Terrorisme, conflit au Moyen-Orient... : la panique des marchés attendra

CHRONIQUE. Les crises géopolitiques sont impénétrables pour l'oracle qui cherche à prévoir. L'horizon des possibles hésite entre chaos ou néant, et la sortie de crise fait figure de point aveugle. On imagine alors un vent de panique sur les marchés. Sauf que ce n'est pas ce qui observé aujourd'hui. Par Karl Eychenne, chercheur chez Oblomov & Bartleby.
(Crédits : SIMON DAWSON)

Parfois, l'avenir laisse très peu d'indices sur la forme qu'il prendra. Nul ne sait comment évoluera le conflit au Moyen-Orient à très court terme. Nul ne sait non plus quelle sera l'issue du conflit en Ukraine. Et enfin, nul ne sait quand le conflit dans l'Indo-pacifique débutera. Il s'agit de crises géopolitiques majeures aux conséquences potentiellement dévastatrices, en cours, en devenir, et à venir.

« Presque toujours en politique, le résultat est contraire à la prévision », Chateaubriand. On imagine que l'aphorisme fonctionne aussi pour la géopolitique.

Face aux scénarios de fin du monde, plusieurs attitudes sont possibles. La sidération, la raison gardée, la panique, la fuite. Concernant la fuite, elle est exclue puisqu'il n'y a nulle part où aller. Et puisque nous avons choisi de nous intéresser à la finance de marché, alors il nous faut aussi exclure la raison gardée. Enfin, la sidération non plus ne fera pas partie des réactions possibles, puisque le leitmotiv de l'investisseur est d'agir avant l'autre. Ne reste donc plus que la panique.

L'expression financière de la panique se résume en deux traits, comme l'a encore confirmé une étude très récente de la Banque centrale américaine : Global Flight to Safety, Business Cycles, and the Dollar. Le premier trait est l'aversion pour le risque, le deuxième est le dollar. L'aversion pour le risque consiste à vendre tous les actifs financiers réputés les plus vulnérables à un stress économique, et à se réfugier sur les actifs réputés non-risqués.

Quant au dollar, pas besoin de faire un dessin ; quand tout part en sucette, on achète du dollar avant de réfléchir. Concrètement, en cas de crise sévère, l'investisseur vend alors ses actions et achète des emprunts d'Etats, de préférence américains.

Mais la situation actuelle nous confronte alors à un problème d'interprétation, ou bien s'agit-il d'un malentendu. D'un côté, les tensions géopolitiques en cours nous exposent à des conflits aux conséquences incalculables. D'un autre côté, il semblerait bien que l'investisseur ne soit pas du tout en mode panique.

Observe-t-on de l'aversion pour le risque ? Oui mais non

Oui, nous observons les mêmes effets que produirait une hausse de l'aversion pour le risque, à savoir une contre-performance des marchés d'actions relativement aux marchés des emprunts d'Etats. Mais non, il ne s'agit pas d'un mouvement d'aversion pour le risque. En effet, la contre-performance des actions qui est observée n'a rien à voir avec un vent de panique incitant les investisseurs à vendre leurs actions pour aller se réfugier sur les emprunts d'Etats.

Si c'était le cas, les emprunts d'Etats enregistreraient des performances positives, or ce sont des performances négatives qui sont observées ! L'illusion vient que les performances de ces emprunts d'Etat sont certes négatives mais moins négatives que celles des actions, d'où la contre-performance observée des marchés d'actions relativement aux emprunts d'Etats. Une contre-performance qui n'a donc rien à voir avec un mouvement de panique.

Dans le cas d'une vraie panique, l'initié parlera de corrélation négative entre les performances des actions et des emprunts Etats : les prix des actions baissent, les prix des obligations montent. Or ce qui est observé aujourd'hui, c'est une corrélation positive : les prix des actions baissent, et les prix des obligations baissent également.

