Une poursuite timide du mouvement « open data »

La Loi pour une République Numérique aboutit à un résultat tout en nuance : le mouvement « open data », appelé de ses vœux par le secteur privé, n'est pas pleinement consacré. Par Matthieu Bourgeois, associé du département nouvelles technologies et propriété intellectuelle du cabinet Simon Associés

À peine 9 mois après l'adoption de la loi dite « Valter », ayant consacré le principe de gratuité pour les informations du secteur public, la loi d'octobre 2016 « pour une république numérique » modifie substantiellement le Code des relations entre le public et l'administration (« CRPA »). Elle constitue le deuxième acte d'une pièce qui s'inscrit dans une démarche législative globale en faveur de l'ouverture des données publiques. Ce mouvement, que certains dénomment « open data », plaide pour la circulation des données générées par le secteur public.

À l'image des infrastructures physiques, les données générées par le secteur public doivent être librement accessibles à tous, dans le but de libérer les énergies, renforcer la démocratie et permettre l'éclosion de nouvelles activités à forte valeur ajoutée, pouvant s'appuyer sur des informations disponibles immédiatement et accessibles à tous.

Pourquoi une nouvelle loi numérique?

Des raisons diverses, et notamment politiques, n'avaient pas permis au législateur d'achever ce mouvement, lors de l'adoption de la loi Valter dont les principales critiques concernaient le fait qu'elle maintenait hors du champ de la libre réutilisation, les données produites ou détenues dans le cadre d'une mission de service public industriel et commercial (« MSPIC »), et avait créé d'importantes exceptions au principe de gratuité sur la base de règles imprécises et confuses. Appelé de ses vœux par le secteur privé, observé avec circonspection de la part de certaines administrations, le mouvement open data tangue parmi ces deux courants contraires, entre lesquels le législateur a dû arbitrer.

 L'instauration de l'obligation de diffusion spontanée. Les administrations devront désormais diffuser spontanément, « en ligne », les documents administratifs et éléments suivants :

  • Les « documents qu'elles communiquent en application des procédures prévues au présent titre, ainsi que leurs versions mises à jour » ;
  • Les documents qui figurent dans le « répertoire » des principaux documents administratifs ;
  • Les « bases de données, mises à jour de façon régulière, qu'elles produisent ou qu'elles reçoivent et qui ne font pas l'objet d'une diffusion publique par ailleurs » ;
  • Les « données, mises à jour de façon régulière, dont la publication présente un intérêt économique, social, sanitaire ou environnemental » ;
  • Les règles algorithmiques fondant une décision individuelle ;
  • Les données produites par les délégataires d'une mission de service public ;
  • Les « données de référence », qui sont définies comme des données qui (i) constituent « une référence commune pour nommer ou identifier des produits, des services, des territoires ou des personnes », (ii) sont réutilisées « fréquemment par des personnes publiques ou privées autres que l'administration qui les détient », et (iii) dont la réutilisation « nécessite qu'elles soient mises à disposition avec un niveau élevé de qualité ». Cette nouvelle disposition sera précisée par un décret en Conseil d'État et « au plus tard six mois après la promulgation » de cette loi : autrement dit, au plus tard le 7 avril 2017.

 L'extension matérielle des droits d'accès et de réutilisation

La loi nouvelle :

  • ajoute à la liste des « documents administratifs », qui sont soumis à un libre droit d'accès, les « codes sources » ;
  • fait entrer les données produites dans le cadre d'une MSPIC, dans le champ des « informations publiques » soumises à libre réutilisation.

 La portée de cette dernière nouveauté est considérable. Ainsi, les données produites par des organismes comme la SNCF, la RATP, l'ONF, le CNES - qui exercent tous, au moins en partie, une MSPIC - basculent désormais dans le champ de la libre réutilisation, dont elles étaient jusqu'alors préservées. Ces organismes devront se réorganiser en conséquence, afin de pouvoir satisfaire aux demandes - que peut désormais leur adresser toute personne - d'accès et de réutilisation de leurs données, soumises en principe (sauf dérogation) au principe de gratuité.

 Les dispositions qui restreignent l'ouverture des informations publiques

L'élargissement des motifs d'incommunicabilité en matière de sécurité et de cyber-sécurité : Parmi les motifs pouvant frapper d'incommunicabilité certains documents administratifs, la loi nouvelle a ajouté aux motifs déjà existants celui de la « sécurité des personnes » ainsi que celui de la « sécurité des systèmes d'information des administrations ». Cette modification vise clairement à éviter l'instrumentalisation du droit d'accès par des cyber-attaquants qui pourraient ainsi accéder à des informations - dont des codes sources - et leur permettre ensuite de déjouer les dispositifs de cyber-sécurité mis en place par les personnes publiques.

 La reconnaissance du droit sui generis de certaines administrations pour s'opposer à la libre réutilisation des bases de données qu'elles diffusent :

La loi nouvelle prévoit la possibilité, pour les administrations d'invoquer leur droit de producteur de base de données (« droit sui generis »), pour s'opposer à une demande de réutilisation lorsque la MSPIC qu'elles exercent est « soumise à la concurrence » (art. L.321-1 du CRPA).

 Une approche timide

 La Loi pour une République Numérique aboutit à un résultat tout en nuance : le mouvement « open data », appelé de ses vœux par le secteur privé, n'est pas pleinement consacré. Ce paradoxe pourrait trouver une partie de son explication la pauvreté de l'approche fiscale des données.

À l'heure où plus personne ne conteste que la donnée est devenue un élément d'actif, ne faudrait-il pas que le législateur conçoive une fiscalité applicable à certaines données, en coopération avec ses partenaires européens et internationaux ?

La volonté de générosité affichée par le législateur est contrebalancée par le souci - légitime - de ne pas ouvrir trop largement les ressources publiques, qui sont financées par l'impôt, lequel est majoritairement acquitté par des entreprises domiciliées en France et que les géants de l'Internet parviennent bien souvent à contourner, sans se priver d'offrir sur le marché français de nouveaux services utilisant massivement les données dont une partie provient des administrations.

 Voilà qui plaide, une fois de plus, pour l'émergence d'un « droit des données », avec sa composante fiscale qui devra appréhender la donnée comme une valeur et qui, tout en ayant le souci de maintenir attractif notre territoire, devra édicter des règles, simples et claires, pour que, enfin, ceux qui réalisent des investissements - notamment les pouvoirs publics - en matière de données en retirent les fruits. L'open data, qui offre un partage des données publiques (voulues comme des ressources communes), exige que leur valeur soit également partagée notamment à travers la fiscalité.

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