Startups : le navire amiral EuraTechnologies prend-il l'eau à Lille ?

Lancé en 2009, EuraTechnologies est souvent considéré comme le navire amiral de la tech nordiste. L'incubateur et accélérateur de startups a récemment dû affronter une tempête : l'éviction de Nicolas Brien de son mandat de président du directoire, alors qu'il était en poste depuis... un peu plus d'an ! Le tout, trois mois seulement après l'entrée au capital de la famille Mulliez (et la galaxie d'enseignes autour d'Auchan). Que se passe-t-il donc à bord ?
(Crédits : Euratechnologies)

Tout a commencé fin août par un courrier très sec de Martine Aubry, maire de Lille et présidente du conseil de surveillance, représentant l'actionnaire Ville de Lille, à Nicolas Brien, 33 ans, ex directeur général de France Digitale (un lobby des entreprises numériques) et ex-cadre du Parti socialiste dans l'Allier, tout juste arrivé en juin 2021 à la tête d'EuraTechnologies.

Dans le courrier repris par DailyNord.fr, Martine Aubry pointe du doigt :

« un comportement managérial paraissant hautement préoccupant », une « remise en cause régulière des décisions », des « changements incessants de l'organisation des consignes, des annonces permanentes de nouveaux projets à mener en urgence » et même un « comportement erratique » ainsi que la « déstabilisation de la très grande majorité de votre équipe et nombre importants d'arrêts de travail et de départs visant au bon fonctionnement et même au fonctionnement tout court de la structure ».

Défense de sept pages

L'intéressé s'est à son tour défendu, en envoyant, uniquement aux membres du conseil de surveillance, un courrier de sept pages, daté du 31 août. Le quotidien régional La Voix du Nord, qui a pu avoir accès au document, rapporte que le président déchu y justifie d'abord son bilan, listant les actions engagées en une seule année : l'installation du premier campus cyber de province à Lille, en plus d'arrivées de licornes et de levées de fonds exceptionnelles...

Sauf que Nicolas Brien évoque également une situation financière d'EuraTechnologies « pas rassurante », « des fonds propres menacés » et « des choix immobiliers douteux ». Pour lui, le climat social (qui compte une cinquantaine de salariés) était « dramatique sur le plan humain », avec une « part importante de salariés considérés en burn-out », ainsi que des faits de harcèlement (« moral et sexuel ») et même « une agression sexuelle ».

Dans ce courrier dont de larges extraits sont repris par La Voix du Nord, Nicolas Brien y assume le départ de « 90 % du comité de direction », ainsi que de nombreux salariés, « dont l'état de santé ne permettait plus le maintien en poste ». Il rappelle dans ce contexte une de ses missions, à savoir « remobiliser et renforcer les effectifs (...) Ce qui constitue bien un aveu que le conseil de surveillance savait de longue date que l'équipe était démobilisée et affaiblie à mon arrivée ».

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Pertes liées à l'immobilier

Ces propos vont d'ailleurs dans le sens du compte-rendu de l'assemblée générale du 10 janvier 2022, où Martine Aubry a précisé que de nombreux salariés étaient partis et que la société d'économie mixte (SEM) était en sous-effectif depuis quelques années, justifiant une prévision de 43% des charges de personnel dans le budget prévisionnel.

Pour le bilan plus global, Nicolas Brien indiquait qu'EuraTechnologies « n'avait jamais incubé autant de projets » et que la « gestion immobilière dans son ensemble est relativement satisfaisante voire très bonnes au regard des taux d'occupation, à l'exception de certains espaces non commercialisés pour cause de travaux ». Le débat sur les déficits liés à l'immobilier d'EuraTechnologies ne semble pas nouveau, Philippe Beauchamps rappelant même que ces pertes proviennent « uniquement d'un déficit immobilier », selon Philippe Beauchamps, représentant l'actionnaire conseil régional Hauts-de-France. Contacté pour avoir plus de détail sur ce déficit immobilier, La Tribune n'a pas de retour de l'intéressé.

