Pendant cinq ans, ils ont fait front. Les élus locaux de Fessenheim et du Haut-Rhin ont longtemps tenu pour inacceptable la volonté de François Hollande de fermer la centrale nucléaire de Fessenheim avant la fin de son mandat, en 2017. Avec 750 emplois directs, et 2.000 emplois au total, ce poumon économique du centre de l'Alsace a craint pour son avenir. Qu'importe son âge avancé (c'est la doyenne des centrales nucléaires, mise en service en 1978), qu'importent les protestations des écologistes sur les deux rives du Rhin. Mais la volonté d'Emmanuel Macron et de Sébastien Lecornu, secrétaire d'État auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire, a eu raison des résistances.
De toutes, sauf celle de Claude Brender, le maire de Fessenheim, qui conserve son langage offensif. Dans sa commune (2.300 habitants), 43% de la population travaille à la centrale ou vit sous le même toit qu'un salarié EDF. « Fermer cette centrale, c'est un énorme gâchis industriel et financier », déplore-t-il. Marc Simon-Jean, directeur de la centrale, est à peu près du même avis.
« Les salariés ne comprennent pas. C'est un choix politique. Pas économique, ni technique », regrette-t-il.
Inscrite depuis 2015 dans la loi de transition énergétique, la fermeture interviendra au plus tôt à l'été 2019, lorsque l'EPR de Flamanville sera connecté au réseau électrique. Calendrier encore incertain vu les retards du chantier... Conscients de l'ampleur de la tâche à accomplir pour redynamiser leur territoire, 13 élus haut-rhinois ont demandé à Sébastien Lecornu de retarder l'arrêt de Fessenheim à 2021, « par respect pour les salariés de la centrale ».
« Chacun y est allé de son projet pour l'après-centrale »
L'échéance réelle se situera probablement entre ces deux dates. EDF ne quittera pas le territoire du jour au lendemain, et il y aura du travail : le démantèlement prendra une décennie, voire davantage. Mais le Haut-Rhin veut se projeter encore plus loin. « La centrale va fermer, et notre communauté va trouver un nouvel élan », veut croire Gérard Hug, président de la communauté de communes du Pays Rhin-Brisach, dont fait partie Fessenheim.
« Notre projet consiste à reconstituer 2.000 emplois et un peu de fiscalité, pour permettre à ce territoire de continuer de se développer. »
Ces dernières années, la centrale a versé 11 millions d'euros aux collectivités locales. Comment absorber la perte annoncée ? « Chacun y est allé de son projet pour l'après-centrale », observe avec malice Patrick François, directeur régional de la Caisse des dépôts. La liste des initiatives est digne d'un inventaire à la Prévert. L'État va lancer un appel d'offres « territorialisé » pour l'installation de 300 mégawatts solaires sur le territoire du Haut-Rhin. Pour privilégier une relance de l'activité économique par des acteurs locaux, cet appel d'offres sera circonscrit à des candidats haut-rhinois. La porte se ferme pour les entreprises étrangères. Ce petit arrangement avec les traités européens sera soumis à l'accord de la Commission européenne.
L'État et le conseil régional du Grand Est réfléchissent à la réactivation d'une ligne ferroviaire entre Colmar et Fribourg dans le Land de Bade-Wurtemberg en Allemagne. Sur une quarantaine de kilomètres, elle faciliterait la mobilité des salariés entre l'un des territoires les plus prospères en Allemagne, proche du plein-emploi, et le bassin de Fessenheim, à revitaliser. Détail non négligeable : ce projet nécessite la construction d'un pont au-dessus du Rhin.
La liste des projets se poursuit avec Jean Rottner, président de la région Grand Est, qui veut instaurer un territoire décarboné à grande échelle à l'horizon 2050. Brigitte Klinkert, présidente du conseil départemental du Haut-Rhin, se voit en pionnière d'un territoire entièrement alimenté par des énergies vertes. Plus localement, autour de Fessenheim, on se soucie déjà de la disponibilité de terrains dans les zones d'activité proches, pour accueillir des entreprises.
Développer l'énergie solaire, doper les activités portuaires...
