Logement, vous avez dit "choc" d'offre... Vraiment ?

Métropole la plus dense d'Europe, la capitale française reste une zone tendue où il est difficile de loger tous ceux qui le souhaitent. Promoteurs constructeurs et édiles de petite et grande couronne apportent leurs réponses dans le contexte de la stratégie Logement, présentée par le gouvernement le 20 septembre.

À chaque gouvernement, ou presque, une nouvelle stratégie pour le logement. Le ministre de la Cohésion des territoires, Jacques Mézard, et son secrétaire d'État, Julien Denormandie, n'échappent pas à la règle. Un projet de loi sera déposé à la fin de l'année pour « lever les verrous et les freins », « passer à la construction de logements plus écologiques et plus adaptés », « simplifier la vie ordinaire » et « lutter contre la fracture territoriale ».

L'ex-sénateur (PRG) du Cantal et l'ancien « dir cab » adjoint d'Emmanuel Macron à Bercy disent avoir « écouté les propositions des acteurs » du secteur. Olivier Wigniolle, directeur général d'Icade, estime ainsi que « le plan permet de sortir de l'incertitude pour les acteurs privés que nous sommes ». Son homologue chez Cogedim, Philippe Jossé, confirme :

« La stratégie donne une vision à moyen terme indispensable dans notre métier. Compte tenu du délai de sortie des projets (trois à cinq ans), il est important d'avoir cette visibilité. »

Unanimité chez les professionnels du secteur ? Pas si sûr ! Dans une note publiée sur son blog intitulée « Une addition de mesures fait-elle un plan logement ? » le PDG de Nexity, Alain Dinin, qui a quitté la puissante Fédération des promoteurs immobiliers depuis un mois, est, comme toujours, « cash » :

« La stratégie n'a rien de révolutionnaire. Les annonces, pour la plupart piochées dans de vieux cartons, restent partielles. Et précipitées. »

La libération du foncier promise par les représentants de l'équipe Philippe, à savoir « construire plus, mieux et moins cher dans les zones tendues », satisfait les promoteurs immobiliers, comme Fabien Acerbis, directeur général logement Île-de-France chez Bouygues Immobilier :

« Quand du foncier est libéré, de l'offre est créée, la demande est adressée et les prix sont maintenus. »

Maître de conférences à l'IEP de Paris et coordinateur du livre collectif Le Logement en France (Economica, 2017), Pierre-François Gouiffès rappelle, en effet, que le Grand Paris demeure « la zone tendue par excellence : le plus fort PIB par habitant, la plus forte population, la plus forte densité, la plus forte proportion d'appartements, la plus faible proportion de propriétaires et, bien sûr, les prix immobiliers les plus élevés. » Sur le terrain, Catherine Arenou, maire (LR) de Chanteloup-les-Vignes, met sa casquette de vice-présidente du conseil départemental des Yvelines chargée de l'insertion et de la politique de la ville :

« Notre territoire est attractif, mais il y a des grands enkystements et du foncier qui vaut une fortune. Nous menons donc une politique d'accompagnement à l'investissement auprès des maires. »

La maire de Longjumeau, Sandrine Gelot (LR), également vice-présidente du département de l'Essonne, déléguée à l'insertion, la cohésion sociale, la politique de la ville et le logement, s'est saisie de cette compétence non obligatoire pour les départements :

« En 2030, 30% de la population aura moins de 60 ans et la population de 85 ans et plus aura doublé. Aussi adaptons-nous nos parcs de logements pour que le territoire reste attractif et aidons la primo-accession. »

« Paris a envie de construire »

En Seine-Saint-Denis, Nadège Abomangoli (PS), vice-présidente à la politique de l'habitat et à la sécurité, s'interroge :

« Est-ce qu'on ne pourrait pas davantage axer là-dessus ? Pensons à la répartition territoriale et faisons des efforts partout. C'est la question du rééquilibrage Est-Ouest. »

À Paris, l'adjoint (PCF) au logement, à l'habitat durable et à l'hébergement d'urgence, Ian Brossat, voit, lui, deux enjeux liés :

« Mobiliser du foncier est certes rare, mais il en existe encore et suppose que l'État nous cède au plus vite le maximum de parcelles où il est actuellement impossible de produire. Tout ce qui peut nous permettre d'accélérer les cessions avec des décotes serait le bienvenu. Dans ce contexte très contraint, et bien que Paris soit la ville la plus dense d'Europe, la Ville veut construire. »

D'ailleurs, à l'heure où la capitale demande aux habitants, depuis début octobre, de déclarer leurs meublés mis en location, avant de le rendre obligatoire au 1er décembre, l'élu du XVIIIe réfléchit déjà à d'autres mesures qui pourraient être mises en place :

