François Gemenne : « pour sauver le climat, nous devrons faire preuve d’humilité, d’empathie et d’esprit collaboratif »

Auteur du 6ème rapport du GIEC, professeur à HEC et président du conseil scientifique de la Fondation pour la Nature et l’Homme, François Gemenne s’impose dans le paysage médiatique comme un spécialiste incontesté du climat et des migrations environnementales. Alors qu’il interviendra en mars prochain au PowR Earth Summit, l'événement parisien d'accélération de la transition énergétique, il nous a confié en avant-première sa vision volontariste du combat à mener pour le climat.
(Crédits : DR)

Le dernier rapport du GIEC, que vous avez co-signé, met en évidence que nous devons réduire drastiquement et urgemment nos émissions de gaz à effet de serre si nous voulons que la Terre soit encore habitable pour nos enfants et petits-enfants. Comment expliquez-vous alors que de nombreux acteurs publics et privés n'aient pas encore pris la mesure de l'urgence et de l'ampleur du problème ?

Il me semble que les objectifs de décarbonation actuels nous donnent la fausse impression d'avoir encore du temps : en cherchant à atteindre la neutralité carbone d'ici 2050, on pourrait penser que les actions que nous mènerons dans 3 ans auront la même valeur que celles que nous menons aujourd'hui. Mais c'est oublier que nous sommes face à un problème d'accumulation et que chaque tonne de CO2 émise dans l'atmosphère nous rapproche du point de non-retour, parce que les gaz à effet de serre, à l'exception du méthane, ont une durée très longue dans l'atmosphère. C'est comme si nous étions en train de pousser un rocher en haut d'une montagne sans voir le sommet et sans savoir à quel moment il va basculer et dévaler la pente de l'autre côté... Car si nous ne parvenons pas à maintenir le réchauffement en-dessous de +2 degrés, le climat pourrait rapidement basculer dans un état d'instabilité inédit, qui menacerait l'habitabilité de plusieurs zones du monde. L'agriculture, qui dépend directement de la stabilité du climat, serait évidemment particulièrement menacée, ce qui mettrait en péril la sécurité alimentaire de certaines zones du monde. Ces types de situations sont également propices à la naissance de migrations et de conflits. L'enjeu du respect de l'Accord de Paris, c'est bien celui-là : si nous ratons les objectifs, nous risquons d'atteindre un effet d'emballement irréversible, et notre espèce entrera alors dans une Terra incognita dont elle n'a pas encore pris conscience... La trajectoire actuelle de nos émissions nous entraîne vers un réchauffement de 3 degrés environ : cela veut dire qu'il faut agir maintenant pour rectifier le tir, en jetant toutes nos forces dans la bataille pour chaque dixième de degré, car dans 10 ans il sera trop tard.

Ces prévisions alarmistes combinées à la lenteur de certaines politiques de décarbonation pourraient faire penser à certains que les dés sont jetés et que l'Apocalypse est désormais inéluctable...

Bien sûr que non, et le dernier rapport du GIEC le montre bien ! Cette vision défaitiste est dangereuse, car elle engendre de la peur et inhibe l'action. Nous devons bien sûr aller plus vite et plus loin, mais je crois aussi que pour la première fois depuis longtemps, nous allons dans la bonne direction ! En 2015, au moment de la signature de l'Accord de Paris, nous étions encore sur la trajectoire d'un réchauffement de plus de 4° : en 9 ans, nous avons déjà gagné un degré, c'est énorme ! Aujourd'hui les solutions existent, et nous avons collectivement les connaissances, les technologies et les moyens financiers pour limiter le réchauffement à +2 degrés, voire même moins si nous parvenons à agir vite. Nous savons aussi que cette transformation apportera de nombreux bénéfices aux populations en termes de santé, de réduction des inégalités et de lutte contre la pauvreté, et que nous sommes collectivement capables de relever le défi. Mais cela nécessite de transformer profondément et rapidement nos sociétés, ce qui ne peut se faire sans une forte volonté politique.

Pourtant, si de nombreux pays affichent des objectifs de décarbonation ambitieux, il semble qu'il manque encore une vision globale du chemin à parcourir pour garantir un avenir à notre espèce...