La cacophonie n'est pas loin. Marc Simon-Jean explique, amer, que le Haut-Rhin, dont les élus veulent faire un "cluster" de l'énergie solaire après la fin du nucléaire, offre « un tiers de rendement en moins que le Sud de la France dans les installations photovoltaïques ». « Nous voulons intervenir en tant que facilitateur, répond Patrick François. Notre nouvelle Banque des territoires va déployer ici, pour la première fois, l'ensemble de ses compétences en ingénierie, en conseil, en financement », annonce-t-il. À Strasbourg, ses équipes ont réalisé en mai une "étude flash" de synthèse des différents projets imaginés autour de Fessenheim. Confidentielle, l'étude propose une série de lignes directrices qui ont été soumises aux élus locaux. Leurs réponses sont attendues en juillet.
Certaines décisions ont déjà été prises. Les collectivités se sont mises d'accord pour renforcer les activités portuaires au bord du Rhin dans deux zones toutes proches, à Neuf-Brisach, au nord de Fessenheim, et à Balgau-Nambsheim-Heiteren-Geiswasser, au sud. Gérard Hug a endossé la présidence du tout nouveau syndicat mixte ouvert (SMO) du Port Rhénan, créé le 1er mars 2018. Il ambitionne de « relancer des activités industrielles et logistiques » sur 450 hectares déjà occupés par le géant de l'aluminium Constellium, le fabricant de chewing-gum Wrigley ou les transporteurs Gefco et DB Schenker. La nouvelle autorité gestionnaire du port rassemble trois collectivités, Voies navigables de France et la Chambre de commerce. La Banque des territoires apportera une partie des fonds nécessaires à son développement, entre 15% et 20%.
« On ne va pas continuer de gérer ce port en ronronnant. L'objectif, c'est d'accueillir des logisticiens d'envergure mondiale pour se mettre au niveau des ports suisses et allemands », prévient Patrick François.
La proximité avec l'Allemagne, une source d'opportunités
Réunis le 13 avril dans le comité de pilotage pour l'avenir du territoire de Fessenheim (le groupe de concertation installé début 2018 sous la tutelle de Sébastien Lecornu), les élus ont validé la création d'une deuxième société d'économie mixte (SEM) pour gérer l'après-nucléaire. Celle-ci permettra, à l'échelle du département, d'organiser l'accueil de nouvelles entreprises dans les métiers des énergies renouvelables, de la transition énergétique et plus généralement dans l'innovation. « Cette SEM sera vraiment innovante parce qu'elle associera les collectivités, la Caisse des dépôts, peut-être EDF et même des partenaires allemands », promet David Coste, délégué interministériel à l'avenir du territoire de Fessenheim.
En poste depuis le 9 avril 2018, ce haut fonctionnaire porte un regard optimiste sur les perspectives de développement de la région.
« On parle souvent de coopération franco-allemande, mais c'est plus rare sur des sujets économiques. Il va y avoir de belles opportunités. La localisation géographique est parfaite, au bord du Rhin, à la frontière avec l'Allemagne où les acteurs économiques demandent de la main-d'oeuvre qualifiée et des terrains pour s'étendre », analyse David Coste.
Les riverains allemands, qui n'ont cessé de maintenir la pression pour obtenir la fermeture de Fessenheim, auront bientôt gagné la partie. L'énergéticien Energie Baden-Württemberg AG (EnBW), actionnaire minoritaire (17,5%) de la centrale française, s'apprête à reprendre ses billes. Pour Claude Brender, le maire, la participation des Allemands à la revitalisation de son territoire reste hypothétique. « Il ne faut pas rêver. Si une belle entreprise allemande veut s'implanter à Fribourg, nos voisins lui trouveront sûrement des terrains, quelle que soit la pénurie. Les patrons allemands n'ont que faire de la disponibilité foncière dans nos zones d'activité. Pour eux, la France sera toujours le pays des grèves », prévient-il. Heureusement, les autres membres du comité de pilotage sont plus optimistes.
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Olivier Mirguet,
correspondant pour La Tribune dans le Grand Est
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