Pourquoi est-il essentiel que l'ensemble des décideurs et des acteurs économiques prennent conscience dès aujourd'hui du rôle des glaciers ?
Les glaciers sont des objets méconnus, presque inexistants dans nos cartes mentales collectives. Ce sont les grands absents des conférences internationales sur la protection de la nature par exemple, ils ne sont jamais mentionnés dans les lois et la gestion et protection de la nature les a longtemps délaissés. Pourtant, les glaciers, comme les deux calottes glaciaires de l'Antarctique et du Groenland jouent un rôle fondamental sur les conditions de vie sur terre. Ces surfaces blanches, qui représentent 10% des terres émergées, réfléchissent le rayonnement solaire, ce qui créé les conditions d'un climat tempéré. Ils assurent également le cycle de l'eau sur les continents et maintiennent les océans à leur niveau actuel, ce qui permet à la vie de se développer sur Terre. Notre espèce, Homo sapiens sapiens, a toujours vécu avec et grâce à de grands glaciers. S'ils fondent, les conditions de vie sur notre planète vont profondément changer. La Terre deviendra beaucoup plus chaude, plus aride et sera moins habitable.
Aujourd'hui très peu de personnes ont conscience que la survie, le futur de l'humanité et plus largement du vivant dépend directement de notre capacité à limiter la fonte des glaciers très rapidement...
Concrètement, que se passera-t-il si les grands glaciers fondent sous l'effet du réchauffement climatique ?
Si l'on ne parvient pas à limiter le réchauffement climatique et notamment à appliquer les Accords de Paris, nous montrons par exemple que la Terre peut perdre jusqu'à la moitié de ses surfaces de glaciers en dehors des deux calottes d'ici la fin du siècle, ce qui représentera une modification colossale des écosystèmes que nous connaissons. Avec la montée des eaux, la carte du monde changera totalement, ce qui entrainera des flux migratoires inimaginables, avec des millions de réfugiés climatiques. Sans glaciers, les ressources en eau seront de plus en plus rares : les fleuves vont se tarir et des pays comme le Pakistan deviendront difficilement vivables. Les centrales nucléaires seront moins refroidies et les centrales hydrauliques beaucoup moins efficaces. Mais surtout, les surfaces blanches réfléchissantes feront place à des surfaces plus foncées, qui vont absorber la chaleur au lieu de la réfléchir vers l'espace. Dans l'hypothèse haute, 350 000 km2 de glaciers pourraient ainsi disparaître d'ici 2100, ce qui correspond à la surface de la Finlande. Il y aura alors à un point de bascule, un effet d'emballement qui devrait accélérer le réchauffement climatique de façon irréversible. Nous serions alors face à un scénario totalement inédit dans l'histoire récente de la Terre et inconnu pour Homo Sapiens...
Face à ces perspectives totalement apocalyptiques, vous semblez rester optimiste, pourquoi ?
Je ne dirais pas que je suis optimiste, simplement dans un engagement total pour essayer de ne pas aller vers ce triste scénario. Nous sommes peut-être la première espèce à avoir conscience d'évoluer dans la seule zone connue du cosmos qui abrite le vivant. Allons-nous continuer à détruire le vivant en générant la 6e grande extinction de masse et rendre notre planète invivable ? Ou allons-nous assister à un réveil collectif pour préserver notre planète et les générations futures du vivant ? Allons-nous être capables d'effectuer des changements systémiques en quelques années pour changer notre rapport à la nature et à la notion de croissance ?
Il parait encore possible de maintenir le réchauffement à +1,5 degrés d'ici 2100, ce qui correspondrait à une fonte de « seulement » 149 000 km² de glaciers, soit la surface du Népal. Pour ce faire, face au défi sans précédent du climat, les glaciers sont peut-être nos meilleurs alliés pour prendre conscience collectivement et catalyser les actions. En Suisse, la population a par exemple refusé en 2021 la révision de la loi CO2 mais grâce à l'initiative sur les glaciers, nous avons réussi à mettre les engagements de Paris dans la Constitution et pousser les politiques à agir ! Mais la fenêtre d'action est très serrée pour le climat et tout se joue dans les prochaines années.
En parallèle, nous montrons qu'en protégeant directement les glaciers des destructions à l'explosif ou à la pelleteuse et en protégeant les écosystèmes terrestres, marins et d'eau douce qui leur succèdent, nous pouvons apporter de vraies solutions dans les territoires face aux défis sans précédents du climat, de l'accès à l'eau, de la préservation de la biodiversité.
Vous tenez d'ailleurs à mettre en garde contre une décarbonation à tous crins qui ne prendrait pas en compte la biodiversité...
Oui, il est essentiel que nous parvenions à réduire au maximum nos émissions de gaz à effet de serre, mais cela ne doit pas se faire au détriment de la nature ou des zones agricoles. L'urgence climatique ne doit pas accélérer l'effondrement du vivant. En parallèle de la transition énergétique, la clé réside évidemment dans la sobriété globale, sur le fait de retrouver un rapport durable de l'homme à la nature.
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Jean-Baptiste Bosson interviendra au PowR Earth Summit, l'événement d'accélération de la transition énergétique qui aura lieu au CNIT de la Défense à Paris du 13 au 15 mars 2024