« Soft Power » de la société civile : démocratie délibérative, durabilité et justice sociale à travers la loi anti-gaspillage

OPINION. Le rôle crucial de la démocratie délibérative et du « soft power » de la société civile dans la lutte contre le gaspillage alimentaire, souligne l'impact significatif de la loi Garot en France. Par Véronique Chabourine, membre du bureau de l'association Renew Europe France Paris, déléguée chargée de la communication.
(Crédits : DR)

Selon les conclusions d'un récent rapport de l'Organisation des Nations Unies, notre planète assiste quotidiennement au gaspillage d'un milliard de repas. En France, cette problématique se traduit par en moyenne le gâchis annuel de 61 kilogrammes de nourriture par individu, inférieure à la moyenne mondiale de 79 kilogrammes. En réponse à cet enjeu majeur, la France s'est distinguée en février 2016 par l'adoption de la loi Garot, une initiative législative anti-gaspillage faisant du pays un précurseur mondial en la matière. Cette législation, saluée internationalement, démontre son efficacité par des mesures contraignantes pour les supermarchés excédant 400 mètres carrés, leur interdisant de détruire des denrées encore consommables et les incitant à établir des partenariats avec des associations caritatives.

L'adoption de cette loi illustre parfaitement le pouvoir de la démocratie délibérative (1), approche théorisée par le philosophe John Rawls et le penseur Jürgen Habermas, selon lesquels une décision politique est légitime lorsqu'elle résulte de la délibération des citoyens. Le projet de loi anti-gaspillage (2) prend ses racines dans l'engagement indéfectible du juriste Arash Derambarsh, qui en est à l'origine et dont les efforts ont été récompensés en octobre 2019 par le prestigieux prix Win Win, considéré comme le Nobel du développement durable. Cette réussite est le fruit d'une collaboration exceptionnelle entre divers acteurs de la société civile, marquée notamment par le soutien de l'acteur et réalisateur Mathieu Kassovitz dès les premiers instants, ainsi que par l'implication de figures publiques telles que Nikos Aliagas.

Leur engagement, soutenu par le recours à des mécanismes démocratiques tels que les pétitions à l'échelle nationale et européenne, signées respectivement par 200.000 et 1,6 million de citoyens, illustre l'impact significatif de la mobilisation collective au bénéfice d'intérêts communs, englobant le secteur associatif. Cette dynamique contribue de manière substantielle aux fondements de la solidarité, du développement durable et de la lutte contre la pauvreté. Elle témoigne de l'intérêt prononcé des citoyens français non pas pour une abstention politique, mais pour un modèle enrichi de démocratie délibérative et représentative, s'élevant contre un désengagement et une défiance politique structurels. Par l'implication active de la société civile dans les mécanismes de la démocratie, Arash Derambarsh a ouvert la voie à une forme renouvelée de démocratie délibérative, restituant ainsi à la société civile sa capacité d'influence, son « soft power ».

La mobilisation citoyenne pour une démocratie délibérative

Le 20 mars, le juriste Arash Derambarsh, l'acteur et réalisateur Mathieu Kassovitz et le musicien Youssef Soukouna (Sefyu) étaient reçus au Sénat par la sénatrice Marie-Do Aeschlimann, avant de rencontrer prochainement le Premier ministre Gabriel Attal pour améliorer la loi anti-gaspillage alimentaire. En 2023, un rapport du Sénat pointe que 14,7% de la population française vit sous le seuil de pauvreté (9,3 millions de personnes) ; depuis 2020, la précarité alimentaire touche un nombre croissant de personnes. Arash Derambarsh pointe la nécessité d'un meilleur suivi de l'application de la loi et  demande que les supermarchés soient concernés par la loi à partir d'une surface de 200 mètres carrés au lieu de 400 actuellement - la ville de Courbevoie, dans laquelle il est élu, a été mise en avant comme un exemple avec plus de 400 000 repas sauvés et redistribués aux associations caritatives et aux démunis depuis 2020 - Mathieu Kassovitz porte le projet de la création d'un organe du contrôle alimentaire et Sefyu se mobilise pour l'anonymat du don.

En mars, la start-up d'état Je Veux aider dans son rapport d'impact, révèle une augmentation significative de l'engagement bénévole en France, avec plus de 550.000 bénévoles prêts à soutenir un large éventail de missions, démontrant un intérêt croissant pour l'engagement et la solidarité.  En novembre dernier, plus de 4.000 personnes ont exprimé leur engagement particulièrement marqué pour les banques alimentaires, soulignant une prise de conscience autour des enjeux de la précarité alimentaire. L'État a la capacité, grâce à la création d'une start-up d'État, de fournir une visibilité et traçabilité des dons facilitant ainsi la conformité à la législation sur la lutte contre le gaspillage alimentaire. À l'échelon local, les municipalités peuvent s'inspirer de l'initiative menée par la ville de Courbevoie en œuvrant pour l'application rigoureuse de la loi anti-gaspillage.

Ces constats sont alarmants et appellent à une prise de conscience collective ainsi qu'à une mobilisation accrue des pouvoirs publics et de la société civile. La pauvreté et la précarité alimentaire ne sont pas seulement des indicateurs économiques ; elles touchent à la dignité humaine et au droit fondamental de chaque personne. La loi anti-gaspillage alimentaire peut devenir un levier de soft power sur les questions de durabilité et de solidarité. La France, exemple européen, doit poursuivre son effort et devenir une référence mondiale.

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(1) Approche de la démocratie selon laquelle il est nécessaire que les citoyens prennent part au débat public.
(2) Loi Garot n°2016 -138 du 11 février 2016

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Commentaires 2
à écrit le 03/04/2024 à 12:41
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Sachant que cela reste sur notre planète, c'est recyclé à plus ou moins long terme par contre cela gaspille de l'énergie !

à écrit le 03/04/2024 à 10:47
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Chez LIDL ils font en effet un carton avec leurs pommes de terre qu'autrefois ils donnaient aux associations alimentaires où prendre aux très pauvres pour vendre aux pauvres.

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