Un quinquennat pour fortifier le cloud français et européen

OPINION. Le cloud est un sous-jacent indispensable non seulement au fonctionnement de nos entreprises et de nos administrations, mais aussi à la vie numérique de nos concitoyens. A la veille d'un nouveau quinquennat, il est indispensable d'avoir des propositions pour accroître rapidement le poids de l'industrie du cloud française et européenne dans l'économie réelle. Par Thomas Reynaud, DG Iliad, et Yann Lechelle, DG Scaleway.
(Crédits : Reuters)

Les deux dernières années ont été marquées par la crise sanitaire. La résilience de nos sociétés et de nos économies, soudainement dépendantes des technologies numériques, y a été mise à rude épreuve. Le cloud s'y est révélé un sous-jacent indispensable non seulement au fonctionnement de nos entreprises et de nos administrations, mais aussi à la vie numérique de nos concitoyens. Une enquête de l'IFOP publiée en janvier indiquait déjà une adhésion massive des Français à l'affirmation de la souveraineté numérique. Les problématiques d'autonomie stratégique et d'indépendance technologique sont d'ailleurs, et au même titre que le cloud, érigées en priorité par l'ensemble des candidats à l'élection présidentielle.

550.000 emplois potentiels en Europe

Susceptible de créer quelque 550.000 emplois en Europe dans les prochaines années, le "cloud" c'est, contrairement à ce que l'on peut croire, quelque chose de très concret. Il est constitué d'une accumulation de couches technologiques, de segments matériels (câbles, data centers, serveurs) et de briques logicielles. Celles-ci concentrent l'essentiel de la valeur dans le cloud moderne, dit "cloud public", et trois entreprises logicielles nord-américaines, une espèce d'oligopole, s'accaparent plus de 70% des parts de marché en Europe.

Une telle concentration n'est pas sans incidence. Selon le baromètre 2021 d'EY sur la performance des start-ups, 73% d'entre elles ressentent une dépendance à l'égard des GAFAM, 43% se sentant même "très dépendantes". Si les facettes de cette dépendance dépassent le cloud, voilà en tout cas un constat qui suscite de profondes questions.

De son côté, la Commission européenne a mis en avant, dans un rapport récent sur les dépendances stratégiques, le risque induit par un fort niveau de dépendances vis-à-vis de technologies logicielles cloud non-européennes. Ce risque est d'autant plus tangible que les géants de la tech s'engagent dans des investissements massifs et dans des stratégies de partenariat (c'est le cas avec la Joint Venture BLEU ou l'accord Google-Thalès) pour cannibaliser la chaîne de valeur du cloud en Europe.

Au regard de ces tendances, faut-il pour autant estimer que la bataille du cloud est perdue ? Clairement, non. Fin 2021, selon Eurostat, seulement 42% des entreprises européennes avaient recours au cloud, proportion significativement plus faible qu'en Asie ou en Amérique du Nord. Ce retard dans l'adoption du cloud est en fait une source d'opportunités pour l'industrie numérique française et européenne alors même que les marchés du cloud en Europe devraient, d'après KPMG, tripler entre 2020 et 2030, pour atteindre 560 milliards de dollars.

Le cloud est devenu une commodité

La thèse d'un retard technologique irrattrapable des industriels français et européens doit quant à elle être combattue avec force. En effet, le cloud est aujourd'hui largement devenu une commodité - à savoir l'offre d'une capacité de calcul, de stockage et de transit. Or, les acteurs européens du cloud sont parfaitement capables de satisfaire l'écrasante majorité de ces besoins, en vertu de l'indémodable Loi de Pareto.

Partant de ce constat, l'ambition du prochain quinquennat devrait être double: massifier les opportunités de croissance pour la filière cloud national et européen.

Au même titre qu'aux Etats-Unis ou en Asie, il serait d'abord temps de mettre en place une véritable politique industrielle appliquée au cloud, mobilisant des leviers tels que la commande publique, la politique de défense, ou encore une doctrine à inventer en matière de responsabilité numérique de l'Etat-actionnaire. Une responsabilité numérique qui devrait naturellement constituer un levier pour valoriser des champions du cloud vertueux, en pointe en matière environnementale: les attentes citoyennes en la matière sont fortes, il est urgent que l'impact environnemental devienne une boussole des choix IT de nos autorités publiques - montrant par-là l'exemple au reste de l'économie.

La protection des données des français, du patrimoine économique et industriel dans le cloud mérite aussi d'être traitée avec la plus grande rigueur. Il est ainsi paradoxal que le concept de "cloud de confiance", qui a fait couler beaucoup d'encre ces derniers mois, soit utilisé pour promouvoir ostensiblement l'usage de technologies numériques non-européennes, revendues sous licence - ayant pour effet de renforcer les dépendances déjà tenaces et les dynamiques de domination des big techs.

Toutes les planètes sont alignées

C'est enfin "l'argent magique" des géants de la tech qu'il est important de réguler - à savoir les milliards d'euros distribués aux start-ups, aux développeurs, aux universités, aux étudiants, lycéens, collégiens et leurs professeurs, aux organismes de formation, voire aux administrations, pour accélérer l'adoption de leurs technologies cloud. Ces pratiques annihilent évidemment toute possibilité de concurrence équitable, brident la liberté de choix des développeurs et leur potentiel immense d'innovation.

La France dispose d'un tissu tech performant, d'un vivier d'ingénieurs parmi les mieux formés au monde, et d'entrepreneurs extrêmement engagés. Toutes les planètes sont donc alignées pour atteindre dans les cinq années qui viennent, à travers des politiques publiques volontaristes, réalistes, et des mesures concrètes, ce regain escompté d'indépendance numérique.

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