« Le combat pour la réalisation du métro du Grand Paris est gagné » Christian Blanc

ENTRETIEN. L’ex-secrétaire d’État chargé par Nicolas Sarkozy du Développement de la région capitale, revient sur le démarrage de ce grand projet et juge le chemin parcouru depuis dix ans. Dans ce grand entretien, entre autres mises en garde, l'ancien PDG de la RATP puis d'Air France appelle à ne pas perdre le contrôle de l'aéroport de Roissy Charles-de-Gaulle, porte d'entrée internationale de la France.
Pour Christian Blanc, le Grand Paris n’existe que si ses trois principaux pôles 
– Paris, l’aéroport de Roissy et Saclay – sont articulés les uns aux autres.
Pour Christian Blanc, le Grand Paris n’existe que si ses trois principaux pôles – Paris, l’aéroport de Roissy et Saclay – sont articulés les uns aux autres. (Crédits : Sipa)

Il y a dix ans, le président de la République d'alors, Nicolas Sarkozy, lance le projet du Grand Paris avec une anaphore restée célèbre :

« Le Grand Paris, ce n'est pas seulement l'élargissement des frontières de Paris, [...] c'est Paris qui veut jouer un rôle dans l'économie européenne et dans l'économie mondiale, [...] c'est Paris qui veut être la carte maîtresse de la France en Europe et dans le monde, [...] c'est la volonté de penser le développement de Paris dans une perspective beaucoup plus large que les limites du périphérique, que les limites de la Petite Couronne, beaucoup plus large que celles de l'Ile-de-France, [...] c'est la volonté de penser l'avenir de Paris dans le cadre d'une stratégie d'aménagement et de développement des territoires à l'échelle nationale. »

À ses côtés, Christian Blanc, « homme d'expérience, de rigueur et d'audace », secrétaire d'État chargé du Développement de la région capitale depuis 2008, portera le projet de loi dédié jusqu'à son adoption définitive.

L'ancien préfet de Seine-et-Marne, 77 ans, tour à tour président de la RATP, PDG d'Air France, député centriste de la 3e circonscription des Yvelines et membre du gouvernement Fillon, a gardé le verbe haut. Le 6 juin dernier, Christian Blanc a en effet bien voulu sortir de sa réserve médiatique pour La Tribune. Il y défend, bec et ongles, la Société du Grand Paris, l'établissement public d'État chargé de la construction du Grand Paris Express, tout en réaffirmant sa volonté de voir le Grand Paris irriguer l'ensemble des territoires de l'Île-de-France voire de la France entière. Entretien.

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LA TRIBUNE - Le Grand Paris fête ses dix ans cette année. Vous qui avez initié le Grand Paris, comment jugez-vous le chemin parcouru ?

CHRISTIAN BLANC - Le Grand Paris est probablement le projet le plus important lancé en ce début de XXIe siècle. Quand le Parlement a voté en 2010 la loi portant création du Grand Paris comme « projet urbain, social et économique d'intérêt national » ainsi que la naissance d'un   « réseau de transport public de voyageurs », ce fut un moment important pour notre pays. Cela n'a été possible que par l'engagement du chef de l'État, Nicolas Sarkozy, comme ce fut le cas pour Napoléon III dans la réalisation du Paris que nous connaissons aujourd'hui, et pour le général de Gaulle dans la réorganisation de la région parisienne.

Ces décisions se sont effectuées à chaque fois dans un contexte hexagonal d'une administration qui n'avait pas été amenée à comprendre les évolutions du monde. Nous savions donc que le chemin serait difficile. En effet, dans les années qui ont suivi, nous avons assisté à des mouvements qui ont pu faire penser que le projet du Grand Paris pouvait être un jour édulcoré, sous des prétextes politico-financiers divers.

Nous avions pris la précaution de ne pas faire de recommandation publique sur la gouvernance du projet, à l'exception notable de la création de la Société du Grand Paris, dont l'objectif était précis et technique. Seule cette société avait la capacité à financer le projet.

Pourtant, entre le rapport de la Cour des comptes commandé par le député Gilles Carrez, l'arbitrage du nouvel exécutif en février  2018 et le changement de gouvernance à la suite de tout cela, Bercy semble faire la pluie et le beau temps avec la Société du Grand Paris. Partagez-vous ce sentiment ?

Il y a dix ans, après le krach financier de 2008, la situation du pays ne permettait pas à l'État d'investir dans le financement d'un réseau de métro estimé à 25 milliards d'euros. Cela ne m'inquiétait aucunement et j'ai informé le Parlement sur la manière dont avait été financé le métro de Paris au début du XXe siècle, y compris dans la France exsangue de 1918. C'était aisé pour moi, ancien président de la RATP, qui avais initié le projet Météor [la ligne 14, Ndlr], le premier métro automatique créé à partir d'une technologie mise au point par des équipées d'ingénieurs de la RATP, d'Alstom et de Matra.

J'ai eu l'occasion d'expliquer que le financement de ce réseau pouvait être effectué exclusivement par l'emprunt, comme le fut le métro parisien. Ceci était rendu d'autant plus aisé que nous avons des surcapacités financières dans le monde qui ne demandent qu'à être utilisées. De très grands fonds souverains demeurent prêts à investir dans des projets d'infrastructure et particulièrement les réseaux de transport urbain. Malgré les objections que je peux entendre, j'estime qu'à ce jour, le combat pour la réalisation du métro du Grand Paris est gagné grâce à la détermination des maires et des présidents successifs de la Société du Grand Paris. Mon sentiment est qu'on a rendu difficile un problème facile.
 