Effectivement, s'il y a un consensus sur le constat et les scénarios à éviter à tout prix, il n'y a pas encore de vision partagée sur la façon de faire. Certains rêvent de solutions technologiques futuristes quand d'autres prônent la décroissance, la sobriété et les quotas... C'est pour cela qu'il est essentiel de réunir régulièrement toutes les parties prenantes pour construire ensemble notre avenir commun, en faisant l'effort d'écouter l'autre et d'intégrer ses perspectives. C'est pour cela que des événements comme les COP ou le PowR Earth Summit, qui aura lieu à Paris en mars prochain, sont absolument incontournables pour ouvrir le dialogue en prenant en compte la réalité et les contraintes de chacun. À tous les niveaux de la société, nous devons apprendre à faire preuve de plus d'empathie pour trouver des solutions sans pour autant porter un jugement moral sur ceux qui ont encore besoin de prendre l'avion, de posséder une voiture particulière, de faire tourner leur usine... Au niveau international, cela nécessite de se mettre à la place des pays exportateurs de pétrole, mais aussi de faire preuve de plus d'humilité en regardant ce qu'il se passe ailleurs, que ce soit en Afrique, où nous avons des leçons à apprendre sur les solutions d'adaptation, ou même en Allemagne, que l'on aime tant railler en France, et où les émissions carbone ont atteint leur plus faible niveau depuis 1950.

Alors que la France n'émet sur son territoire qu'1% des émissions mondiales, vous dites qu'elle a un rôle déterminant à jouer, pourquoi ?

Pour commencer, il ne faut pas oublier que de nombreuses multinationales françaises émettent des millions de tonnes de CO2 chaque année dans le monde entier, ce qui alourdit considérablement l'empreinte carbone hexagonale. En outre, la France a un rôle d'exemplarité à jouer, en prouvant qu'il est possible d'accélérer la décarbonation des secteurs de l'industrie, du bâtiment et des transports. Mais là où son rôle peut être décisif, c'est grâce à son poids diplomatique, qui pourrait lui permettre d'accélérer la décarbonation en dehors de ses frontières. Elle pourrait par exemple favoriser des investissements massifs dans les pays du Sud, en sécurisant les acteurs privés qui développent des projets d'énergie renouvelable. En Afrique, où le potentiel de production d'électricité décarbonée est considérable, la France pourrait ainsi rassurer les investisseurs, mais aussi lutter contre la dépendance technologique en veillant au transfert des technologies et des connaissances. Si chaque pays travaille dans son coin, on n'y arrivera pas : il va falloir renforcer la coopération internationale, ce qui passe aussi par le dialogue, l'écoute et la volonté de travailler ensemble pour infléchir la trajectoire du réchauffement et offrir un avenir aux générations futures.

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François Gemenne interviendra au PowR Earth Summit, l'événement d'accélération de la transition énergétique qui aura lieu au CNIT de la Défense à Paris du 13 au 15 mars 2024.

Commentaires 7
à écrit le 09/03/2024 à 9:06
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83% de l’énergie primaire consommée dans le monde est d’origine fossile, la part des EnR intermittentes n’étant que de quelques pourcents. Il est donc absurde de penser que l’on peut réduire l’usage des combustibles fossiles, d’autant qu’énormément d...

à écrit le 08/03/2024 à 10:55
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FG est dans un monde imaginaire, déconnecté de la Réalité. Il veut imposer à tous ses fantasmes idéologiques irrationnels. Or, 83% de l’énergie primaire consommée dans le monde est d’origine fossile, la part des EnR intermittentes n’étant que de quel...

à écrit le 08/03/2024 à 7:59
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Cette position pompeuse de France phare éclairant de sa sagesse le monde ignorant est réellement insupportable. Je me souviens d'une conférence organisée par des écolos dans ma bonne ville d'Aix en Provence le 28/03/2018(il y a 6 ans) dont l'intitul...

à écrit le 07/03/2024 à 19:35
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Le GIEC est une structure politique, dont le but est de donner un vernis scientifique à une hypothèse préconfigurée dans ses statuts, à savoir qu’il y a réchauffement climatique et qu’il est d’origine anthropique. Cette hypothèse n’a jamais été prouv...

à écrit le 07/03/2024 à 9:21
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"D'hu... quoi ? D'empa... quoi !? De collaboration ? Ah oui là ça c'est bon mais c'était ya longtemps maintenant ! C'était le bon temps d'ailleurs ! Ça revient quand ?" Ceux qui possèdent et détruisent le monde en ronflant.

à écrit le 07/03/2024 à 9:07
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que ce minable nous explique la presence de l'ambre en mer baltique qui pour lui n'est pas du aux variation climatique qui est en perpétuel mouvement avec des périodes froide ou chaude qui ont toujours existé mem dans la période ou la terre a ...

à écrit le 07/03/2024 à 9:00
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un organisme qu'il est interdit de contredire ils prennent en consideration que ce qui abonde dans leur vision personnel tout le reste est exclu et pire encore si vous osez apporter sur les ondes ou dans la presse une contradiction ces gens comme l...

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