et les enseignants ont réussi l'incroyable tour de force de basculer l'ensemble de l'éducation on-line en une semaine, pourquoi les adultes n'y arriveraient-ils pas ? Les enfants seraient d'autant plus motivés d'étudier qu'ils voient leur parent faire de même (et réciproquement).

Economie de l'apprentissage

Par la même occasion, c'est le moment pour toutes les écoles d'imaginer les formules de formation adéquates et de se mettre à l'écoute de toutes les innovations pédagogies, par exemple celle qui consiste à apprendre en faisant (learning by doing) ou celle qui convergent vers les écosystèmes d'innovation. Les écoles qui ont l'habitude de programmer des indépendants dans leurs cursus, pourraient devenir des portails pour distribuer les modules de formation que ceux-ci peuvent imaginer.

Apprendre à concevoir un prototype de projet est une formule simple, et ces projets, qu'il soient culturels, sociaux, entrepreneuriaux et même intra-preneuriaux, deviendront les locomotives de la reprise, d'une reprise vertueuse.

Au delà de l'utilisation intelligente de ce temps, il est clair que nous avons besoin de tout réapprendre pour réinventer nos modes de vie. Réapprendre à produire localement, en circuit court est une priorité, et par un usage raisonné des technologies. Les makers qui trouvent déjà des solutions à la crise avec par exemple des solutions de masque à faire soi-même sont de bon modèle de l'agir résilient. Mais ce sont aussi tous les grands groupes, privés et publics, et même les institutions, notamment les écoles et les centres culturels qui peuvent de venir de puissant pivot de la transformation vers une société post-carbone et post-consommation.

Dans ce Green New Deal, c'est la valeur de l'apprentissage et de l'expérience "enrichissante" individuelle et collective qui prime, et surtout dans sa dimension symbolique et humaine, plutôt que matérielle. Ici peut naître une nouvelle phase de l'économie de l'immatériel, permettant tout à la fois prospérité, inclusion et véritable résilience environnementale. La France peut montrer l'exemple en ce sens.

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LIID (Laboratoire d'ingénierie d'idées) Future Lab coordonne des laboratoires de recherche artistique et prospective dans l'art, l'image, la littérature, les cultural studies, l'architecture, l'urbanisme, le développement durable, l'économie, les humanités digitales, l'intelligence artificielle, la post-vérité.

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Commentaires 6
à écrit le 01/04/2020 à 16:24
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Moi j'aime le shopping récréatif, prendre l'apéro entre amis, plonger dans la mer, visiter des musées, ... Ce ne sont pas des activités "essentielles", mais si on ne garde que l'essentiel, bonjour tristesse !

à écrit le 30/03/2020 à 14:28
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"encore des mots, toujours des mots, les mêmes mots" Paroles, Paroles, Paroles disait la chanson. Le futur? J'ai bien peur que ce soit dans la continuité. "Plus jamais ça", au rayon des incantations. Quelle connerie !

à écrit le 30/03/2020 à 12:30
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Ce n'est pas en faisant la g… sur la photo et en tenant un discours bien terroriste sur la crise actuelle et sur le jour d'après pas folichon qu'on va bien vendre le Green New Deal. Ras le bol ! des prophètes de l'apocalypse. Souriez ! ça ne coûte ...

à écrit le 30/03/2020 à 11:09
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Préparer l'avenir avec les moyens du passé; c'est vouloir construire un dogme a atteindre a coup de réforme, sans qu'il n'y ai le moindre effort d'adaptation nous empêchant de faire les mêmes erreurs!

à écrit le 30/03/2020 à 10:36
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"S'approprier le futur, retrouver de la capacité d'agir" Vous parlez à des gens, à savoir les propriétaires de capitaux et d'outils de production qui ne vivent que sur le passé, gagner toujours plus toujours plus vite étant devenu leur obsession ...

à écrit le 30/03/2020 à 10:34
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On attend votre intelligence artificielle dont on faisait grand cas. Pour l’instant c’est plutôt le flop par rapport à ce qu’on nous promettait. Certains parlaient même de la disparition de certaines spécialités médicales comme les radiologues. Bra...

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