L'un des freins actuels à l'essor du Grand Paris n'est-il pas l'enchevêtrement institutionnel, entre la ville de Paris, les autres communes, la métropole, les établissements publics territoriaux, les départements et la région ?

Quand j'ai dit à Nicolas Sarkozy que ma mission était terminée, il m'a dit : « Tu ne m'as pas fait de proposition sur la gouvernance », alors qu'effectivement, c'était dans mes attributions. Je lui ai répondu : « À mon sens, il n'y a pas d'urgence. Avec le génie français, si on ouvre ce débat, on va perdre du temps à parler de la gouvernance sans se concentrer sur l'essentiel : le développement économique. C'est la première raison pour laquelle il faut se focaliser et réaliser dans les meilleurs délais ce système nerveux que constitue le réseau du Grand Paris. »

Pour autant, je lui remettais plus tard, à titre d'illustration, et pas du tout de manière officielle, une note détaillée sur la gouvernance à terme du Grand Paris, à partir d'études sur Londres, New York ou Tokyo. De loin, j'ai assisté aux discussions qu'il a pu y avoir sur la gouvernance, mais, pour moi, ce qui comptait, c'était le portage du dispositif par le président de la République et les maires. Aujourd'hui, je n'ai aucune inquiétude sur la volonté du président Macron d'accélérer le processus pour être à l'heure, notamment par rapport à cet objectif intermédiaire que constitue l'organisation des Jeux olympiques.

Mais cette note remise officieusement à Nicolas Sarkozy, que disait-elle ?

Je ne peux pas vous le dire. Pour moi, le Grand Paris n'existe que si les trois principaux pôles - Paris, Roissy et Saclay - sont articulés les uns aux autres. Attention à ne pas perdre le contrôle de l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, la porte d'entrée internationale de la France. Ce serait d'une incroyable naïveté stratégique. De même, il convient d'accompagner Saclay, qui a la vocation d'être la Silicon Valley de l'Europe. Or, pour l'instant, la métropole du Grand Paris, qui est un premier pas important, n'assure pas la cohérence stratégique de l'ensemble. Les mécanismes de gouvernance ne pas encore définis. Est-ce grave ? Je ne le crois pas. C'est quelque chose qui va se réguler dans le temps.

En revanche, on n'a toujours pas compris que le Grand Paris incarne quelque chose de particulier dans notre pays. On dit parfois qu'il pèse 30 % du PIB avec une productivité de loin la plus importante, et cela est vrai. Il joue un rôle majeur de redistribution sociale au travers du budget de l'État pour les régions les moins prospères. On dit peu que le Grand Paris, c'est l'équivalent des seize premières villes françaises, avec plus de 10 millions d'habitants ! On oublie aussi que des communes comme Boulogne-Billancourt, Colombes, Courbevoie, Saint-Denis, Versailles, etc., avoisinent ou dépassent les 100.000 habitants et sont l'équivalent de Metz, Pau, Perpignan ou Toulon. Mais ces dernières ont des racines historiques, avec des hôpitaux, gare TGV, grand théâtre, une équipe de foot ou de rugby, des collèges, des médias locaux... En bref, elles possèdent une identité forte.

Pour moi, le désert français n'est pas là où on l'a le plus souvent décrit depuis des années, mais il se trouve autour de Paris, dans la banlieue. J'attends qu'un double processus s'effectue dans les prochaines années, au sein du Grand Paris. Le premier concerne les lieux de vie qui vont se créer à partir des gares et qui seront les marques de l'identité des communes, comme l'ont été les églises et les mairies. Ces lieux de vie, ces quartiers, vont apporter aux nouvelles générations ce qui est nécessaire à la création et à la diffusion des métiers de l'innovation : le nombre, la proximité et la diversité des populations. Il nous faut demander aux aménageurs, aux architectes urbanistes et aux chefs d'entreprise d'anticiper les nouveaux modes de vie et de production. Je crois qu'il serait significatif, par exemple, d'arrêter de parler des politiques du logement, pour mettre en œuvre des politiques de l'habitat, des quartiers, des parcs et des forêts. Il faut en finir avec la notion de banlieue. Je constate d'ailleurs avec plaisir que ce terme est de moins en moins utilisé dans les conversations ou dans les articles de presse.

Le second processus est en cours : le Grand Paris va continuer à se développer en archipel pour la France entière. Regardez Nantes, Bordeaux, Toulouse, Lille... le Grand Paris reste leur porte d'entrée sur le monde. Il n'y a pas d'opposition entre le territoire du Grand Paris et la France des territoires. L'irrigation de l'innovation joue dans les deux sens. C'est une chance. En 2009, les sénateurs, pourtant représentants des territoires, l'avaient compris. Lors d'une suspension de séance, un certain Gérard Collomb vient me voir et me dit : « Christian, il faut vraiment que tu fasses le Grand Paris, j'en ai besoin à Lyon. »

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MINIBIO

  • 1942 Naissance à Talence (Gironde)
  • 1985-1989 Préfet de Seine-et-Marne
  • 1989-1992 Président de la RATP
  • 1993-1997 PDG d'Air France
  • 2002-2008 et 2010-2012 Député de la 3e circonscription des Yvelines
  • 2008-2010 Secrétaire d'État chargé du Développement de la région capitale

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