En matière de budget, si l'année si particulière de 2020 s'était soldée par un déficit, 2021 avait renoué avec l'équilibre. 2022 avait même été placé sous le signe d'un « budget de croissance et d'expansion », avec notamment la mise en place d'une rémunération de 3% sur les levées de fonds accompagnées par Euratechnologies, ainsi que sur les apports d'affaires. De nouvelles pratiques qui n'ont apparemment pas plu à tout le monde, certains entrepreneurs de l'écosystème ayant « fait état de leur incompréhension (ndlr : face à ce pourcentage prélevé) auprès des services de la Région », précise Philippe Beauchamps.

+73% des produits d'exploitation

Nicolas Brien a-t-il vraiment voulu aller trop vite ou a-t-il simplement accompagné la marche forcée souhaitée par les actionnaires pour Euratechnologies ? Toujours est-il que le budget prévisionnel prévoyait une hausse de 73% des produits d'exploitation  (comparé à un exercice perturbé par la pandémie de Covid-19).

Pour mener une politique de développement plus ambitieuse, la SEM avait de toute façon décidé dès 2019 de se doter de moyens financiers supplémentaires. C'est même « sur la base de cette stratégie » que Nicolas Brien avait été recruté. Et émis des hypothèses de travail, « comme la cession de la marque EuraTechnologies par la Ville de Lille ou l'apport en capital du bâtiment Leblan Lafont par la Métropole européenne de Lille »... qui n'avaient pas été retenues. Le conseil avait fini par opter pour « une augmentation de capital en numéraire » via des acteurs privés. A la seule condition que les actionnaires publics restent majoritaires.

Augmentation du capital

Le sujet de l'augmentation du capital est même présenté par Martine Aubry comme un « sujet éminemment politique », qui devait à l'époque « faire l'objet avant toute chose d'une discussion entre les actionnaires actuels par le biais du conseil et du président du directoire ». Dans un contexte où les grands groupes régionaux « manifestent un réel intérêt pour intégrer la structure capitalistique de la SEM ».

Six mois plus tard, le 23 juin 2022, c'est acté. C'est finalement l'Association familiale Mulliez (AFM) qui entre dans le capital d'EuraTechnologies et co-investit 7 millions d'euros, aux côtés du réseau entrepreneurial Entreprises et Cités (regroupant plus de 25 clubs) via ECTech. Pour la galaxie d'enseignes du groupe (et notamment Auchan, Décathlon ou Leroy Merlin), c'est l'assurance de collaborer avec des startups innovantes du retail.

La levée de fonds totale étant de 24 millions d'euros, les 17 millions restants ont principalement été apportés par les actionnaires historiques : la métropole européenne de Lille (montant inconnu), la région Hauts-de-France (5 millions), la ville de Lille (1 million) aux côtés des principales banques régionales, à savoir le Crédit Agricole Nord de France, la Caisse d'Epargne Hauts-de-France et le Crédit Mutuel Nord Europe (déjà actionnaire à hauteur de 5%). Pour mémoire, la souscription initiale d'1,5 million au capital était réparti entre 1,05 million de la communauté urbaine Lille Métropole, 300.000 euros du conseil régional et 150.000 euros de la Ville de Lille.

« Enfin ! », diront certains, car c'était la volonté des fondateurs d'EuraTechnologies (dont feu Pierre de Saintignon, premier adjoint de la mairie de Lille et ayant été vice-président du conseil régional sous la présidence socialiste de Daniel Percheron). « Ces deux chemins se rejoignent aujourd'hui afin d'accélérer un ensemble porteur », soulignait Barthélémy Guislain, le président du conseil de gérance de l'Association Familiale Mulliez dans le communiqué d'arrivée dans le capital. « Ces apports réciproques seront teintés d'un esprit d'innovation persistant et d'une dimension entrepreneuriale innée. Le reflet d'un continuum de l'histoire du territoire et de ses acteurs économiques. »

Pourquoi avoir d'abord choisi une entreprise du retail ? EuraTechnologies va-t-elle y gagner ou perdre en indépendance ? Réponse au prochain épisode. Pour le moment, le bateau amiral est piloté par une femme, Koussée Vaneecke, qui a notamment fait ses armes chez Danone, Pernod Ricard ou encore Webhelp. Nicolas Brien lui-même l'a assuré : elle est « la dirigeante qu'il faut pour EuraTechnologies ».

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