Total, tout blanc, tout noir ou tout vert ?

OPINION. TotalEnergies vient de publier un bénéfice record de 14 milliards d'euros. Que penser du dividende attendu ? Dans une activité fondée à 90% sur l'exploitation des énergies fossiles, où sont les investissements pour limiter le changement climatique ou les externalités ? Par Christophe Thibierge, professeur de finance à ESCP Business School et cofondateur de l'Institut des sciences de la personnalité.
(Crédits : Reuters)

Prenons nos lunettes vertes pour regarder la situation de TotalEnergies du point de vue de la finance durable. Si ce groupe décide de verser un gros dividende aux actionnaires, cela signifiera qu'ils estiment pouvoir se passer de cet argent, car leurs besoins en investissements sont - selon eux - suffisamment couverts.

Mais si l'on élargit la notion d'investissement à des investissements qui respectent un ou plusieurs des 17 objectifs de développement durable de l'Onu, ou les critères ESG (environnement, social, gouvernance), alors la question devient : le groupe TotalEnergies a-t-il prévu suffisamment d'investissements durables ? En effet, ce groupe pourrait décider d'investir massivement - en proportion, pas uniquement en montant - dans des politiques environnementales : réduction de l'exploration - notamment en Arctique - et de l'exploitation de ressources fossiles, investissement majeur dans les énergies véritablement renouvelables (donc sans compter le gaz...)

Inviter une ONG comme Reclaim Finance?

Une autre voie consisterait à développer davantage la lettre S du triptyque ESG - plus d'inclusion et de diversité, une meilleure parité dans les instances de décision, un respect des populations locales dans les zones d'exploitation. Enfin, pour le G de gouvernance, il est toujours bon d'augmenter la transparence des méthodes de rémunération des dirigeant(e)s, l'indépendance des membres du conseil d'administration - et pourquoi ne pas y inviter une ONG comme Reclaim Finance ? - et le rejet des pratiques de corruption locale.

Ces investissements durables seront probablement extrêmement rentables à moyen ou long terme. Certes, à court terme, ils peuvent faire baisser le couple risque-rentabilité cher au financier classique. En effet, les dépenses d'investissement peuvent réduire la rentabilité à court terme. Mais si ces investissements contribuent à faire baisser en parallèle le risque du groupe (risques climatiques, risques locaux, risque de réputation, baisse de l'attractivité de la marque employeur, etc.), le couple risque- rentabilité pourra en bénéficier.

Quittons le couple risque-rentabilité classique, et raisonnons avec un trépied risque-rentabilité-soutenabilité. La question ne consistera plus à maximiser la rentabilité pour un niveau de risque donné, mais plutôt à optimiser les trois composantes du trépied. Certes, certaines entreprises continueront à donner la priorité à la rentabilité, mais au moins le discours sera clair : « nous choisissons d'ignorer les enjeux de soutenabilité pour maximiser la rentabilité ». Les actionnaires réagiront alors différemment : les maximisateurs (couple risque-rentabilité) seront attirés, tandis que les optimiseurs (trépied) prendront le large.

Le poids lourd du CAC 40

Ce groupe - le poids lourd du CAC 40 - focalise une attention croissante depuis des années. En effet, il traîne quelques casseroles : 30 ans de contestation active du changement climatique, le financement de régimes autoritaires, une exploration intensive et agressive de milieux naturels à protéger. Dans le même temps, cette entreprise est parmi les mieux notées de son secteur sur les critères ESG. Certains gérants de portefeuille vont jusqu'à dire que TotalEnergies est la plus verte des valeurs pétrolières - les littéraires apprécieront l'oxymore.

D'où vient ce paradoxe ? D'un côté, on sait que les producteurs d'énergies fossiles sont de gros contributeurs à l'émission de gaz à effet de serre... Mais de l'autre, un investisseur cherchera à savoir quelles sont les entreprises les plus vertueuses dans un secteur donné. Or TotalEnergies est « relativement » bien classée.

Enfin, il y a peut-être une raison plus profonde à la mise en avant de ce groupe : encore aujourd'hui, les villes sont conçues pour et autour des voitures ; la voiture est encore, pour beaucoup, un synonyme de statut social ; la logistique (en France comme aux États-Unis) est toujours massivement fondée sur le transport routier (« If you bought it, a truck brought it»), voire aérien. Le pétrole est donc toujours (mais pour combien de temps ?) un bien de première nécessité.

Reparlons des gilets jaunes. La mesure initiale qui a déclenché ce mouvement, c'était une hausse de la taxe carbone dans le prix à la pompe. Or, la taxe carbone est un des moyens pour réduire les effets du changement climatique (principe du pollueur payeur).

La part sombre qu'il y a dans nos propres choix

Toute cette affaire est donc extrêmement complexe, notamment dans ses ressorts humains : certes, beaucoup d'entre nous sont conscients des enjeux climatiques et de biodiversité auxquels notre planète est confrontée, mais il est plus difficile d'agir quand cela impacte nos habitudes de consommation ou nos loisirs. Ainsi, on peut accuser TotalEnergies de noirceur, mais il faudrait aussi reconnaître la part sombre qu'il y a dans nos propres choix.

Concluons sur une note positive. Certes, la part consacrée par TotalEnergies aux critères ESG peut apparaître comme étant dérisoire par rapport à ses activités fortement émettrices de gaz à effet de serre (scope 1, 2 et 3). Mais dans l'absolu, l'effort pourrait porter sur des centaines de millions (ou des milliards) d'euros. Si ce groupe ne consacrait que 1% de ses revenus à ces chantiers (on parle tout de même de plus de 2 milliards), cela lui ferait de la bonne publicité, bien meilleure que les campagnes de « greenwashing » dont les entreprises nous abreuvent désormais régulièrement.

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Commentaire 1
à écrit le 28/02/2022 à 13:21
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Si le groupe consacrait 1 % a des investissement dans le renouvelable (le E de ESG) ca serait plutot positf. Mais si c est comme le dit l article, c est pour le S (aka nommer des femmes ou de la "diversité" meme si moins competant), ca reste a prouve...

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