Taxe carbone aux frontières : l'importateur-payeur

OPINION. Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières est dans sa période transitoire, dite d'apprentissage. Quels en sont les premiers enseignements ? Par Mark Barges et Gaëlle Cognet, avocats au sein du cabinet Ashurst.
(Crédits : DR)

Les importateurs européens de certaines marchandises (ciment, fer, acier, aluminium, fertilisants, hydrogène et électricité) en provenance de pays tiers avaient jusqu'au 31 janvier dernier pour notifier leur première déclaration trimestrielle des émissions de gaz à effet de serre des produits qu'ils ont introduits sur le territoire douanier de l'Union Européenne depuis le 1er octobre dernier.

S'ils ont pu gagner un mois de délai supplémentaire à la faveur d'un dysfonctionnement du registre transitoire, et s'ils disposent d'un droit de correction de leurs premiers rapports jusqu'au 31 juillet prochain, cette première étape dans l'entrée en vigueur du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF, ou CBAM en anglais) les a confrontés à un exercice inédit: quantifier les émissions de gaz à effet de serre de produits fabriqués dans le monde entier, selon des procédés variés, en devant demander aux producteurs concernés de se conformer à la méthodologie particulière développée par la Commission européenne pour refléter l'approche retenue, à l'intérieur des frontières de l'Union Européenne, pour le système d'échange de quotas d'émissions (SEQE, ou ETS en anglais).

L'exercice est complexe sur le plan technique car il relève d'un tour de force juridique de l'Union Européenne: étendre l'application du principe "pollueur-payeur" aux importateurs (le principe devenant celui de l'"importateur-payeur") pour atteindre indirectement les producteurs des pays tiers, faute de pouvoir imposer son droit à l'extérieur de ses frontières.

L'expansion de l'influence climatique de l'Union européenne

Le principal motif avancé est autant écologique qu'économique : l'Union Européenne souhaite élever le niveau en matière d'atténuation des émissions de gaz à effet de serre tout en préservant la compétitivité interne de ses industriels. Elle entend ainsi lutter contre le risque de fuite de carbone, lequel se manifeste lorsque, "en raison de coûts liés aux politiques climatiques, des entreprises de certains secteurs ou sous-secteurs industriels transfèrent leur production vers d'autres pays ou lorsque les importations en provenance de ces pays remplacent des produits équivalents dont l'intensité des émissions de gaz à effet de serre est moindre" (règlement (UE) 2023/956 du 10 mai 2023 établissant un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, considérant (9)).

L'instauration du CBAM constitue d'évidence une étape majeure dans l'expansion de la sphère d'influence juridique de l'Union Européenne en matière climatique, comme le fut le RGPD (règlement général de protection des données) en matière de protection des données personnelles.

Il sera intéressant de suivre son impact sur les politiques climatiques des pays tiers, qui pourrait se traduire par l'essor de nouveaux marchés carbone ou l'évolution des marchés existants, par leur convergence avec l'ETS (notamment pour atteindre le même niveau de prix du carbone) ou par l'instauration, ainsi que l'a annoncé le Royaume-Uni en décembre dernier, d'un mécanisme comparable d'ajustement aux frontières.

Des mécanismes en miroir

Mais pour les industriels européens comme ceux des pays tiers, il sera tout aussi important de suivre le détail de la quinzaine d'actes délégués et d'application du CBAM que la Commission européenne doit encore élaborer pendant cette période transitoire, et l'évolution concomitante de l'ETS.

Ce qui se joue avec l'instauration du CBAM, c'est en effet le fonctionnement à plein du régime de l'ETS à l'égard des industriels européens, actuellement protégés du risque de fuite de carbone par l'obtention de quotas gratuits. A l'heure actuelle, à l'intérieur-même des frontières de l'Union Européenne, l'application du principe pollueur-payeur en matière climatique est ainsi très largement atténuée, voire suspendue. Il ne trouvera sa pleine expression qu'avec la disparition des quotas gratuits qui accompagnera, de façon progressive, l'essor du CBAM. Les deux dispositifs sont conçus en miroir, et de leur parfaite symétrie dépendra l'équilibre (et la solidité juridique) de l'édifice entier.

L'enjeu majeur pour la Commission européenne est ainsi d'assurer, par le détail de la réglementation qu'elle va adopter, la parfaite équivalence des deux mécanismes. Elle doit garantir, d'un côté, la protection de l'industrie européenne contre toute forme de "dumping climatique", et de l'autre, la compatibilité du CBAM avec le droit de l'Organisation mondiale du commerce, qui interdit toute discrimination entre les importations et les produits domestiques en n'y admettant que des dérogations environnementales limitées.

Cette équivalence sera formellement assurée, bien qu'en différé, par la fixation hebdomadaire du prix des certificats CBAM à hauteur du prix moyen de clôture sur l'ETS durant la semaine écoulée.

Elle se niche cependant également dans le détail de chacun des deux mécanismes : dans le périmètre des biens et des émissions concernés, dans les règles d'allocation des quotas gratuits, comme dans la prise en compte du prix du carbone qui aurait été "effectivement payé" dans le pays d'origine - en excluant "tout rabais ou toute autre forme de compensation disponible dans ce pays qui aurait entrainé une réduction de ce prix" (règlement (UE) 2023/956 du 10 mai 2023, article 9).

Or cette équivalence est d'autant plus complexe que ces deux mécanismes ne visent pas les mêmes entités : l'ETS cible les émissions des installations, quand le CBAM vise les émissions des produits. Et comme évoqué plus haut, l'ETS s'impose aux exploitants quand le CBAM s'impose aux importateurs.

L'importateur-payeur

Le CBAM introduit ainsi une variation dans l'application du principe pollueur-payeur qui soulève, à elle seule, des problématiques juridiques nouvelles. Il fait reposer sur l'importateur (ou son représentant) la responsabilité de remonter la chaîne d'approvisionnement pour collecter l'ensemble des informations nécessaires à l'élaboration des déclarations, qu'elles portent sur la validité de la méthodologie employée par les producteurs pour déterminer leurs valeurs d'émissions ou sur les dispositifs de tarification carbone dont ils ont pu bénéficier.

Les exploitants d'installations situées dans des pays tiers auront la faculté d'enregistrer leurs installations dans le registre CBAM, sur demande adressée auprès de la Commission européenne, ce qui leur permettra de communiquer directement les données d'émissions (vérifiées) associées aux marchandises qui y sont produites. La Commission sera néanmoins dépourvue de tout pouvoir de sanction à leur égard, si ce n'est par la radiation des informations qui s'avèreraient inexactes.

Si les émissions déclarées devront être préalablement vérifiées par un vérificateur accrédité, c'est ainsi l'importateur qui, seul, sera exposé au versement d'une amende en cas d'irrégularité, dont le montant sera équivalent à celle imposée aux exploitants dans le cadre de l'ETS.

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Commentaires 2
à écrit le 03/03/2024 à 10:58
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Si on a sauvé la couche d'ozone c'est parce que l'on a interdit la production des gaz qui al détruisaient et non demandé aux gens d'arrêter d'en acheter sinon nous serions tous irradiés en sortant 3 secondes au soleil. Nos dirigeants sont nuls. C'est...

à écrit le 03/03/2024 à 10:12
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Retrouver des frontières, c'est savoir où l'on se situe et ce que l'on défend, mais pour l'instant on est sous hypnose ! ;-)

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