Mais si les performances des marchés ne valident pas la thèse de la panique, que valident t'elles alors ? Elles valident la thèse du risque monétaire plutôt que celui géopolitique. Les investisseurs craignent que les Banques centrales poursuivent leur cycle de hausses des taux d'intérêt directeurs, et maintiennent ces taux sur des niveaux élevés pour une durée indéterminée. C'est d'ailleurs le message qu'elles ont fait passer aux marchés dès la rentrée.

D'où les tensions sur les taux d'intérêt. Le reste nous est expliqué par la théorie : si le taux d'intérêt monte, alors la valorisation de l'actif baisse, quel que soit cet actif (obligation ou action). Pour comprendre cette relation, il faut accepter que le prix théorique d'un actif se calcule comme la division entre les revenus futurs anticipés et un taux d'actualisation ; si ce taux monte, alors le prix diminue.

Observe-t-on une hausse du dollar comme devise de refuge ? Oui mais non

Oui, le dollar s'apprécie contre l'ensemble des devises majeures. Mais non, il ne semble pas que cette hausse du dollar s'explique par une panique de l'investisseur. La hausse du dollar a débuté bien avant les évènements survenus récemment au Moyen-Orient, et bien après le conflit ukrainien. Précisément, la hausse du dollar s'est produite mi-juillet, au moment même où les taux d'intérêt américains repartaient à la hausse, et montaient bien davantage que les taux euros par exemple. La hausse du dollar semble donc davantage s'expliquer par une hausse du risque monétaire américain qu'une hausse du risque géopolitique. C'est parce que les investisseurs anticipent une politique monétaire américaine durablement restrictive, et plus restrictive qu'ailleurs, que le dollar est privilégié.

Évidemment, sur la période plus récente il est tout à fait possible que la montée des tensions au Moyen-Orient contribue à la force du dollar. Cela dit, observant par ailleurs que les tensions sur les taux américains restent fortes, contrairement à ce que suggérerait un mouvement d'aversion pour le risque (flight to quality), alors la thèse d'un refuge sur le dollar ne semble toujours pas devoir être privilégiée pour expliquer la force de la devise américaine.

Un vrai-faux mouvement de panique

Ainsi, les mouvements de marché qui sont observés aujourd'hui peuvent faire penser à un mouvement de panique, mais ils n'en sont pas. La contre-performance des actions relativement aux emprunts d'Etats ressemble à de l'aversion pour le risque, mais elle n'en est pas. Il faudrait pour cela que les taux d'intérêt baissent alors qu'ils montent. La force du dollar pourrait aussi faire penser à un refuge sur la devise américaine, mais il n'en est pas. Cette force du dollar reflète essentiellement l'anticipation d'une politique monétaire américaine durablement restrictive, plus restrictive qu'en Europe et en Asie notamment.

Évidemment, cette analyse ne dit pas que les marchés ont raison de ne pas paniquer. Il est tout à fait possible que les marchés se frottent les yeux dans les jours qui viennent, et soient pris de vertige face à l'abîme.

Mais pour l'instant, l'investisseur regarde ailleurs. C'est comme ça. L'investisseur n'est sous la verge de personne, aucun licteur en charge de le punir ou l'instruire des bonnes manières de penser. Ou bien, l'investisseur ne panique pas, parce qu'il ne peut pas. Comme si l'exubérante incertitude ambiante le rendait inapte à la panique. Trop d'inconnues, trop de questions. Il décide alors qu'il a mieux à faire que de paniquer.

« La panique est une transe de la question, une orgie d'indécision », Dorian Astor

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Commentaire 1
à écrit le 21/10/2023 à 8:29
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En ayant mis les États sous tutelle les banquiers ne prennent aucun risque avec des alliés si puissants, elles se retrouvent dorénavant avec le contrôle de tout et c'est bien là qu'est le problème majeur, obligées de s'inventer des risques, des peurs...

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