Agrivoltaïsme : 5 questions pour dépasser les clivages

Plus de 40 ans après l’apparition des premiers panneaux photovoltaïques sur des terres agricoles, l’agrivoltaïsme ne fait toujours pas l’unanimité. Alors que certains acteurs du monde politique et paysan le considèrent encore comme une menace pour les paysages et le maintien de l’agriculture, d’autres observateurs y voient au contraire une opportunité extraordinaire pour adapter les pratiques agricoles au dérèglement climatique et garantir notre souveraineté alimentaire. Décryptage en 5 points clefs.
(Crédits : Istock)

L'agrivoltaïsme est-il vraiment nécessaire pour accélérer la transition écologique ?

Est-il réellement utile d'installer des panneaux solaires sur des parcelles cultivées alors que le potentiel des toitures et des surfaces artificialisées, comme les parkings et les friches industrielles, n'a pas encore été exploité ? Derrière cette question souvent posée par les détracteurs de la pratique se cache l'idée que l'agrivoltaïsme consisterait à artificialiser inutilement des sols destinés à la production alimentaire pour produire toujours plus d'énergie...  «On voit bien que l'agrivoltaïsme souffre d'une méconnaissance totale, se désole Sylvain Frédéric, co-fondateur d'Enervivo, entreprise à mission qui concilie production d'énergie renouvelables et agriculture durable. S'il y a eu des dérives avec des centrales au sol il y a 20 ou 30 ans, tous les acteurs de la filière partagent aujourd'hui la même vision d'un agrivoltaïsme raisonné et adapté à chaque parcelle. Il ne s'agit nullement d'artificialiser mais d'apporter aux agriculteurs des solutions innovantes pour améliorer significativement les rendements et le bien-être animal dans un contexte d'adaptation au dérèglement climatique.» Une vision désormais inscrite dans la loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, qui précise qu'un équipement agrivoltaïque doit contribuer durablement à l'installation, au maintien ou au développement d'une production agricole... Et alors qu'il reste à peine 10 ans pour maintenir le réchauffement climatique en dessous des +1,5 degrés et éviter un scénario catastrophe qui mettrait en danger non seulement notre agriculture et notre alimentation mais la survie de l'humanité d'ici quelques décennies, il suffirait d'équiper moins de 2% des terres agricoles française pour produire l'équivalent de tout le parc électronucléaire français actuel...  (Tribune de Christian Dupras dans Le Monde, décembre 2022).


Les revenus de l'agrivoltaïsme peuvent-ils décourager les vocations d'agriculteurs ?

À en croire certaines personnalités politiques, les loyers perçus par les agriculteurs en contrepartie de l'électricité produite sur leurs terres pourraient leur faire perdre l'envie de se lever avant l'aube tous les matins, ce qui constituerait évidemment une menace pour notre industrie agroalimentaire... « Cette hypothèse est une mauvaise analyse des besoins des agriculteurs s'exclame Henri Landes, professeur à Sciences Po Paris et spécialiste du dynamisme rural. Outre le fait que la loi encadre les projets agrivoltaïques pour s'assurer qu'ils apportent des bénéfices concrets à l'exploitation, il est impératif de rappeler que les agriculteurs font un métier passion et qu'ils ont absolument besoin d'être soutenus financièrement pour faire face aux nombreux défis qu'ils doivent relever pour pérenniser leurs modèles. Leur rémunération actuelle est une profonde injustice sociale. Grâce au développement des équipements dernière génération, ils vont non seulement pouvoir cofinancer les équipements nécessaires au développement de leur activité, mais aussi apporter de l'ombre pour les animaux ou les plantes, ce qui est devenu primordial avec la hausse des températures. » Dans les faits, les projets d'agrivoltaïsme sont le plus souvent conçus pour autofinancer la construction d'équipements structurants (hangars agricoles, stabulations), voire pour préserver l'exploitation des hausses du prix de l'énergie du réseau ou apporter un petit complément de revenus, mais ils génèrent rarement des loyers suffisants pour faire vivre une famille...

Le développement de l'agrivoltaïsme peut-il nuire aux paysages ?

