Une culture du renseignement pour faire face au tsunami de la donnée

Face au terrorisme et alors que la France fait face à un niveau de menace inégalé, Alexandre Papaemmanuel estime que les Français doivent ériger une culture du renseignement forte pour faire face au tsunami informationnel de l’ère du tout numérique. Le renseignement n’est pas seulement une politique publique désincarnée, c’est avant « tout un puissant vecteur pour repenser l’économie de l’information, les cursus universitaires, les méthodes et les outils à usage souverain ». Par Alexandre Papaemmanuel, maître de conférences à Sciences Po, auditeur de l'Institut des hautes études de la Défense nationale (IHEDN).

Quand le Président et les élus de l'Assemblée nationale prendront leurs fonctions, il faut qu'ils aient conscience que les services de renseignement sont un outil indispensable pour assurer la sécurité des Français dans un monde où les frontières entre opérations extérieures et territoire national sont poreuses et où la coopération est devenue une nécessité pour anticiper la prochaine attaque. De Marseille au Levant, des banlieues de Bruxelles au centre-ville de Nancy, de l'ile de la Cité au Musée du Louvre, les services de renseignement sont notre première ligne de défense, une armée de l'ombre qui a trop longtemps été contrainte au silence dans un pays qui n'a pas de culture du renseignement.

Or, les services de renseignement peuvent être le levier d'une formidable révolution de l'information en France. Le renseignement n'est pas seulement une politique publique désincarnée, un cadre légal et une architecture institutionnelle de «check & balances», c'est avant tout un puissant vecteur pour repenser l'économie de l'information, les cursus universitaires, les méthodes et les outils à usage souverain. C'est pourquoi il convient de faire émerger une culture du renseignement dans une logique de décloisonnement et de partage. Loin de proposer une énième réforme des services, il convient de faire travailler ensemble les forces vives de la Nation pour faire face collectivement. Le renseignement peut être le fer de lance d'une nouvelle façon de penser l'information, la formation et les outils d'analyse.

La production de données personnelles massives est une des transformations majeures du XXIe siècle. Ces données, jalons laissés par chacun sur son parcours numérique, ont une forte valeur ajoutée après traitement, pour les individus, les entreprises et l'État. Pour les services de renseignement, l'enjeu consiste à maîtriser une masse de données, appelée big data, afin de produire une information pertinente. Actuellement, le volume et la variété des ressources poussent les services à faire évoluer leurs méthodes de renseignement ce qui implique des coûts (culturels, humains, techniques et financiers) significatifs.

La maîtrise de ces données suppose un écosystème plus abouti, affranchi des cloisons historiques entre les acteurs et les savoirs du renseignement ; d'autant plus face à une menace protéiforme qui oblige tous les acteurs à l'interopérabilité. Si, comme l'expliquait Sébastien-Yves Laurent « le monde du renseignement régalien et le monde académique ont des pas à faire l'un vers l'autre », l'industrie doit être le creuset de ce rapprochement. L'industrie est apte à faire se rencontrer ces deux mondes ce qui permettra de rendre à la révolution de l'information son caractère souverain.

Sur cette question, la prédominance américaine est telle qu'elle a pu faire sortir de ses gonds le PDG d'Orange, Stéphane Richard :

"L'Europe n'est pas le paillasson numérique de l'Amérique. Nous sommes aussi capables d'innover !".

La « gare de triage » de l'information

Le métier de demain, dans le renseignement qu'il soit criminel ou militaire, pénitentiaire ou économique comme dans les métiers de l'intelligence économique, supposera agilité et appréhension de la technologie au service de l'analyse. Les capacités technologiques rendues « actionnables » grâce à l'outillage de sciences sociales assureront aux services de renseignement des systèmes bien pensés et mieux conçus. Ainsi, la révolution de la donnée fait apparaître le besoin d'ingénieurs à la pointe, d'officiers de terrain, mais aussi de sociologues, d'anthropologues, de politistes et de juristes dont les savoirs croisés feront fonction de « gare de triage » de l'information.

La France dispose de ressources très diverses, militaires, industrielles et académiques pour créer une culture du renseignement. La pratique du renseignement, cloisonnée, a, par pragmatisme, laissé les débats se tenir en milieux clos : entre experts, au sein du monde de la recherche, dans la société civile, les conclusions tirées par les uns n'étant pas portées à la connaissance des autres.

Il devient urgent de penser le renseignement différemment afin de créer une culture du renseignement en France. Un écosystème du renseignement peut se former autour de laboratoires de recherche fondamentale, de startup, de PME et de grands groupes.

Il est nécessaire, dans ce cadre, de s'émanciper des logiques propriétaires et de faire en sorte que le renseignement se partage de façon efficace. Les concepts doivent naviguer plus librement, permettant à chaque acteur d'enrichir les avancées de l'autre.

Il s'agit là d'un sujet de cohésion nationale.

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