« Dans une ville très pleine comme la nôtre, les logements existants qui ne servent pas à loger les Parisiens seraient de l'ordre de 200.000, soit un logement sur six. Sans parler de la question de la transformation du million de mètres carrés de bureaux vides en logements. Je demande à l'État une TVA à 5,5% qui peuvent assurer la reconversion. »

À cet égard, le DG d'Icade, Olivier Wigniolle, avance d'autres pistes :

« Beaucoup d'idées circulent. La TVA à taux réduit en est une. L'exonération de quotas de logements sociaux en est une autre. D'autres disent qu'il faut libérer les promoteurs dans le financement des équipements publics. Or ce n'est pas si simple. C'est 15 à 20% plus cher que de construire à partir d'un terrain. Vous perdez même 15% de surface avec les parties communes et les couloirs dans les appartements. »

Et de citer son aide technique dans la réalisation du village olympique :

« Il faut penser l'objet en fonction de son utilisation post Jeux. C'est la première fois que les installations vont être réalisées en fonction de la solution la plus pérenne dans le temps. »

« C'est une réflexion que nous avons systématiquement, assure Philippe Jossé, DG de Cogedim. Mais les conditions juridiques des copropriétés limitent la réversibilité. Avant de racheter tous les lots et d'en faire des bureaux, c'est complexe, parfois simple, parfois compliqué. »

De son côté, le DG logement de Bouygues Immobilier, pour la région francilienne, Fabien Acerbis, définit une condition sine qua non :

« C'est en train d'arriver, mais il faut que cela soit anticipé et donc conçu ainsi dès le départ de la conception. »

Une demande insatiable

Toujours en matière fiscale, Julien Denormandie, secrétaire d'État à la Cohésion des territoires, a annoncé que « toute personne disposant d'un terrain, s'il conclut un acte de vente avant 2020, bénéficiera d'un abattement fiscal de 100% si c'est une vente pour du logement social, 85% pour de l'intermédiaire et 70% pour du libre », de même que les dispositifs Pinel et prêt à taux zéro (PTZ) seraient reconduits sur quatre ans, « fléchés dans des endroits utiles ».

Cette innovation et cette reconduction étaient attendues de la part des acteurs publics comme des constructeurs privés. Dans l'Essonne, Sandrine Gelot affirme avoir atteint des « records historiques :

3.305 logements produits en 2016, soit 30% de plus par rapport à la moyenne des cinq dernières années. Bien qu'en hausse, nous avons l'impression que cela ne suffit jamais, alors que nous prenons notre part à l'objectif des 70.000 logements par an de l'Île-de-France. » Comme le souligne justement Pierre-François Gouiffès, maître de conférences à l'IEP de Paris, « concernant le segment particulier du logement social, le territoire du Grand Paris est celui pour lequel l'écart le plus massif existe entre locatif privé et locatif social, ce qui génère une demande de logements sociaux quasiment insatiables. » Sandrine Gelot reprend :

« Si nous voulions répondre à la demande, il faudrait que toutes les communes disposent d'un contingent de 33% de logement social. Dans le même temps, le taux de rotation est aujourd'hui très faible, de l'ordre de 10%. L'émergence du logement intermédiaire pourrait contribuer à cette fluidification, mais l'offre n'est pas encore suffisamment installée. »

À l'inverse, le promoteur Alain Dinin, de Nexity, doute, toujours sur son blog, de l'efficacité de ces avantages :

« L'idée centrale, construire davantage là où les besoins sont plus forts, est juste. Mais en concentrant les aides sur ces zones, on met en place une mécanique qui fait fi des réalités. Il va falloir trois ans, au minimum, pour dégager des terrains dans les secteurs les plus tendus, tandis que les volumes bâtis vont rapidement diminuer dans ceux qui seront délaissés. »

De son côté, le ministre de la Cohésion des territoires, Jacques Mézard, n'entend pas « chasser quiconque de son logement », mais rappelle que la pression est forte :

« Trop de familles attendent. Si nous reconnaissons le droit du locataire, il doit se voir attribuer un logement. Ce souci de mobilité sera synonyme d'équilibre et de justice. Nous avons la volonté de pousser en ce sens. »

En Seine-Saint-Denis, Nadège Abomangoli (PS) ne s'oppose pas, a priori, aux baux courts :

« Cela peut être intéressant pour la mobilité, mais encadrons-les pour ne pas que cela devienne un bail précaire. Simplifions d'abord les choses : nous avons des communes, des EPT qui mettent en place le schéma directeur, les conseils départementaux, la métropole... Clarifions le nombre d'intervenants et retirons même les élus des procédures d'attribution afin de rétablir la confiance. »