La multiplication des panneaux solaires sur les terres agricoles va-t-elle modifier en profondeur l'apparence des campagnes françaises, ce qui représenterait non seulement une perte d'identité pour nos territoires, mais ferait peser une menace sur le tourisme ? Rappelons déjà qu'un équipement agrivoltaïque n'est pas synonyme d'immense centrale solaire au sol, mais qu'il peut prendre la forme de serres équipées de panneaux solaires ou d'ombrières - fixes ou dynamiques - dont les gabarits sont souvent identiques aux filets de protection utilisées par exemple pour les arbres fruitiers. « S'il faut bien évidemment un cadre législatif pour éviter les dérives, le décret sur l'agrivoltaïsme qui paraitra à la fin de l'année va permettre de loger tous les acteurs de la filière à la même enseigne, analyse Sylvain Frédéric. Il semble que nous nous dirigeons vers un plafond de 40% de la surface agricole disponible pour installer des panneaux.  D'autre part, il faut acculturer les différentes parties prenantes, et montrer que l'agrivoltaïsme, c'est aussi des panneaux sur des hangars, des serres qui améliorent les rendements, des ombrières qui bénéficient aux récoltes et aux animaux d'élevage, et qu'il existe même des solutions technologiques pour effacer les panneaux du paysage quand les haies ne suffisent pas à les masquer... »

Comment l'agrivoltaïsme peut-il soutenir l'élevage, le maraichage et les cultures de céréales ?

Si l'agrivoltaïsme, comme tout projet photovoltaïque, permet de produire une énergie renouvelable, locale et décarbonée, ses services rendus à l'agriculture sont encore mal connus du grand public. À elles-seules, les installations dernière génération apportent pourtant des réponses efficientes aux nombreux problèmes qui fragilisent les exploitations. Pilotées par des solutions mêlant capteurs et intelligence artificielles, les panneaux dynamiques installés sur les serres et les ombrières peuvent par exemple s'incliner afin d'apporter aux végétaux la quantité de lumière souhaitée, puis leur créer de l'ombre pour éviter l'évapotranspiration et les risques de brûlure. « L'agrivoltaïsme doit être compris comme un projet agricole à part entière, explique Jean-Charles Drouvin, directeur général de PowR Group. « Il permet de financer des stabulations pour mettre le cheptel à l'abri et ainsi éviter certaines maladies nécessitant l'usage d'antibiotiques. Il protège les vignobles des UV en été et pourrait protéger des épisodes de gel tardifs et éviter ainsi d'utiliser des balles de paille auxquelles on met le feu, ou encore des bougies entre les rangées. Il apporte des solutions pour mieux gérer les ressources en eau et lutter contre les effets de la sécheresse. Dans les grandes cultures, des haies de panneaux peuvent même protéger des vents violents et augmenter les récoltes d'un quintal par hectare de blé... »

L'agrivoltaïsme est-il une solution pour renforcer notre souveraineté alimentaire ?

Plus qu'une énergie renouvelable facile à installer et bénéficiant d'un exceptionnel gisement du nord au sud de l'Europe, l'agrivoltaïsme peut-il réellement aider les agriculteurs en sécurisant leurs revenus et leurs récoltes tout en améliorant le bien-être de leur cheptels ? De nombreux exemples le prouvent, des modèles de prédiction agronomiques sont en cours et des solutions toujours plus performantes sont à l'étude. Mais la filière a maintenant besoin d'un cadre législatif spécifique, qui sera annoncé par d'un décret en décembre 2023, et d'une meilleure compréhension des enjeux par toutes les parties prenantes. « Il nous reste très peu de temps pour maintenir le réchauffement climatique et faire que notre Terre reste vivable, conclut Jean-Charles Drouvin. Pour parvenir à nos objectifs de décarbonation, nous devons réunir tout le monde autour de la table, y compris les détracteurs de l'agrivoltaïsme, pour avancer ensemble vers des solutions respectueuses de l'environnement, des paysages et de la biodiversité, mais aussi des agriculteurs et de notre modèle alimentaire.  Pour cela nous vous donnons rendez-vous du 13 au 15 au PowrR Earth Summit, l'événement dédié à la transition énergétique pour débattre et dépasser des clivages qui n'ont plus lieu d'être. »

Commentaires 3
à écrit le 16/11/2023 à 10:39
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Bonjour, Bien sûr si on se trouve dans une zone avec des forêts, des collines des bocages , c'est un choix à éviter, mais dans des paysages sinistres comme la Beauce ça ne pourra pas rendre le paysage encore plus laid

à écrit le 16/11/2023 à 7:19
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Il y a 20 ans ce discours aurait été qualifié de gauchiste écolo etc.... Mais, par appât du gain, aujourd'hui les entreprises sont d autant plus écolos que le pognon est espéré rentrer à flot dans les popoches. Ce que l'on ne dit pas, c'est que dan...

à écrit le 15/11/2023 à 15:50
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Les panneaux solaires devraient être posés sur les toits et nul part ailleurs, sauf besoins spécifiques des industriels. Ce genre d'article, n'est que du lobbying sans intérêt.

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