L'effet du super-métro

Catherine Arenou, des Yvelines, met en garde : « Nous avons tendance à nous densifier à certains endroits, comme lorsque nous accompagnons l'avancement d'Eole [prolongement du RER E vers l'ouest de Paris, ndlr] où nous proposerons du logement diversifié et de nouvelles conditions de vie. En revanche, notre territoire rural ne devrait pas changer avant des années. Les politiques d'aménagement sont lentes dans leurs mises en place. Que les élus soient moteurs de l'engagement de leurs territoires ! » En matière de transport, le super-métro va permettre la livraison de dizaines de milliers de logements et un total de projets immobiliers de

600.000 mètres carrés, assure le président de la SGP, Philippe Yvin :

« Depuis deux ans, je regarde les suppléments immobiliers des magazines et je mesure l'effet structurant du Grand Paris Express. Nous allons bel et bien participer au choc de l'offre voulu par le gouvernement. Il est, de plus, absolument nécessaire de loger les classes moyennes de la métropole. Nous voulons contribuer à bâtir la ville durable en construisant des quartiers mixtes agréables à vivre, et moins monofonctionnels que par le passé. »

Avant de citer le concours « Inventons la métropole » organisé par son président Patrick Ollier, chargé de l'élaboration du plan métropolitain de l'habitat et de l'hébergement (PMHH), un document qui doit être adopté avant fin 2018 pour mettre en oeuvre cette politique.

Plus généralement, en matière de grandes opérations d'aménagement, Julien Denormandie veut changer la logique pour « passer d'une approche contraignante à la concertation et signer des contrats définissant les projets d'aménagement à conduire pour accélérer ». Comme chez Cogedim où Philippe Jossé dit « attendre de l'écoute et de l'articulation qui permettent de la fluidité afin que les compétences de tous s'additionnent », chez Icade, Olivier Wigniolle appelle en ce sens à mettre tous les acteurs autour de la table pour la reconversion de friches en logements :

« C'est un sujet spécifique à l'Île-de-France où l'on pourrait penser à un dispositif particulier qui libère et rationalise plus vite. »

Le représentant de Bouygues Immobilier, Fabien Acerbis, se satisfait que « tous les ingrédients soient réunis pour répondre aux attentes de la population » mais, insiste-t-il, « il faudrait néanmoins trouver une manière d'inciter certains maires à être davantage bâtisseurs. Heureusement, nous avons affaire à des communes poussées par le développement du Grand Paris. »

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Logement : ce qui va changer pour les collectivités et les constructeurs

  • Libération de terrains à bâtir : dispositif d'intéressement financier à la construction pour les collectivités, facilitation des cessions des terrains publics aux collectivités pour la réalisation de projet et encouragement à la construction de logements intermédiaires.
  • Recentrage du prêt à taux zéro (PTZ) et du dispositif Pinel sur les zones tendues.
  • Fin de l'inflation normative et la simplification des normes, avec, notamment, zéro nouvelle norme technique pendant le quinquennat.
  • Fin des recours abusifs : encadrement des recours dans les contentieux d'urbanisme et accroissement des sanctions.
  • Impulsion pour la construction 2.0 : généralisation de la maquette numérique à l'horizon 2022 et dématérialisation des demandes d'autorisation d'urbanisme.

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Commentaires 6
à écrit le 27/10/2017 à 10:39
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La solution, c'est la décentralisation. Entasser 12 millions de français dans 50 Km2 est-ce raisonnable? D'ailleurs , les jeunes commencent à comprendre, Bordeaux , Nantes 2 h de Paris, Marseille 3. Pour les retraités, le Portugal , il serait le t...

le 06/11/2017 à 10:37
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Vous avez raison, mais la croissance de la métropole parisienne s'entretient aussi d'elle-même. Les pouvoirs publics n'entassent pas les gens dans 50 km2, de nombreux ménages font encore le choix de vivre dans cette région à bien des égards très attr...

à écrit le 27/10/2017 à 10:19
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420 000 logements construits en 2017 (pour 250 000 nouveaux ménages), le double du UK et 100 000 de plus qu'en Germanie. la France a le plus fort taux de construction en Europe (Deloitte Property Index 2017). 130 000 logements sociaux financés en 20...

à écrit le 27/10/2017 à 9:41
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Hier dans l'émission du lobby de l'immobilier qui passe quotidiennement à la télé faisant ainsi monter les prix, le principe des agences immobilières, on a vu un studio de 52 m2 vendu 595000 euros. Par chez nous c'est le prix d'un château en bon ...

le 27/10/2017 à 13:15
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Vous avez tout à fait raison.

le 28/10/2017 à 16:51
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La France est en passe de devenir un gigantesque désert couvert de ruines mais nous aurons un grand Paris et des élites parisiennes richissimes

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